par Florian Roger, économiste chez Crédit Agricole AM
Au cours de la semaine écoulée, de nombreuses statistiques économiques ont déçu les marchés. L’ISM manufacturier est ressorti à 52,6 alors que le consensus attendait 54. L’enquête des Payrolls a révélé que 263000 emplois avaient été détruits en septembre alors que seulement 150 000 pertes étaient escomptées. L’indice du Conference Board, qui mesure la confiance des consommateurs a légèrement rebaissé, passant de 54,5 à 53,1 alors qu’il commençait tout juste à remonter et qu’il se situe encore bien loin de sa moyenne de long terme (proche de 95).
Ces déceptions mettent un coup d’arrêt à la dynamique de surprises macro-économiques positives qui tire le marché à la hausse depuis plusieurs mois. Il faut dire que ce dernier devient de plus en plus exigeant. Un ISM à 54 correspond historiquement à une croissance autour de+3% en glissement annuel, soit le double des anticipations du FMI. Une partie du marché parie ainsi sur un profil de croissance en "V", extrapolant l’impact positif des stimuli budgétaires à l’ensemble des données macro-économiques.
Seulement, les mesures de soutien ne concernent que certains secteurs et surtout elles ne sont que temporaires. Leur arrêt implique mécaniquement une rechute des statistiques publiées dans une économie encore fragile et convalescente. Il est donc normal que les chiffres économiques soient empreints d’une forte volatilité, d’autant que les effets de base sont colossaux, vu la brutalité de la contraction de l’activité au cours des derniers trimestres. Par conséquent, les chiffres du PIB du T3 2009 devraient être bien plus flatteurs que ceux du T4 2009, grâce au surplus de ventes de véhicules dû la prime à la casse.
Cependant, il ne faudra pas tirer de conclusions trop hâtives, en se disant que la reprise n’a été qu’un feu de paille et que les Etats-Unis se dirigent inexorablement vers un retour en récession. En effet, plus que du bruit dans les statistiques, le policy mix agressif mené de concert par la Fed et le Trésor semble fondamentalement avoir permis à l’économie américaine de sortir du chemin de la dépression, en apportant une stabilisation de la sphère financière et une décrue massive des primes de risque.
En 2010, ces améliorations sur le front financier devraient se traduire par un rebond relativement conséquent de l’investissement productif. En effet, au pire de la crise, les entreprises ont coupé leurs dépenses d’investissement, certes parce que les perspectives de demande apparaissaient particulièrement affaiblies, mais surtout parce qu’elles ne disposaient pas de latitude financière pour agir autrement.
Cette diminution non linéaire des dépenses d’investissement a donc surpris par son ampleur le consensus des économistes, le FMI, l’OCDE, les investisseurs, qui, tous, ont dû revoir à la baisse leur prévisions pour 2009.
Dans la théorie économique, ces mécanismes qui relient les décisions d’investissement des agents à leur situation financière sont connus sous le nom « d’accélérateur financier ». Ils ont notamment été mis en évidence par Bernanke & Gertler en 1995. Divers travaux empiriques, qui ont été entrepris pour mesurer ce phénomène, montrent qu’en période de stress financier, la baisse de l’investissement est amplifiée de l’ordre de 40%. En phase de reprise, cette baisse supplémentaire n’est qu’en partie récupérée par les entreprises, car celles-ci ajustent leur programme d’investissement à des perspectives de demande souvent affaiblies et en profitent pour essayer de bénéficier de gains de productivité. Néanmoins, les études économétriques indiquent que l’investissement bénéficie tout de même d’un effet accélérateur de l’ordre de +25%. Ces effets se font généralement ressentir deux ans après le pic de la crise.
Si l’on transpose les résultats de la théorie économique à la situation actuelle, l’investissement devrait être impacté lors du second semestre 2010. De plus, c’est à ce moment que les effets du plan de relance Obama devraient se faire ressentir sur l’investissement. Des effets d’accélérateur financier conjugués à ceux de multiplicateur keynésien, voilà un cocktail qui pourrait bien surprendre positivement le consensus sur les dépenses des entreprises au cours de l’année 2010.
Naturellement, au préalable, il est impératif que les entreprises puissent anticiper a minima une stabilisation de la demande, ce qui nécessite une fin des destructions d’emplois dans les deux prochains trimestres (le contraire impliquerait vraisemblablement une situation de « trappe à la liquidité » et briserait les effets positifs potentiels). Si tel est le cas, comme nous l’anticipons dans notre scénario central, le profil de croissance 2010 devrait se révéler heurté et bénéficier d’effets positifs sur l’investissement. Contrairement à une grande partie du consensus, nous ne prévoyons donc pas une reprise linéaire, avec une convergence rapide vers un rythme de croissance potentiel « deleveraged ». De nombreux effets techniques liés au contre-choc financier et à la mise en œuvre des mesures fiscales vont encore impacter le profil de croissance sur 2010. Historiquement, les sorties de récession n’ont jamais été linéaires. Les facteurs aujourd’hui en jeu sur les plans fiscaux et financiers devraient une fois de plus conduire à une telle conclusion.