par Paul Benson, Responsable des stratégies obligataires « Efficient Beta » chez Mellon
Dans le domaine du crédit, l'environnement économique actuel a poussé certaines agences de notation à revoir à la baisse une part importante de la dette d'entreprises. Toutefois, certaines obligations peuvent offrir des opportunités de valorisation intéressantes, à condition de présenter des fondamentaux solides.
Dans l’ère post-Covid, les anges déchus ont la cote. Ce sont des obligations investment grade revues à la baisse qui passent donc en catégorie high yield, ce qui engendre des points d'entrée intéressants car certaines obligations offrent des rendements similaires à ceux des actions pour une prise de risque équivalente à l’univers obligataire. Toutefois, au moment des révisions à la baisse effectuées par des agences de notation, certains gérants de portefeuille finissent par vendre ces mêmes obligations. Pourquoi ?
Lorsque la performance financière d'une entreprise se dégrade, que ce soit en raison d'un événement type « cygne noir » ou simplement la conséquence d’une mauvaise gestion financière, les agences de notation déclassent la catégorie de ses obligations. Cela peut créer un mouvement de vente forcée chez les investisseurs qui ne se sentent plus en mesure de continuer à détenir ces obligations. En termes de gestion active, les gérants de portefeuille peuvent être amenés à vendre si les directives d'investissement régissant leurs stratégies, qui adoptent souvent des seuils de rendement élevés, les empêchent de détenir des obligations supplémentaires de qualité inférieure à la catégorie investment grade. En gestion passive, les gérants de portefeuille, dont le métier est de se concentrer sur d’éventuelles erreurs de valorisation au niveau des indices, vendent tout naturellement ce genre d’obligation lors du rééquilibrage mensuel, ce qui provoque de fortes décotes.
À la recherche d'alpha
Le marché des obligations investment grade représente environ 6 000 milliards de dollars et fait près de cinq fois la taille du marché des obligations high yield. Des ventes forcées peuvent provoquer des secousses sur le marché des obligations high yield, créant ainsi un déséquilibre entre l'offre et la demande. Nombreux sont ces gérants de portefeuille qui sont obligés de vendre ces obligations, qui intègrent à ce moment-là un marché de taille plus réduite. Lorsque les investisseurs sont face à cet afflux d'obligations déclassées de type « anges déchus », qui rentrent d’un coup sur le marché high yield à un rythme très rapide en raison de ventes forcées, on constate souvent un phénomène d’engorgement technique.
Ceci se traduit par une décote d'environ 200 points de base par rapport à la juste valeur de ces obligations. Encore faut-il identifier les titres « anges déchus » qui sont sous-évalués par rapport au marché global des obligations high yield. S’il est possible d’y investir systématiquement au moment du pic de la décote, un potentiel de rendement structurel se libère en conséquence.
Au-delà des opportunités liées aux écarts de valorisation, les anges déchus peuvent offrir également un profil risque/rendement intéressant. Par exemple, environ 85% de ces titres sont notées BB alors que seulement 50% du marché high yield global est composé d'obligations notées BB. Les 50 % restants du marché high yield sont principalement composés d'obligations notées B et CCC. Ce qui illustre que le sous-segment des anges déchus présente un risque de défaut bien plus faible que l'univers high yield dans sa globalité.
Trois facteurs favorisent l’investissement dans le crédit de la catégorie « anges déchus » :
1) L'accélération de la cadence des révisions à la baisse des notations va élargir le champ des opportunités
Le domaine d’investissement des anges déchus ne fait que croître, donc il y aura logiquement plus d’opportunités d’investissement dans des obligations déclassées à un prix réduit. Au cours des dix dernières années, les taux d’intérêt sont restés bas et les entreprises ont donc continué à émettre de plus en plus de dette. Toutefois, la pandémie récente a entraîné une baisse des bénéfices des entreprises tout en assombrissant les perspectives économiques mondiales. Aujourd'hui, certaines entreprises, qui n'ont peut-être pas été assez prudentes dans le passé, voient leur profil de crédit revu à la baisse par les agences de notation. Un nombre plus élevé de révisions à la baisse signifie que davantage d'investisseurs seront contraints de vendre de manière mécanique. Donc, il y aura des décotes plus importantes et des rendements potentiellement élevés à saisir. Plus de 150 milliards de dollars en obligations ont été revus à la baisse depuis le début de l'année et cela fait quatre mois que cela dure, battant tous les records. En ce qui concerne les ventes, les analystes prévoient des révisions à la baisse de l'ordre de 200 à 700 milliards de dollars US d'ici la fin de l'année.
2) Il s’agit d’un point d'entrée intéressant du point de vue des « spreads » et du rendement
Deuxièmement, l'élargissement des spreads ajustés pour les options (ou OAS pour ‘Option-adjusted Spreads’) depuis mars offre un point d'entrée plus général, qui devrait être encore plus intéressant pour les investisseurs. Pour l'instant, ces spreads sont d'environ 750 points de base, soit à des niveaux jamais vus depuis la crise financière de 2008.
3) La Réserve fédérale américaine est passée à l'achat
Enfin, le 9 avril, la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé qu'elle élargirait ses mécanismes de crédit aux entreprises sur les marchés primaire et secondaire afin d'inclure les anges déchus, ce qui va soutenir les valorisations. En ce qui concerne les obligations, 500 milliards de dollars US seront soutenus sur le marché primaire et 250 milliards de dollars US sur le marché secondaire. Côté ETF, la Fed a annoncé qu'elle achèterait des ETF d'obligations d'entreprises, tous segments confondus. Le 4 mai, ce programme a été présenté dans le détail. Si une entreprise récemment déclassée en catégorie high yield veut entrer sur le marché primaire du crédit et faire racheter sa dette par la Fed, elle doit remplir certains critères d’éligibilité, mais si elle les remplit tous, la Fed intervient en tant que prêteur en dernier ressort. Elle a également annoncé qu'elle allait se mettre à acheter des ETF d'obligations d'entreprises (tous secteurs confondus) début mai si elles remplissent aussi certains critères d'évaluation. Cette annonce est très favorable aux valorisations des obligations. La preuve, le marché high yield a progressé de 86 points de base suite à cette première annonce. Il s’agit d'un des plus grands mouvements journaliers dans l'histoire du marché ! On a également vu des rendements de 6 % en cours de séance sur les ETF high yield. Du point de vue des valorisations, cela ne fait que renforcer la thèse d’investissement en faveur des obligations d’entreprises « anges déchus ».
Les anges déchus peuvent constituer un moyen pour les investisseurs qui ont une vision à long-terme de naviguer en eaux troubles et de profiter des obligations aux fondamentaux solides pour un prix réduit.