par Frédéric Buzaré, responsable de la la Gestion Actions chez Dexia AM
En dépit du fait que le rallye a été remarquable depuis les planchers du mois de mars, rien n’est certain pour le moment. Les récentes performances pourraient nécessiter une période de consolidation, ou pourraient prendre la tangente, avant de connaître de nouveaux sommets. Nous conservons notre approche d’achat et aucune correction du marché ne pourra affecter notre opinion positive et constructive des marchés d’actions.
Une fois encore, compte tenu du niveau de valorisation implicite des indices européens, une reprise économique significative n’est pas nécessaire pour justifier une approche positive. Bien qu’il soit désormais largement admis que la fin de la récession est imminente, les investisseurs restent toujours très hésitants quant à la nature de la reprise économique à venir.
Il n’est pas exagéré de dire que le traumatisme financier a paralysé de nombreux investisseurs et les a conduit à douter de la possibilité d’une reprise ou d’un retour à un semblant de circonstances normales, en dépit du fait que la rentabilité des entreprises se stabilise à des niveaux historiquement élevés et que le risque de crédit est en baisse. La santé financière des entreprises est essentielle pour l’ensemble de l’économie. La rapidité avec laquelle les entreprises réduisent actuellement leur vulnérabilité financière est de bon augure pour les perspectives économiques. Dans la mesure où le marché semble être obsédé par les comparaisons historiques, il nous semble important de souligner que cela ne s’était pas produit dans les années 1930 ou plus récemment au cours des années nonante au Japon.
Le contexte idéal dans lequel nous nous trouvons et que nous avons décrit le mois dernier (la reprise est imminente mais les conditions monétaires sont excessivement accommodantes) dure depuis un certain temps et il est peu probable que les banques centrales ne resserrent leur politique monétaire avant longtemps. Parallèlement à sa déclaration qui tend à soutenir que la politique monétaire devrait rester stimulante sur une période prolongée, Ben Bernanke a également indiqué lors de son dernier discours que la banque centrale ne se précipiterait pas pour resserrer sa politique en associant le risque baissier avec la modeste reprise que les membres de la Réserve fédérale, ou lui-même, anticipent.
Il y a 3 mois, nous avons mentionné la possibilité qu’un cercle vicieux se mue en cercle vertueux. Ce cercle auto-alimenté a été significatif au cours des deux dernières années et, en tant que tel, mérite d’être analysé. Durant les deux dernières années, tout le débat a porté sur l’interaction entre l’économie et le marché du crédit. Les conditions financières sont régulières et ont atteint des niveaux compatibles avec un cercle de rapports positif. Le LIBOR-OIS à 3 mois est de nouveau à 27 points de base, l’indice CDX Investment Grade s’est resserré à 105 points de base (contre 197 points de base en décembre 2008) et les spreads de qualité au sein du marché des billets de trésorerie se sont également réduits à près de 40 points de base. Bien entendu, ces niveaux sont supérieurs à ceux de début 2007, mais cette période de spreads particulièrement faibles ne pouvait de toute évidence pas être maintenue et ne devrait pas servir de référence pertinente pour les primes de risque à l’avenir.
Nous pensons, cependant, que les prochaines statistiques clés devraient stimuler davantage la confiance dans les marchés financiers. Les premiers signes positifs sont visibles sur le marché de l’emploi qui, jusqu’à récemment, constituait le maillon le plus faible de la théorie de la reflation. Nous anticipons un retour à la positive de la tendance sur le marché de l’emploi au quatrième trimestre et sommes rassurés par les récentes statistiques d’emplois des secteurs non liés à l’agriculture (« Non Fam Payrolls »). Bien que les investisseurs semblent être obsédés par une reprise en W, ces derniers sous-estiment les effets secondaires qu’un rebond de la production industrielle est capable de générer. Un retour à la croissance au sein de la production industrielle a toujours engendré une hausse de l’emploi. Ce soutien subséquent aux revenus de cette catégorie de salariés devrait soutenir la dépense des consommateurs (qui reste au cœur de toutes les inquiétudes).
Bien que nous restions positifs sur les indices actions, nous ne voulons pas être accusés d’excès d’enthousiasme. La sagesse populaire incite à être optimiste sur la Chine et l’Asie et pessimiste envers le consommateur américain et il est certain que les arguments derrières ces positions sont fortement étayés. Mais cet optimisme face au marché chinois en pleine envolée est une source d’inquiétude et de vulnérabilité. Le marché chinois a été le premier à atteindre un plancher en octobre 2008 et sera probablement le premier à se retourner. Il a d’ailleurs récemment montré des signes de correction. Le super plan de relance monétaire en Chine aura contribué à sauver le monde et, bien que cela soit une bonne nouvelle pour la croissance à court terme, constitue une source d’instabilité à long terme (créances en souffrance, bilans des banques).
Dans la mesure où le sentiment du marché actuel est emprunt de suspicion, abordons le marché avec ce même regard pendant quelques instants. La plupart des personnes semblent penser que la menace sur les marchés des actions provient du consommateur américain plutôt que des matières premières et de la Chine. Nous avons tendance à croire que la Chine constitue la plus forte menace et que les attentes du consommateur américain sont si faibles que cela ne devrait pas représenter un véritable risque. C’est la raison pour laquelle, la corrélation entre la Chine, le dollar américain et le marché des matières premières devrait, plus que jamais, être observé très attentivement comme une source d’indication qu’un problème se profile sur le marché. Nous sommes plutôt encouragés par le fait que le mouvement de ventes massives sur le marché chinois des actions ne pénalise pas trop sévèrement les indices d’actions à travers le monde.
La tendance est très clairement au mantra « cette fois-ci c’est différent ». Dans la mesure une reprise claire en forme de V (qui suit généralement un vif ralentissement économique) ne se produira pas cette fois-ci, les investisseurs ont tendance à anticiper le pire ou restent très suspicieux. Le mois dernier, nous avons tenté de démontrer que la situation n’était pas si différente, que de nombreuses composantes cycliques étaient en plein essor et que l’amélioration en cours était soutenable. En fait, le cycle actuel suit un schéma typique. Le contexte de marché actuel nous rappelle, par plusieurs aspects, celui de 2003. De surcroît, les investisseurs ont tendance à se préparer uniquement à des conditions de marché extrêmes. L’ampleur de la crise financière a induit des comportements étonnants chez les investisseurs. L’idée selon laquelle « cette fois-ci c’est différent » est ancrée si profondément que de nombreux investisseurs refusent même de prendre en considération les schémas économiques ou de marché habituels qui se produisent traditionnellement dans le sillage d’une crise financière. L’opinion communément admise repose sur le fait de considérer la faillite de Lehman Brothers comme une rupture entre l’ancien et le nouveau monde ou entre le monde d’avant et le monde d’après l’éclatement de la crise financière. D’une certaine manière, bien que la crise aura des conséquences à long terme, nous réagissons peut être excessivement dans notre approche.
Comme à l’accoutumée, le rally actuel pourrait entraîner les prix des actions sur un terrain nettement plus surévalué avant que tout retournement conséquent ne se manifeste. La valorisation ne suffit pas à elle-même pour tout expliquer, compte tenu du fait que le marché des actions peut rester sur ou sous-évalué pendant longtemps. C’est toujours le contexte macroéconomique, les taux d’intérêt et les perceptions du risque qui dictent la direction du marché. Nous sommes convaincus que cela constituera une des problématiques de l’année prochaine lorsqu’il s’agira d’apprécier la politique de sortie de crise.
Sans paraître excessif, on peut parler d’une véritable impasse entre ceux qui sont positionnés en faveur ou qui anticipent une déflation et ceux qui prédisent une envolée de l’inflation. Peu nombreux sont ceux qui sont tentés par un scénario normal ou « presque normal » de reprise et un positionnement traditionnel sur les actions. Et si nous nous orientions vers des conditions plus normales susceptibles de perdurer ? Il y a deux mois, la sagesse populaire préconisait que « cette fois-ci c’est différent ». Actuellement, cela semble une fois encore être une réaction excessive typique.
L’évolution actuelle est très semblable à celle observée en 2003 : un retournement de marché suivi par un marché tiré par le momentum. Dans le sillage d’une crise financière sans précédent et d’une réponse politique du même ordre, quelles sont les chances pour que l’on bénéficie d’un rebond du marché d’actions sans précédent ?
Un remake de 2003
Ainsi que nous l’avons indiqué dans l’introduction, l’évolution actuelle du marché semble très semblable à celle observée en 2003, même si personne n’aurait parié il y a six mois sur un tel scénario. Tout d’abord, la première étape du rally a été rapide et particulièrement vive, marquée par un groupe restreint de valeurs en tête du marché (valeurs bancaires et matières premières). De même, en 2003, les investisseurs étaient essentiellement en quête de beta élevé, de faibles valorisations et d’un momentum de bénéfices en retrait. Quelle sera la prochaine étape ? Un élargissement du marché et une distribution plus équilibrée entre les valeurs cycliques et les valeurs défensives ? Nous recommandons vivement une exposition à la qualité au sein des segments plus risqués du marché. Par exemple, cela signifie pour le secteur bancaire qu’il convient de considérer HSBC au détriment de RBS. L’initiation du mouvement de marché a été également marquée par la prudence et la suspicion. La seconde phase du rebond du marché en 2003 a été soutenue par une reprise fondamentale de l’économie et des bénéfices, même si l’on sait que celle-ci a été financée par un certain levier et a donné naissance à la bulle immobilière aux États-Unis.
L’évolution n’est pas si différente cette fois-ci. Comme en 2003, le momentum des bénéfices a pris un virage à 180° et s’est accéléré ces deux dernières semaines : il s’agit là d’un changement fondamental. Le ratio de révisions des bénéfices (le rapport entre les révisions à la hausse des bénéfices et les révisions à la baisse) est redevenu positif. Bien que l’Europe reste en à la traîne des États-Unis et de l’Asie, nous pensons qu’elle est à même de rattraper son retard dans la mesure où le consensus est exagérément optimiste. Même si les économies européennes venaient à vivre une reprise de faible envergure, « l’Europe » ne doit pas être confondue avec les « entreprises européennes », ces deux catégories étant très diversifiées.
Un renforcement du leadership du marché
D’un point de vue historique, le leadership du marché tend à s’élargir durant les neufs mois qui suivent les trois premiers mois d’un rally post marché baissier. Cela a effectivement eu lieu durant les trois derniers marchés baissiers qui se sont produits parallèlement à une période de ralentissement économique mondial (1982, 1992 et 2003).
Le renforcement du leadership du marché prend un certain temps. Le rebond qui a suivi le mois de juillet ressemble à celui des mois de mars à mai et est marqué par le même comportement obsessionnel. Le mois d’août a fait état de résultats plus partagés. Beaucoup de titres qui étaient à la traîne ont rebondi. Certaines valeurs cycliques sont ressorties en hausse, d’autres en baisse.
Une reprise des bénéfices en demi-teinte ?
Lorsque l’on parle de profit, il convient, afin d’éviter toutes conclusions erronées, de préciser de quel type de profit il s’agit. Il existe généralement un écart important entre les profits publiés et les profits opérationnels à l’issue d’une crise majeure. Ces périodes exceptionnelles déforment la réalité. Le profit opérationnel devrait prendre le pas sur les profits publiés, en particulier dans le cadre du calcul des valorisations normalisées. Comme indiqué ci-dessous, les profits opérationnels sont retournés à leur tendance de long terme.
Les pessimistes soutiennent que – dans la mesure où la récession des bénéfices a été relativement douce, en particulier par rapport aux prévisions initiales particulièrement moroses au début de l’année – la reprise des bénéfices sera toute aussi douce et, en cela, diffèrera des précédentes récessions. Le fait que les faibles marges cycliques sont bien au-dessus de leur précédent plancher constitue un frein à la reprise normale des bénéfices. Si l’histoire peut servir de guide, quel est le schéma normal des bénéfices durant une phase de reprise ?
Pour le moment, il semblerait que les bénéfices pourraient s’apprécier de 20 % l’année prochaine et que la tendance des bénéfices suit un schéma familier, bien que très faible. Cependant, un doute persiste dans l’esprit des investisseurs : la reprise des profits est-elle soutenable, compte tenu de la morosité du marché de l’emploi ?
Le dilemme des profits face à l’emploi
Actuellement, la principale source de discussions tient probablement à la dislocation croissante entre la reprise du marché de l’emploi, qui est plutôt terne, et celle des profits, qui pourrait s’avérer spectaculaire. Cet écart nourrit des inquiétudes à moyen terme en ce qui concerne la durabilité de la situation, dans la mesure où les bénéfices ne peuvent être stimulés exclusivement par des réductions de coûts. Les licenciements ont été plus sévères et plus généralisés que lors de la dernière récession.
Cela s’explique par le fait que les entreprises considèrent de plus en plus le facteur travail comme un coût variable plutôt qu’un coût fixe. Les réductions de coûts ne peuvent se poursuivre indéfiniment sans pénaliser la demande, dans la mesure où, en fin de compte, on est tous le client de quelqu’un.
Le maillon le plus faible du scénario de la reprise reste le marché de l’emploi, avec la soi-disant “reprise sans emploi” de nouveau sur la table. Il y a deux mois, nous avions indiqué que les investisseurs devraient garder un œil sur la production industrielle – la mesure clé pour prévoir l’avenir du marché du travail. Compte tenu du potentiel d’amélioration de la production manufacturière, on peut s’attendre à ce que les chiffres de l’emploi suivent le même rythme, en particulier dans le sillage de la baisse significative observée durant le récent ralentissement. Toute amélioration du marché de l’emploi devrait apporter un soutien indéniable à la demande privée et, par conséquent, au marché des actions.
C’est simplement une question de temps avant que le rebond de la production industrielle ne se propage au marché du travail. Les données relatives aux revenus indiquent que la croissance des revenus, vitale pour le maintien d’une dépense de consommation même modérée, redevient lentement positive. La perte au mois de juillet de 247.000 emplois (non agricoles) a constitué la plus petite baisse enregistrée depuis le mois d’août 2008. Mais, de manière plus importante, la durée du travail hebdomadaire et le salaire horaire moyens se sont tous deux appréciés en juin. L’augmentation de la durée de travail hebdomadaire est un signe typique d’amélioration au sein des marchés de l’emploi, dans la mesure où les employeurs recourent dans un premier temps aux heures supplémentaires avant de procéder à de nouvelles embauches. Associé à la hausse du salaire horaire, le nivellement du nombre d’heures ouvrées constitue la première augmentation des revenus salariés en près d’un an. La baisse du nombre de demandeurs d’emploi indique que le nombre de licenciements pourrait de nouveau augmenter au mois d’août et que les gains de revenus pourraient être maintenus.
Dans les années 1980, un dicton rendu populaire par Helmut Schmidt disait: « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. » Le moment est peut être venu de revoir ces propos. Les dernières données relatives à la productivité – pour le mois d’août – viennent d’être publiées. Elles font état d’une certaine hausse (6,3 % au second trimestre). Par principe, la productivité chute durant les récessions et rebondi durant des périodes de reprise économique. Cette fois-ci, la productivité a rebondi durant la récession. Il s’agit là du revers de la médaille des entreprises qui réduisent plus rapidement leur base salariale que leur production. Les profits supérieurs aux attentes, stimulés par les réductions de coûts, sont véritablement à blâmer.
C’est effectivement aussi grave qu’il y parait. Au premier regard, cela pourrait sembler positif pour les entreprises mais négatif pour les salariés. Cependant, à un certain moment, ce qui est bon pour les profits, l’est également pour l’emploi et la consommation. C’est la raison pour laquelle tout l’édifice peut s’effondrer. La seule véritable question est de savoir si le cycle de l’emploi bénéficiera d’une reprise normale.
Quel est le risque principal?
Le marché continuera de bénéficier des conditions favorables actuelles aussi longtemps que les banquiers centraux resteront préoccupés par tout risque d’une nouvelle faiblesse économique. Il est intéressant de noter que la principale phase du rebond des actions n’a pas été accompagnée par un mouvement de vente massive d’obligations. Bien que les investisseurs semblent inquiets de la lenteur de la reprise, nous pensons paradoxalement qu’une certaine reprise pourrait constituer la principale menace pour un environnement favorable aux actions. Une reprise économique trop significative mettrait les banquiers centraux dans l’embarras. En dépit de leur engagement de conserver les taux d’intérêt à un niveau très faible pendant encore un certain temps, ils pourraient subir une pression considérable de la part des marchés obligataires. Cela pourrait induire une sortie anticipée de la politique actuelle ultra stimulante, déclenchant une vive correction des prix des actifs. Nous ne pensons pas que ce risque relève d’une « probabilité élevée » pour plusieurs raisons : les problèmes structurels persistants, les décideurs politiques peu habitués à certains des outils qu’ils ont employés et les ajustements monétaires dans un domaine affectés par les ajustements au sein d’autres domaines (tant monétaires que fiscaux).
Bien qu’il est probable que nous assistions à deux trimestres de forte croissance aux États-Unis, nous ne pensons pas que cela suffira à mettre la Réserve fédérale dos au mur, dans la mesure où, compte tenu de l’important écart de production, cela ne devrait pas induire une reprise normale du marché de l’emploi. Le taux de chômage est la mesure clé utilisée par la Réserve fédérale pour décider du moment propice à un revirement de sa politique monétaire, comme illustré ci-dessous.
Bien que l’essentiel de la croissance des actions soit passé, il n’est pas totalement impossible d’envisager une poursuite du contexte idéal actuel si les banquiers centraux gèrent prudemment la transition vers une politique plus neutre. Les banques centrales font face à un jeu d’équilibre très délicat. Une politique monétaire accommodante assortie d’excès de liquidités peut induire une inflation significative des prix des actifs lorsque les marchés anticipent une amélioration des perspectives économiques. Si les régulateurs laissent les prix des actifs s’envoler, parce que les autres canaux (en particulier le système de crédit) sont affaiblis, ces derniers risquent de donner naissance au type de bulle à l’origine même de la situation actuelle. S’ils décident d’empêcher une envolée des prix des actifs en resserrant leur politique, ils prennent alors le risque d’augmenter les taux et de freiner la reprise. Alors que les marchés financiers avaient surestimé le besoin de régulation et de sanction il y six mois, ils sous-estiment actuellement le pouvoir de la cupidité.