par Benjamin Dubois, Responsable Overlay chez Edmond de Rothschild Asset Management
La panique financière liée à la crise de la COVID-19, et la mise à l’arrêt de l’économie mondiale, ont été maîtrisées par des plans budgétaires, ainsi que par l’action des banques centrales sur le plan monétaire. Après avoir vu le dollar s’apprécier fortement au cœur de la crise, porté par les craintes d’un « shortage » de dollar (traduit littéralement par pénurie), le billet vert se trouve à présent dans une configuration fortement baissière : l’indice DXY en baisse de 9% depuis les sommets, et de 3% depuis le début d’année[1]. Plusieurs raisons expliquent ce désamour actuel des investisseurs envers la devise qui a été la plus recherchée depuis la fin de la crise de la dette européenne (2011-2012).
Le dollar est la seule devise au monde à bénéficier d’un statut de « valeur refuge » un peu particulier. En effet le dollar est très demandé lors des périodes de stress, comme le sont généralement le Franc Suisse et le Yen, sans en avoir toutes les caractéristiques macroéconomiques.
Le dollar a néanmoins joué pleinement son rôle de valeur refuge lors de la crise de la COVID-19, profitant de son statut de devise du commerce mondiale plus précisément. Au plus profond de la crise, le dollar américain s’est alors envolé dans une crainte de pénurie, d’une part au travers d’un rush des investisseurs vers les bons du Trésor américain, considérés sans risque, et d’autre part un grand nombre d’états et d’entreprises étaient demandeurs de liquidité en dollar pour leur bon fonctionnement durant cette panique financière.
La banque centrale américaine, après avoir baissé les taux en urgence de 1.5% en début de crise (baisses inédites depuis la crise financière de 2008), a réagi rapidement sur les problèmes de liquidité autour du dollar. Voyant le marché commencer à se distordre, la Fed a très rapidement apporté un afflux de liquidité sans précédent à travers son marché du Repo[2] à New-York, mais également en mettant en place des lignes de swap[3] avec la plupart des grandes banques centrales mondiales. Ces actions ont eu pour objectif de réduire graduellement les tensions sur le marché à terme.
L’inflation et les taux réels en embuscade
La baisse des rendements des obligations gouvernementales américaines, entraînée par une demande croissante d’actifs qualifiés sans risque (bons du trésors américain), implique mécaniquement une baisse des taux réels si les prévisions d’inflation ne varient pas. Or, depuis le cœur de la déroute financière en mars, les prévisions d’inflation sont remontées à des niveaux d’avant crise (environ 1.9% annualisé sur 5 ans), tandis que les rendements américains sont, eux, restés au tapis (0.3% sur 5 ans) [4]. Un bref calcul nous conduit à un taux réel 5 ans à -1.5%, son plus bas niveau depuis fin 2012. A l’époque, l’indice US dollar (DXY) qui représente la performance du dollar américain contre un panier de devises majeures était plus faible d’environ 17% par rapport au niveau du 30 septembre 2020.
Cette baisse des taux réels profondément en territoire négatif impacte directement ce qui constituait un élément de base de la performance du dollar vs G10 depuis 2012.
La Fed a alors réagi lors de la réunion des banquiers centraux annuelle à Jackson Hole. Jerome Powell a annoncé que la banque viserait à présent une "moyenne" d'inflation de 2%, plutôt que de faire de 2% un objectif fixe, ce qui lui donnera plus de flexibilité. Ce qui signifie également que les membres du FOMC seront plus complaisants face à tout dépassement de cette limite à la hausse. Dans son même discours, Jerome Powell a cité un horizon de temps « en années », laissant la porte ouverte aux taux bas (négatifs ?) aux Etats-Unis pendant quelques temps…
L’incertitude présidentielle
Joe Biden et les Démocrates sont en tête dans les sondages. La politique qui pourrait être mise en place en cas de « vague bleue » serait plus sociale, moins pro-business, avec une remontée des taxes pour les entreprises et une augmentation de la dépense publique. Selon nous, cette victoire serait défavorable à l’économie et à l’image du paradis du business qu’ont les investisseurs étrangers, entraînant mécaniquement une baisse de l’attrait économique. D’autant plus que les taux ont fortement chuté récemment.
Une réélection de Trump ne sera probablement pas plus synonyme de renforcement du dollar : son comportement et son imprévisibilité restent problématiques pour les investissements de long terme, alors que la FED a déclaré mettre tout en oeuvre pour soutenir l’économie aussi longtemps qu’il le faudra.
Les investisseurs et allocataires étant par nature frileux vis-à-vis de toutes incertitudes, la situation sur le dollar devrait rester floue le temps que la victoire d’un camp ou de l’autre ne se dessine clairement. En attendant le résultat de l’élection début novembre, nous verrons très certainement une augmentation de la volatilité sur le dollar et restons prudents quant à la direction que le billet vert prendre en octobre.
Cependant, sur un horizon de temps plus long, le changement de ton de la Fed envers l’inflation, et le discours de Jackson Hole indiquent clairement que la banque centrale américaine va soutenir de toutes ses forces l’économie, supprimant ce qui, entre autres, a fait la robustesse du dollar ces 8 dernières années : le différentiel de taux réels avec les autres pays.