par Gérard Moulin, Responsable du pôle Actions européennes chez Amplegest
La crise du Covid-19 est une séquence inédite à bien des égards. Parmi les principales nouveautés, il en est notamment une qui échappe à toute modélisation : pour la première fois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le politique décide unilatéralement du niveau de l’activité économique. Pire, il conditionne toute reprise de celui-ci à l’atteinte d’un objectif totalement exogène à l’économie elle-même. Pour les entreprises, cette nouvelle donne est radicale dans son esprit et dans sa portée. Il n’est plus seulement question d’attendre de son gouvernement le classique coup de pouce keynésien qui suppléera à une demande privée en déroute et offrira la visibilité nécessaire pour réengager des investissements, préalable au retour d’un nouveau cycle de croissance autonome. C’est désormais jusqu’au droit à exister des entreprises qui est entre les mains des Etats.
Et de ce point de vue, tous les pays ne se valent pas. Classons-les schématiquement en deux groupes. D’un côté, certains pays (Europe du Sud en tête) adoptent une approche « médiévale » et privilégient les objectifs sanitaires sur toute autre considération. Ceux-là limitent leur réponse à des confinements « durs ». L’autre groupe (Europe du Nord, Corée du Sud…) préfère une approche plus complexe, plus « technologique ». Son équation est à plusieurs inconnues et vise notamment à ne pas tuer l’économie. Comment ? En privilégiant l’agilité à une réponse de masse. Il se trouve qu’avec maintenant quelques mois de recul, les projections ont largement tourné à l’avantage des deuxièmes, tant au niveau sanitaire qu’économique. La comparaison entre la France (groupe 1) et l’Allemagne (groupe 2) est à ce titre, particulièrement cruelle.
Et les entreprises dans tout ça ? A l’image de ces deux groupes de pays, la crise creuse l’écart entre celles qui disposent d’un pricing power et le conservent et les autres. Alors que les secondes sont acculées à attendre leur salut d’une décision politique, les premières parviennent à maintenir une croissance autonome, voire à prendre des décisions d’investissement à contre-cycle.
De ce point de vue, la crise du Covid-19 nous rappelle deux enseignements. Le premier, c’est que le pricing power n’est pas un état. C’est une dynamique. Son maintien exige ici encore de l’agilité, une capacité à se doter de moteurs endogènes dans toutes les configurations de marché, même les plus dégradées. Edenred est un bon exemple de cette agilité. Au moment où le Brésil s’apprêtait à devenir un épicentre majeur de la crise du Covid, le spécialiste des solutions transactionnelles pour les salariés renforçait sa position dans le pays en annonçant mi-mai l'acquisition des activités d'avantages aux salariés de Cooper Card. De quoi renforcer sa position sur ce marché au Brésil et y renforcer sa longueur d’avance. Dans un autre secteur, et à contre-courant du marché automobile, Valéo a accéléré ses cadences en Chine dès le mois d’avril, allant jusqu’à afficher une croissance de 4% de sa production en année glissante. Nul doute que le pricing power de ces deux groupes sortira renforcer de la séquence actuelle.
La deuxième leçon, c’est que pour être opérant, le pricing power a besoin d’un cadre (sécurité, respect du droit, mobilité…). Or certains chocs exogènes peuvent priver provisoirement certaines valeurs du cadre minimum nécessaire à l’exercice de leur Pricing Power. C’est le cas du luxe. Alors que celui-ci foisonne de valeurs à pricing power structurellement fort, du fait notamment de la présence de savoirs-faires discriminants et de marques très puissantes, la privation de mobilité pour la moitié de la population mondiale pendant une durée conséquente a durablement affecté l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur. A quoi bon proposer une gamme de produits désirables dont les prix élevés sont largement acceptés par les clients, si l’acte d’achat s’inscrit dans une expérience clients désormais physiquement impossible ?
Pour les investisseurs, l’enjeu de cet environnement exceptionnel est donc double. Il s’agit tout d’abord de déceler les valeurs suffisamment agiles pour parvenir à entretenir, voire à enrichir leur pricing power dans l’environnement actuel. Mais l’objectif est aussi d’opérer des arbitrages en fonction de la vulnérabilité de chaque secteur à la disparition du cadre d’exercice minimum de son activité.