par Philippe Waechter, Directeur de la Recherche Economique de Natixis Asset Management.
Sur les aspects macroéconomiques, les indicateurs d'activité aux Etats-Unis et en Europe pointent vers un ralentissement plus marqué de l'activité économique. Aux Etats-Unis, la consommation des ménages a changé de régime au troisième trimestre. Son recul significatif va enclencher un probable repli de l'activité américaine (en termes de PIB) sur le trimestre. Le repli marqué de la production industrielle accentue cette perspective, tandis que les indicateurs liés à la construction continuent de se replier.
En zone Euro, l'indice ZEW (indice de conjoncture allemand) a de nouveau reculé très fortement. La situation outre-Rhin est désormais perçue comme périlleuse. Le niveau de cet indicateur est désormais comparable à la période de récession de 1993. Au sein des pays émergents, on notera aussi que les indicateurs chinois ralentissent rapidement pénalisés par une dynamique externe moins favorable puisque les pays industrialisés ralentissent, et par une situation interne moins porteuse. Ces éléments donnent et confirment deux signaux importants pour les marchés, à savoir que la dynamique des profits va continuer de s'infléchir et que les sources d'impulsion sur l'activité, en provenance des pays émergents, vont se tarir au fur et à mesure alors qu'elles jouent un rôle essentiel depuis 2006.
Les chiffres sur l'inflation indiquent que le repli du prix des matières premières est en train d'effacer les excès du printemps et de rééquilibrer la donne. Le taux d'inflation est aujourd'hui moins élevé qu'en juillet, mois durant lequel le point haut avait été atteint. Il va continuer de ralentir même si le prix des matières se stabilise au niveau actuel. La comparaison sur un an sera très favorable jusqu'à l'été prochain avec une contribution de l'énergie qui va devenir rapidement négative et une contribution des produits alimentaires qui va nettement diminuer. Vers l'été 2009, les taux d'inflation dans les pays industrialisés seront donc beaucoup plus bas qu'aujourd'hui.
Ces constats, tout en restant associés aux perspectives macroéconomiques médiocres, semblent donner des marges de manœuvre supplémentaires aux banques centrales. Celles-ci adopteront donc très probablement des stratégies plus accommodantes.
Sur les marchés financiers, les stratégies de garanties des dettes interbancaires et de recapitalisation des banques commencent à faire effet. Cela se reflète dans l’amélioration des indicateurs de tensions du marché monétaire.
Aux Etats-Unis, le taux interbancaire à 3 mois a reculé de près de 100 points de base à 3,83 % le 21 octobre contre 4,81 % le 10 octobre, c'est-à-dire à la veille des prises de décisions européennes coordonnées. Le Ted spread qui mesure l'écart entre ce taux interbancaire et celui des bons du Trésor, s'est nettement replié à 2,73 % contre un plus haut de 4,57 %.
La baisse des taux interbancaires s'est donc accompagnée d'une hausse des taux des bons du Trésor. La situation européenne suit la même orientation. L'Euribor à 3 mois est passé de 5,39 % le 9 octobre à 4,968 % le 21. Le Ted spread est aussi descendu à un peu moins de 200 points de base contre plus de 330 le 8 octobre.
Ce comportement indique une réduction certes encore limitée, mais réelle, de l'aversion au risque sur le marché monétaire. L'évolution des spreads traduit en effet des changements intervenus dans les arbitrages.
Les autres points clés
Durant la montée des risques (à partir de la mi-septembre), l'attrait pour les bons du Trésor a été décuplé. Mais depuis l’annonce des mesures de réduction ex-ante du risque sur les marchés, la demande pour ces actifs a légèrement reflué contribuant ainsi le resserrement des spreads. Les orientations d'investissement sur le marché monétaire se diversifient.
Les mesures prises depuis l'annonce du 8 octobre par le premier ministre britannique, Gordon Brown (et généralisées lors des réunions du G7 et de l'Eurogroupe) ont donc eu un effet significatif sur la perception du risque chez les différents acteurs du marché monétaire.
Dans le même temps, les banques centrales ont continué de diversifier leurs "outils" servant à apporter de la liquidité. Le spectre des papiers mobilisables s'est en effet élargi en zone Euro, tandis que la Banque d'Angleterre modifiait ses procédures afin de faciliter l'accès à la liquidité, et ce, malgré la récente recrudescence des tensions. Pour autant, cette amélioration sur le marché monétaire ne signifie pas que l'ensemble des questions liées à la crise financière ont trouvé une solution. Le retour à la "normale" prendra du temps même si la question spécifique liée au risque s'atténue dans l’immédiat. Sur les autres segments du marché financier, notamment sur les marchés d'actifs risqués (actions, crédit), la question de l'incertitude reste entière au regard des inquiétudes sur l'activité économique et des interrogations sur l'évolution du taux d'inflation.
La dynamique des plans de sauvetage évolue
Aux Etats-Unis, le gouvernement a mobilisé 250 milliards de dollars (sur les 700 du plan Paulson) pour recapitaliser les banques. 125 milliards de dollars ont déjà été utilisés pour neuf grandes banques. Les 125 restants semblent davantage destinés aux banques régionales. L'objectif pourrait être de faciliter les regroupements de celles-ci. Cette injection de capital devrait se traduire par une amélioration du ratio Tier-1, c’est-à-dire du ratio de solvabilité des banques. L'Angleterre avait adopté une stratégie du même type. En France, l'amélioration du ratio Tier-1 passe par l'émission de dette subordonnée. Ce sera très probablement une dette perpétuelle avec une option de remboursement au bout de 5 ans. La forme retenue pour cet apport de dette subordonnée est intéressante dans la mesure où elle n'oblige aucune banque à se déclarer. C'est important car aux Etats-Unis, le recours à la fenêtre d'escompte faisait l'objet d'une publication des noms des banques demandeuses, générant ainsi une sorte "d’effet inhibant".
Ces deux situations reposent la question du rôle de l'Etat dans le capital des banques et de son mode et calendrier de sortie à terme. Pour l'instant, les injections de capital se font sur des actions sans droits de vote. Cela restera-t-il sans influence sur l'orientation stratégique des banques ? On peut en douter. Cette question de « sortie » est encore plus complexe lors des injections de capital par l'Etat :
– Dans le cas d'une dette, le remboursement effectif de celle-ci limite les questions posées lors de la sortie, puisque le poids de l'Etat se dissipe avec le remboursement (s'il y a exercice de l'option de sortie).
– Dans le cas d'une prise de participation, la situation est plus complexe. Faire l'hypothèse actuelle d'une revente des actions à un cours beaucoup plus élevé reste une hypothèse peu solide puisque l'on ne connaît pas le moment précis où interviendra cette revente et la configuration du marché à ce moment.
De plus, la situation actuelle ne va pas "geler" la structure du marché bancaire et on peut aisément imaginer que, dans quelques années, le paysage bancaire aura fortement été modifié. Revendre, à cette échéance, les actions actuellement achetées par l'Etat, risquerait de modifier d’un seul coup les conditions de la concurrence. Dès lors, comment faire pour justifier cette démarche et la rendre légitime, en évitant de biaiser la situation et les rapports de force/équilibre entre les acteurs du marché ?
La problématique de l'inflation va resurgir
Depuis la fin de la semaine dernière, la dynamique des anticipations d'inflation a changé. Celles-ci, observées via les indicateurs de point mort d'inflation, pointaient systématiquement vers le bas. Cette orientation reflétait les effets mécaniques de la forte baisse du prix des matières premières. Un élément était troublant néanmoins : le constat de la baisse concomitante des anticipations dans le long terme. Que les indicateurs de court terme reflètent la baisse du taux d'inflation est plutôt logique, mais on remarquerait simultanément alors que l'inflation anticipée à 5 ans dans 5 ans (sur le moyen terme donc) baissait aussi de façon spectaculaire. Cette situation était anormale sauf à imaginer un long processus de déflation (hypothèse que l'on ne fera pas).
Au-delà de cette hypothèse de déflation, les anticipations à long terme ne semblaient pas en phase avec les interrogations portant sur le mode de financement de l'économie dans cette période de crise. Cette question du financement se pose notamment au regard de ce qui se passe aux Etats-Unis. Depuis la mi-septembre en effet, le total du bilan de la banque centrale américaine a doublé. Jusqu'à présent, il évoluait selon une tendance modérée et Ben Bernanke, le président de la Fed, indiquait qu'il souhaitait avant tout opérer des substitutions d'actifs dans le bilan lorsqu'il donnait des liquidités aux banques. Il échangeait des actifs bancaires contre des actifs du Trésor américain en veillant à limiter la progression du bilan de la Fed et ce, afin de ne pas engendrer d‘anticipations d'inflation exagérées. La rupture constatée indique que la Fed a changé de régime. Ici, les ressources supplémentaires dont peut disposer la Fed proviennent du Trésor américain.
Une interrogation émerge dès lors : comment la Fed retrouvera-t-elle un régime de fonctionnement normal sans que les injections de liquidité qu'elle opère, n'affectent les anticipations d'inflation des acteurs ? Cela signifie que, sur la dynamique de l'inflation, la situation est plutôt favorable à court terme. Les banques centrales pourront réduire leurs taux d'intérêt ce qui se traduira par une pente plus forte.
A moyen terme, cette pente pourrait s'accentuer davantage, surtout en raison de la hausse des anticipations d'inflation liées à l’absence de visibilité sur la manière dont la Fed choisira de résoudre l'équation de son bilan. La solution choisie par la Fed sera probablement porteuse de coûts d'ajustements, desquels on suppose qu’ils sont tout à fait susceptibles d’engendrer une inflation supplémentaire.
Réforme du système monétaire international
Nous pouvons ici nous pencher sur au moins trois grandes interrogations distinctes. Lorsque l'on regarde le paysage bancaire mondial, on constate que les banques des pays industrialisés semblent davantage affectées par la crise financière que celles des pays émergents. C'est assez logique au regard de la formation de la crise financière. Cependant, on observe que les divers plans de sauvetage vont mobiliser des ressources très importantes dans les pays industrialisés : une mobilisation qui pourrait se faire au détriment de dépenses liées à l'investissement et la recherche. En d'autres termes, les arbitrages d’aujourd’hui auront un impact durable qui conditionnera la croissance à long terme des pays industrialisés.
Les pays émergents ne subissent pas cette contrainte. Certes pénalisés par le ralentissement conjoncturel actuel, nombre d’entre eux disposent cependant de ressources financières encore importantes. Des ressources qu'ils pourront, à un moment donné, arbitrer davantage vers l'investissement et la croissance, creusant ainsi un peu plus le fossé qui les sépare des pays industrialisés puisque ceux-ci seront probablement en perte de vitesse en la matière. Les réserves financières accumulées au sein des pays émergents se retrouvent aujourd'hui, et c’est le cas depuis longtemps déjà, sur les marchés financiers des pays occidentaux. Mais elles provoquent parfois des déséquilibres dans la valorisation des actifs. Ainsi, le montant important d’encours qu’ils détenaient sur les titres du Trésor américain a probablement influencé, à la baisse, les taux des obligations d'Etat aux Etats-Unis. De fait, le niveau des taux n'était pas nécessairement en phase avec le cycle économique américain.
Pour limiter ces déséquilibres et stabiliser l'ensemble du système financier international, il serait donc nécessaire de développer davantage les marchés financiers des pays émergents, afin qu’ils puissent servir de réceptacle aux capitaux accumulés au sein de ces pays.
Dans cette configuration, vouloir refaire Bretton Woods semble être un objectif complexe à atteindre. La mouture de l'accord de 1944, au sortir de la seconde guerre mondiale, reflétait une situation très favorable aux Etats-Unis et donc au dollar. Le rapport de force était alors très favorable aux américains. Conjugué à des mouvements de capitaux très réduits, le rôle majeur et essentiel du dollar avait permis à cette architecture de survivre jusqu'en 1971. Depuis, le dollar a perdu de son pouvoir d'attractivité, les mouvements de capitaux se sont démultipliés et le rapport de force est beaucoup plus complexe à définir qu'en 1944.
En d'autres termes, dans l’hypothèse d’une refonte du système, la mise en place d’un nouvel équilibre sera d’autant plus délicate que le poids des pays émergents est désormais réel, limitant de facto l’influence des pays industrialisés.
C'est une nouvelle manifestation des changements de repères dans l'économie mondiale. Et c'est cette nouvelle dynamique qui nous importe aujourd'hui.