France Covid-19 : les enjeux du plan européen

par Julien Manceaux, Senior Economist chez ING

Le Conseil Européen s’est réuni jeudi. Ce n’est pas tant son aval pour les mesures déjà annoncées qui est attendu que sa décision sur la forme que prendra l’endettement des pays membres de la zone euro. Les chiffres en tant que tels, sans doute provisoires, sont secondaires, c’est la question de la responsabilité individuelle des Etats et – à travers elle – la survie à terme de l’UEM qui se pose cette semaine au Conseil.

Suite aux premières mesures prises le 13 mars (voir Encadré), la Commission Européenne et le Conseil de l’UE ont continué d’avancer sur la voie d’actions coordonnées. Le 26 mars, le Conseil a mandaté l’Eurogroupe pour mettre en place une solution coordonée de sa réponse à la crise. Celle- ci a été âprement discutée. Elle a été détaillée le 9 avril et sera examinée par les chefs d’Etat et de Gouvernement lors du Conseil de ce jeudi 15H, avec les consignes1 de la Commission pour la coordination du déconfinement. S’y ajoutent des actions supplémentaires proposées par la Commission.

La Commission ajoute deux instruments à sa boîte à outils

Un instrument de support d’urgence pour le secteur des soins de santé dans lequel elle réallouera 2,7 milliards d’euros. L’instrument peut être renfloué par n’importe quel contributeur public ou privé.

Un instrument temporaire de soutien aux politiques de chômage partiel à travers l’UE (SURE2) sous la forme de prêts aux états membres, à hauteur de 100 milliards d’euros en tout.

Au total, la Commission aura donc augmenté son budget d’environ 3 milliards, et réalloué un peu plus de 40 milliards d’euros de fonds existants.

Les propositions de l’Eurogroupe face à la crise

Dans sa proposition, l’Eurogroupe scinde ses instruments en deux parties, la réponse immédiate à la crise et la reprise.

Le rôle de la Banque Européenne d’Investissement, défini le 16 mars dernier, devrait être renforcé : aux 45 milliards d’euros (dont 5 d’investissements directs dans le secteur de la santé) déjà décidés, devraient s’ajouter officiellement demain 25 milliards d’euros (dont 5 pour les actions de supports à l’extérieur de l’UE). La BEI apportera ainsi 60 milliards de garanties pour les crédits aux PME à travers l’Europe à travers deux instruments3. Elles s’ajoutent aux centaines de milliards de garanties déjà mobilisées par les grands pays (300 rien qu’en France). L’objectif, que chaque milliard granti permette le déblocage de 8 milliards de crédits bancaires (soit près de 500 milliards en tout), est cependant ambitieux.

Le Mécanisme Européen de Stabilité aura également un rôle à jouer, pour allouer des prêts aux Etats Membres de la zone euro, à hauteur de maximum 2% du PIB de la zone euro (enveloppe totale de 240 milliards d’euros). Pratiquement, il s’agit de lignes de crédit de précaution, un outil existant du MES qui permet aux États membres de demander une aide temporaire. Au mois de mars, la ligne de crédit dite "à conditions renforcées" (ECCL) a été particulièrement discutée. En effet, elle a l’avantage de ne pas nécessiter d’analyse préalable de la viabilité de la dette du pays emprunteur. Elle a le désavantage d’être soumise à conditions (dans le passé, un plan national de réformes et un droit de regard des institutions européennes). La proposition actuelle vise une conditionnalité très allégée : les fonds doivent être utilisés pour une définition large de coûts sanitaires imposés par le Covid-19. En outre, il se pourrait que ce type de crédit permette à la BCE d’intervenir directement sur le marché obligataire secondaire4 pour aider le pays qui en bénéficie à contenir l’augmentation de son coût de financement sur le marché. En effet, un endettement supplémentaire, surtout s’il est lié à une conditionnalité européenne, même faible, serait sans doute mal perçu les marchés.

Les propositions de l’Eurogroupe pour la reprise

La mise en place d’un « Fonds de Reprise » fait l’objet de tous les débats depuis la lettre de neuf5 Etats Membres du 25 mars. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’aucun accord soit trouvé ce jeudi. En effet, le fonds ne devrait pas être actif avant janvier 2021.

La proposition de l’Espagne cette semaine, visant à voir la Commission Européenne émettre des obligations perpétuelles à hauteur de 10% du PIB la zone euro, les distribuer entre les états sous forme de bourse et créer de nouvelles taxes (sur les émissions de CO2 notamment) pour financer les coupons dans son budget, a sans doute fait long feu sans le soutien de la France et de l’Italie.

La proposition sur la table, sur laquelle l’Italie semble plier, évacue la question des Eurobonds/Coronabonds, dont Angela Merkel a déclaré qu’elles nécessiteraient un changement des traités. La proposition reposerait plutôt sur l’article 1226 du traité fondateur de l’UE selon lequel les Etats peuvent s’assister mutuellement dans certaines circonstances. L’idée est que la Commission émettrait de la dette, garantie par les Etats Membres, sans doute à hauteur de leur contribution au budget européen. Etalé sur trois ans, le fonds mobiliserait ainsi tout au plus 3% du PIB de l’UE, avec un partage quasi inexistant des risques.

Qu’attend-t-on d’une coordination des membres de la zone euro ?

Si les mesures discutées demain constituent une preuve de coordination, elles ne font pas beaucoup avancer la question de la solidarité entre états. En effet, elles ne changent pas grand- chose au fait que certains pays vont voir leur niveau de dette augmenter fortement, ce qui les mettrait rapidement face à la question de la soutenabilité de celle-ci, que les garanties allouées au « Fonds de Reprise » vont aggraver. Non seulement cela risquerait de les obliger à une austérité permanente qui serait loin d’être une bonne base pour la reprise dans le futur. Mais à terme, c’est le risque de nouvelles tensions qui se pose, avec de nouveaux doutes sur la pérennité de la zone euro. Si la BCE peut pour un temps encore limiter les tensions financières à l’intérieur de la zone (en limitant les écarts de taux souverains), elle ne peut pas grand-chose contre les éventuels changements politiques que le manque de solidarité actuel risque de poser. La crise de 2009 est un bon exemple de la chute possible du support des citoyens à l’UEM. C’est un risque futur face auquel la mutualisation d’une partie des dettes risque de se reposer comme une solution, un argument qui plaide pour qu’elle reste aujourd’hui sur la table.

En effet, la mutualisation des dettes diminue le coût d’endettement global puisque le MES se finance à taux bas, elle assure la coordination des politiques monétaires et fiscales (ce qui est essentiel quand la rapidité d’intervention est un faceur clé) et elle permet d’éviter que la nouvelle dette ne pèse trop sur la soutenabilité à long terme des états individuels, évitant ainsi la réémergence des risques de scission de la zone. Jusqu’ici, il semble que ce soit aller trop loin pour certains Gouvernements.

Annexe 1 – Les mesures prises au niveau de l’UE en mars 2020

Dès le 13 mars la Commission Européenne a adopté une série de mesures, notamment en termes de flexibilité des règles (en tant que gardienne des Traités, c’est son rôle principal dans cette crise), en particulier :

  • les règles d’aide d’état (les plans nationaux d’aide ont été approuvés les uns après les autres) ;
  • les règles de déficit public afin de permettre un endettement supplémentaire, sans doute spectaculaire, des états dans le besoin face à la crise ;
  • les règles de libre circulation des biens au sein du marché unique, après que certains Etats Membres aient fermé certaines de leurs frontières.

Malgré l’étroitesse de son budget total (1% du PIB européen), elle a en outre :

  • lancé une initiative d’investissements de 37 milliards d’euros dans le cadre de la politique de cohésion (28 milliards de fonds structurels non encore dépensés sur le programme 2014-2020, et 8 milliards d’euros directement du budget de la Commission) ;
  • lancé plusieurs initiatives de recherche médicale et de répartition des stocks de médicaments (140 millions d’euros) ;
  • mobilisé 1 milliard d’euros de budget supplémentaire en garantie pour que le Fond d’Investissement Européen puisse soutenir les banques dans les prêts aux PME à hauteur de 8 milliards.
  • réalloué son Fond Européen d’Ajustement à la Globalisation, dont 180 millions d’euros sont disponibles pour 2020 pour le reclassement des chômeurs.

NOTES

  1. Les guidelines sont disponibles ici
  2. temporary support to mitigate unemployment risks in an emergency (SURE)
  3. (1) des lignes de liquidité dédiées aux banques pour assurer un soutien 30 milliards d'euros en fonds de roulement pour les PME et les entreprises de taille moyenne et  (2) des programmes d'achat de titres adossés à des actifs (ABS) pour permettre aux banques de transférer les risques pris sur les portefeuilles de prêts aux PME (achats à hauteur de 30 milliards d'euros).
  4. Les OMT (Outright Monetary Transactions) sont un instrument de septembre 2012 qui permet à la BCE d’intervenir directement et de façon ciblée sur les marchés obligataires secondaires en achetant certaines obligations souveraines afin « de préserver une transmission appropriée de la politique monétaire et l'unicité de celle-ci ». Ces interventions ne se sont jamais produites et seraient de toutes façons conditionnelles à l’existence d’un plan de soutenabilité de la dette (souvent avec des réformes) suivi par le MES (Mécanisme Européen de Stabilité). Ces programmes incluent les ligne de crédit dite "à conditions renforcées" (ECCL). Plus d’informations ici.
  5. Belgium, France, Italy, Luxembourg, Spain, Portugal, Greece, Slovenia and Ireland
  6. « Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné »