par Geoffroy Goenen, Responsable Actions Européennes chez Candriam
Depuis la crise financière mondiale de 2008, les valeurs de croissance (ou « Growth ») ont nettement surperformé par rapport aux actions « Value » en Europe. Ces dernières ont pâti de la faiblesse et de la baisse des taux d'intérêt. Mais ce mouvement n’a pas été linéaire. L'historique des performances relatives des deux styles d’investissement datant d’avant l’éclatement de la bulle « dotcom » offre un éclairage instructif. D’après notre analyse, la prochaine « rotation » de styles ne sera pas aussi dramatique que celle observée en 2000.
Pourtant, le graphique ci-dessous rappelle également que les actions « Value » ont tendance à mener la danse en période de reprise économique, tout comme la rotation vers les styles « Value » plus modeste qui a suivi la crise de 2008. La récente surperformance spectaculaire des valeurs de croissance, en particulier dans les premiers jours qui ont marqué les marchés financiers au début de la crise liée au coronavirus, rend probable une rotation vers le style « Value » plus tard dans l'année. Ou du moins plus de modération dans la folle course vers le style « Growth ».
Ce graphique nous rappelle aussi que les investisseurs partisans du style « Growth » peuvent être victimes d'un coup de fouet à court terme, en particulier au moment des reprises économiques et boursières. Les actions « Value » n’ont jamais été aussi bon marché par rapport aux valeurs de croissance en Europe selon nos modèles propriétaires qui remontent à il y a 20 ans. La performance relative des indices MSCI Value et MSCI Growth dressent un tableau comparable. Depuis le début de la dernière décennie, les valeurs de croissance sont clairement le segment du marché le plus porteur.
Compte tenu du choc important au niveau de la demande qui a commencé au premier trimestre 2020, les secteurs les plus sensibles économiquement, comme l'énergie et les matériaux, ont été frappés de plein fouet. En particulier ceux dont les bénéfices sont très incertains. Les valeurs du secteur pétrolier ont été confrontées à des vents contraires importants, au-delà de la faiblesse de la demande, en raison des conflits autour des quotas de production. Ce double effet a été brutal.
En analysant le graphique ci-dessus, il est utile de considérer ce qui constitue les deux styles en question, "Growth" et "Value" :
- Les valeurs du style « Growth », généralement définies comme ayant une croissance des bénéfices plus élevée, se vendent généralement à des valorisations plus élevées. L'indice MSCI© Europe Growth, conçu pour représenter 50 % de la capitalisation boursière du MSCI© Europe, se définit par une analyse factorielle de la croissance à long et à court terme des BPA (bénéfices par action), de la croissance actuelle et de la croissance historique à long terme des BPA et des ventes.
- Les actions du style « Value », généralement définies comme ayant un prix moins élevé par rapport aux bénéfices ou aux actifs, sont définies pour l'indice MSCI© Europe Value sur la base d’un modèle factoriel de la valeur comptable par rapport au prix, du ratio cours/bénéfice à terme et du rendement des dividendes.
Ces termes ne sont pas manichéens. La définition des styles peut devenir floue dès lors que les investisseurs ont des projections très divergentes sur les perspectives d'une entreprise ou dans le cas où les entreprises en question évoluent au fil du temps.
Certains investisseurs intègrent une plus grande variabilité des bénéfices dans leur définition de « Value », en raison de la plus grande variabilité des bénéfices qui peut être observée au sein des actions cycliques. Et l’appellation « Growth » par rapport à « Value » peut aussi changer au cours de la vie d'une entreprise. Prenons comme exemple celui de Microsoft. Fin 2011, les attentes de croissance plus faibles ont fait que ses actions se négociaient à un ratio C/B inférieur à la moitié de celui de Google. Microsoft aurait pu représenter une action « Growth » pour certains et une action « Value » pour d’autres.
Pour répondre à ces questions, MSCI alloue 50 % de la capitalisation boursière à chaque catégorie, mais les entreprises peuvent avoir des pondérations proportionnelles. Une action répondant à cette définition peut avoir une capitalisation boursière de 40 % dans l'indice Growth et de 60 % dans l'indice Value.
La plupart des discussions académiques au sujet des styles d’investissements se concentrent sur les indices mondiaux. Ceux-ci, basés sur la capitalisation boursière, surpondèrent les actions américaines par rapport à la taille de l'économie américaine. Et ce, à la fois en raison de la plus grande proportion de l'économie cotée en bourse mais également des ratios cours/bénéfices souvent plus élevés.
Pour analyser les styles d’investissement dans le domaine des actions européennes, il faut mettre de côté la réflexion sur les styles mondiaux et éliminer le biais américain. Une distorsion inhérente aux indices mondiaux est que la catégorie des « FANGS » (Facebook, Amazon, Apple, Netflix & Google/Alphabet), qui pèsent très lourd à l’échelle mondiale, est constitué d'actions américaines. Au 1er mai 2020, les technologies de l'information représentaient 7 % du l'indice MSCI© Europe, mais une part énorme (26 %) de l'indice américain S&P© 500. La croissance n'est pas que technologique !
Quelles proportions des industries du style « Value » en Europe ? La santé arrive en tête avec 17 % (18 % aux États-Unis), talonnés de près par les services financiers avec 15 % (10 %). L'industrie représente 13 % de l'indice européen (contre 8 % aux États-Unis), et l'énergie 5 % (vs 3 %).
Notre graphique illustre le problème : à partir du moment où les marchés déclarent que la reprise se dessine, les investisseurs sont probablement poussés par un mouvement de rotation de style vers les actions « Value ». Les valeurs de croissance ont fait un beau parcours. Même si nous nous attendons à ce que les actions « Value » se portent bien sur fonds de reprise, cette dynamique risque elle aussi de s'arrêter brusquement et d’un seul coup. Ceci viendrait pénaliser ceux qui ont choisi de surpondérer les actions « Value ». D’où l’importance primordiale de scruter les actions sur une base individuelle et d’être très sélectif. Jusqu'à présent, le mouvement de vente provoqué par la crise du Covid-19 s'est faite à l’aveuglette. Les investisseurs ont fui les actions « Value », bonnes comme mauvaises, en même temps. Ce choc lié au Covid-19 a également provoqué une ruée vers la sortie dans certaines valeurs de qualité. En fin de compte, les politiques monétaires accommodantes, qui apaiseront les relations commerciales mondiales, la stabilisation éventuelle des données macroéconomiques et une éventuelle reprise économique une fois la tempête Covid-19 passée, devraient s’accorder avec les fondamentaux de marché pour stimuler le style « Value ».