par Mark Lacey, Responsable en matières premières et transition énergétique, Alexander Monk et Felix Odey, Analystes chez Schroders
L’élection du candidat démocrate Joe Biden à la présidence des États-Unis insuffle à la transition énergétique une dynamique positive supplémentaire. J. Biden a déclaré qu'il s'engage à lutter contre le changement climatique et à soutenir les énergies propres.
Les républicains pourraient bien conserver le contrôle du Sénat, l’élection partielle des sénateurs en Géorgie étant prévue ultérieurement. L’absence de majorité au Sénat pourrait entraver certaines des politiques d'énergie verte les plus ambitieuses des démocrates. Toutefois, il nous semble que le succès de la transition énergétique n’est pas lié à l'identité du président ou à la composition du Congrès.
Ces dernières années, la transition vers les énergies propres et l’abandon des combustibles fossiles s'est considérablement accélérée aux États-Unis, ce qui est largement dû aux efforts déployés par les États individuellement. Les États ont agi non seulement en raison de leurs propres préoccupations concernant le changement climatique, mais aussi parce que les arguments économiques en faveur des énergies propres sont trop convaincants pour être ignorés, tout comme la demande des consommateurs d'énergie.
Trois grandes économies s'engagent en faveur du « zéro net carbone »
Joe Biden cible une production d’électricité sans émission de carbone aux États-Unis d'ici 2035, avec pour objectif d’atteindre le zéro net carbone en 2050. L'Union européenne s’est également fixé cet objectif d'ici 2050. Parallèlement, la Chine a récemment dévoilé son premier engagement en faveur de la neutralité carbone, à l’échéance 2060.
Cela signifie que, pour la première fois, les trois plus grands blocs économiques du monde sont engagés en faveur d’un avenir avec un bilan carbone à zéro. L'UE, les États-Unis et la Chine représentant 55 % des émissions de carbone totales, leurs objectifs climatiques ambitieux sont absolument essentiels. Les échéances à 2050 exigent que des mesures pour accélérer la transition énergétique soient prises dès maintenant, l’adoption accrue des énergies renouvelables étant cruciale pour le respect de ces engagements.
Sous J. Biden, les États-Unis devraient également rejoindre l'Accord de Paris dont l’objectif est de contenir la hausse de la température de la planète en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Le président Trump avait retiré les États-Unis de l'accord, le départ officiel devant intervenir le lendemain de l’élection en novembre.
Il n’y a pas que sur la scène mondiale que nous anticipons une amélioration de la coordination. La présidence de J. Biden devrait conduire à un plus grand consensus sur la transition énergétique entre la politique du gouvernement fédéral et la politique des États.
Les investisseurs dans le domaine de la transition énergétique peuvent s’en féliciter. Nous tenons toutefois à souligner que le secteur a connu une croissance très importante aux États-Unis ces derniers temps, malgré l'absence de soutien politique au niveau fédéral. En effet, les graphiques ci-dessous mettent en évidence la croissance des capacités éoliennes et solaires aux États-Unis ces dernières années.
Les États ont pris les devants
Cette croissance s'explique par le fait que de nombreux États américains se sont fixés leurs propres objectifs en matière d'énergies propres, sans attendre que le gouvernement fédéral montre la voie. À titre d'exemple, juste avant l’élection présidentielle du 3 novembre, les autorités d'Arizona ont voté pour rejoindre la liste croissante des États qui s'étaient déjà engagés à atteindre 100 % d’électricité sans carbone d'ici 2050.
Les engagements pris par les entreprises ont également contribué à accélérer la transition énergétique aux États-Unis. Par exemple, en juin cette année, Tucson Electric Power a annoncé la fermeture de ses centrales à charbon en Arizona d'ici 2032, avec l'objectif que 70 % de la production d’électricité provienne de sources renouvelables en 2035.
Pour des États comme l'Arizona, l'impact du changement climatique se fait de plus en plus sentir, sous la forme de canicules toujours plus sévères. Mais de nombreux États et entreprises ont pris les devants pour la transition énergétique, certes pour des considérations climatiques mais aussi pour des raisons purement économiques.
Les sources d'énergie renouvelables ont déjà atteint la parité de coût avec les combustibles fossiles. Plus précisément, comme le montre le graphique ci-dessous, les énergies solaire et éolienne terrestre sont compétitives par rapport au pétrole et le gaz, et l’éolien en mer est compétitif par rapport au charbon. Cela signifie que le recours aux énergies renouvelables est non seulement le bon choix pour l'environnement, mais aussi une option raisonnable économiquement.
Les projets de J. Biden vont impulser un nouvel élan
Joe Biden a promis 2 000 milliards de dollars d'investissements fédéraux dans les énergies propres et l'environnement au cours des quatre prochaines années. Comme c'est souvent le cas avec les manifestes politiques, des objectifs généraux sont annoncés, mais les détails sur la mise en œuvre sont maigres à ce stade. Toutefois, des progrès semblent probables dans certains domaines spécifiques.
L’accent est mis sur les véhicules électriques, Biden planifiant d’installer au moins 500 000 stations de recharge publiques à travers le pays. Il devrait également accorder des crédits d'impôt pour les achats de véhicules électriques.
J. Biden a promis de réformer et d'accorder des crédits d'impôt pour les installations solaires et éoliennes ; les crédits d'impôt existants ont été réduits au cours des dernières années.
Les démocrates au Congrès ont également fait campagne en faveur d'une option de « d’incitation fiscale directe » qui permettrait d'utiliser l'argent fédéral pour financer directement des projets d'énergie verte plutôt que par le biais de crédits d'impôt. J. Biden devrait soutenir cette solution qui pourrait être particulièrement utile à court terme, la crise de la Covid-19 ayant perturbé les modes de financement existants.
Une extension des crédits d'impôt pourrait être pertinente pour l'industrie éolienne en mer. Les projets pâtissent souvent des retards dans la délivrance des permis qui affectent la capacité d'un promoteur à demander un crédit d'impôt au cours d'une année donnée comme prévu.
De fait, les autorisations de développement de l'éolien en mer sont un autre domaine où Joe Biden peut apporter des changements. Par un récent décret, le président Trump a suspendu pour dix ans les nouveaux projets énergétiques en mer en Caroline du Nord, en Caroline du Sud, en Géorgie et en Floride. L'interdiction s'applique aussi bien à l'éolien qu’au pétrole et au gaz, ce que J. Biden pourrait vouloir modifier.
Une telle mesure serait certainement utile aux promoteurs dans ces États, mais d’autres États ont déjà pris l'initiative en ce qui concerne l'éolien en mer. Le graphique ci-dessous montre que de nombreux projets sont déjà prévus.
Sans majorité démocrate au Sénat, la marge de manœuvre de J. Biden en matière de dépenses fédérales dépendra de ce que le Congrès voudra bien approuver et de ce qui pourra être fait par décret en contournant le Congrès. Mais comme nous l'avons vu, les États, qu’ils soient rouges ou bleus, prennent déjà l'initiative de la transition énergétique.
L’engagement sur la voie de la neutralité nette
Nous soutenons depuis longtemps que trois facteurs créent ensemble les conditions d'un tournant décisif pour la transition énergétique : la volonté politique, la rentabilité et la demande des consommateurs. Une attitude plus constructive de la Maison Blanche est certainement un élément important de cette volonté politique, tant au niveau international qu'aux États-Unis.
Mais la transition énergétique est un changement structurel à long terme qui ne dépend pas que d'une seule personne. Des mesures comme rejoindre l'Accord de Paris sont importantes, mais ce n'est que le début d'un parcours sur plusieurs décennies qui transformera la façon dont l'énergie est produite et consommée à l'échelle mondiale. Pour les investisseurs, il s'agit d'une opportunité à long terme qui n'est pas liée à l’évolution du paysage politique américain.