De la crise financière à la récession

par Philippe d’Arvisenet, directeur de la recherche économique chez BNP Paribas

Dans un contexte marqué par un envol de l’aversion au risque, la chute des prix d’actifs et la montée des pertes ont provoqué, mi-septembre, l’éclatement d’une crise majeure qui ne sera pas sans conséquences pour l’économie réelle. La croissance mondiale, de 5% en 2007 et de 3,9% en 2008, serait limitée à 3% au plus l’an prochain. L’apport de liquidité par les autorités monétaires pour des durées plus longues, contre des actifs risqués et son élargissement aux banques d’investissement, n’a plus suffi à calmer le jeu.

La liquidité tend à prendre le pas sur la solvabilité. Certes, les grandes banques d’investissement américaines s’appuyaient sur des leviers financiers élevés. Mais certaines banques moyennes, notamment européennes, en proie à des difficultés de refinancement, présentaient des ratios de solvabilité très confortables au regard des normes prudentielles. 

Le problème posé n’était plus seulement celui de la solvabilité, il est aussi devenu aussi et surtout celui de la liquidité. Lorsqu’un marché est devenu illiquide, la vente d’actifs se réalise à des prix artificiellement bas, déconnectés des fondamentaux, la comptabilisation en marked to market débouche sur l’extériorisation de pertes. Si, par ailleurs, la recapitalisation est difficile, l’un des moyens de réduire le levier financier est de se rapprocher d’entités mieux capitalisées. L’examen des opérations de la vague récente de fusions-acquisitions bancaires suscitée par la crise montre que le levier de la cible n’est pas, loin s’en faut, systématiquement inférieur à celui de l’acquéreur. Une entité dont les ressources dépendent largement du marché peut se rapprocher d’une entité bénéficiant de ressources plus stables (dépôts). Il s’agit, en effet, davantage d’une crise de liquidité que d’une crise de solvabilité même si, en théorie, la comptabilité en marked to market tend à rendre inopérante la distinction traditionnelle entre liquidité et solvabilité. 

De fait, une vague de consolidation impressionnante à la fois par son ampleur et sa rapidité a immédiatement suivi l’éclatement de la crise tandis que les autorités monétaires amplifiaient leurs interventions et que, par ailleurs, les gouvernements étaient amenés à renforcer les fonds propres de certaines banques.

La mise sous conservatorship, en clair la nationalisation, des agences Fannie Mae et Freddie Mac le 7 septembre, mesure accompagnée de l’apport jusqu’à 100 milliards de dollars à chacune des agences et de l’achat de titres adossés au crédit hypothécaire, n’a pas ramené le calme. Cette décision était difficilement contournable. Les agences qui détiennent près de la moitié de la titrisation hypothécaire étaient, après la chute de l’activité de titrisation privée, seules capables de permettre la poursuite du fonctionnement du marché hypothécaire. Par ailleurs, il fallait tenir compte des intérêts de leurs créanciers. Rappelons, à cet égard, que les créances de l’étranger se montent à 35% du pool de titres détenus par les Government Sponsored Enterprises (GSEs), dont 23% pour les banques centrales étrangères. Cette décision a abouti à alléger le coût de financement des agences, le taux des prêts hypothécaires à 30 ans est revenu de 6,25% le 3 septembre à 5,79% une semaine plus tard, provoquant un rebond des refinancements hypothécaires (+88% dans la semaine s’achevant le 12 septembre). 

L’annonce d’un programme budgétaire de soutien au secteur bancaire a, par la suite, inversé cette évolution : le taux des mortgages à 30 ans se montait à 6,38% le 16 octobre. L’objectif est de voir le bilan des agences se contracter à partir de 2010 mais, à court terme, en revanche, il s’agissait d’assurer la continuité du fonctionnement du marché hypothécaire. Après que l’on a laissé Lehman Brothers déposer son bilan (éviter l’aléa moral ?) et se placer sous la protection du Chapter 11, le 15 septembre, après la reprise du premier assureur mondial AIG, le 16 septembre, (1 000 milliards de dollars d’actifs) par l’Etat, avec les opérations de consolidation (Merrill Lynch reprise par Bank of America le 15 septembre, Washington Mutual par JP Morgan le 25 septembre, avec le passage des deux investment banks Morgan Stanley et Goldman Sachs (1 500 milliards de dollars d’actifs) sous forme de holdings et sous la supervision de la FED (le 21 septembre), le traitement au coup par coup n’était plus, lui non plus, suffisant(1). 

Un plan d’ensemble a été proposé par l’exécutif, le Troubled Assets Relief Program(TARP). Celui-ci se proposait de reprendre les mauvaises créances jusqu’à USD 700 milliards. Dans un tel dispositif de ce type, la question centrale est le prix. A prix de marché, par exemple à un tiers de la valeur finale, l’incitation à dégager les créances peut se trouver limitée et ne guère aider les banques ; à un prix nettement plus élevé, c’est la défense de l’intérêt du contribuable qui paraît mise en question(2).

En dépit des aménagements négociés, la Chambre des Représentants a rejeté ce plan le lundi 29 septembre. Une nouvelle mouture a été adoptée le 3 octobre. Elle donne la possibilité à l’Etat de prendre des participations dans les établissements qui participeront au programme, prévoit de limiter la rémunération des dirigeants, tandis que l’assurance sur les dépôts se voit portée de 100 000 à 250 000 dollars, avec la possibilité ouverte pour le FDIC de s’endetter auprès du Trésor. Aquoi s’ajoutent des mesures d’allègement fiscal en faveur des énergies nouvelles, de la recherche-développement et surtout un ajustement de l’alternative minimum tax qui bénéficiera à vingt-quatre millions d’Américains.

Le défaut de Lehman a entraîné une vague de défiance qui s’est traduite par une envolée des spreads de crédit et des taux interbancaires (l’écart 3 mois par rapport aux Fed funds touchant les 180 points de base) et par une fuite vers la sécurité amenant le rendement des T-Bills à tout juste 2 points de base (18 septembre). Le TED (écart dollar 3 mois/T-Bills), un bon indicateur du stress, a touché les 300 points de base. La Fed a été amenée, le 15 septembre, à étendre aux obligations investment grade (et plus seulement AAA) le papier apporté par les banques aux opérations de refinancement. En outre, la ligne de swap en faveur des autres banques centrales a été portée en plusieurs fois à 620 milliards de dollars le 29 septembre, avec échéance avril 2009. Cette ligne bénéficie aux Banques d’Angleterre, du Japon et d’Australie, ainsi qu’à la banque centrale de Chine et aux trois banques centrales scandinaves. Depuis, les injections de dollars par la BoE, la BCE et la BNS ne sont plus plafonnées. 

Le secteur des fonds monétaires a été lui aussi touché, un fonds ayant vu la valeur de ses actifs s’effondrer du fait de son exposition à des titres émis par Lehman. Le 19 septembre, le Trésor a annoncé qu’il garantirait les actifs de ces fonds à hauteur de 50 milliards de dollars. Ces fonds, qui gèrent 3 400 milliards de dollars d’actifs, doivent continuer à opérer normalement pour assurer le financement de l’économie (entreprises, collectivités locales…). Le 7 octobre, la Fed a annoncé la création de la “Commercial Paper Funding Facility” consistant à acheter du papier auprès d’émetteurs privés confrontés à un marché asséché. La vente à découvert de titres financiers a été temporairement suspendue.

Le sauvetage d’AIG avec une ligne de crédit de 85 milliards de dollars (en contrepartie d’une prise de participation au capital de 79,9%) était difficilement évitable. AIG avait une exposition notionnelle de 441 milliards de dollars sur le marché des CDS (dont 58 exposés ausubprime). Ses contrats avec les banques se montaient à 307 milliards de dollars. La hausse des défauts et les exigences de collatéral, qui en seraient découlées, étaient de nature à provoquer des dégradations de notation qui, compte tenu de l’importance des assurances consenties par AIG, auraient pu déboucher sur la matérialisation d’un risque systémique majeur. Le sauvetage permet de gagner du temps pour rétablir sa situation de façon ordonnée. Le prêt consenti à AIG a été, depuis lors, accru de 38,7 milliards de dollars. La vague de défiance consécutive à la faillite de Lehman a touché violemment l’Europe. Dans la semaine s’achevant le 5 octobre, Bradford & Bingley au Royaume-Uni est passé sous le contrôle de l’Etat, de même que Fortis dont les actifs ont été repris finalement par les gouvernements du Benelux et BNP Paribas, l’Islande a pris le contrôle de Giltnir, Dexia a été recapitalisé par les gouvernements français, belge et luxembourgeois, en Allemagne, c’est Hypo Real Estate qu’il a fallu secourir. Dans un tel contexte de nationalisations forcées, les rumeurs vont bon train, les discussions concernant un plan paneuropéen se poursuivent. La décision irlandaise de garantir l’intégralité des dépôts témoigne d’un manque flagrant de coordination, qui a mené certains Etats européens à relever le plancher de l’assurance des dépôts (de 35 000 à 50 000 £ dans le cas du Royaume-Uni par exemple). Les gouvernements de l’Union européenne, suite à la réunion du G7 les 11 et 12 octobre 2008, ont établi un cadre commun pour les plans d’intervention nationaux, lesquels pourraient potentiellement mobiliser 1 873 milliards d’euros. Ces plans ont pour objectif de renforcer les fonds propres des banques et d’améliorer leurs conditions de refinancement. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a prévu de consacrer jusqu’à 50 milliards £ à la recapitalisation des banques (37 milliards ont déjà été utilisés) et un montant comparable pour la garantie des prêts interbancaires. En Allemagne, les montants correspondants sont de 100 et 400 milliards d’euros. En France, les montants alloués à la recapitalisation des banques s’élèvent à 40 milliards d’euros et ceux destinés à améliorer leur refinancement à 320 milliards(3). Le gouvernement a décidé, le 14 octobre, d’utiliser USD 250 milliards afin de recapitaliser les établissements de crédit sur la base du volontariat via l’achat d’actions de préférence.

Pendant ce temps, les banques centrales ont dû accentuer leurs interventions face à l’exacerbation des tensions sur les marchés interbancaires (l’écart Libor 3 mois OIS a atteint un nouveau record à 260 points de base). Le 8 octobre, une baisse concertée de 50 points de base a été décidée par six banques centrales comme la FED, la BoE, la Banque de Suède, la Banque du Canada, la Banque Nationale Suisse et la BCE. Cette dernière a ramené l’écart entre son taux marginal et son taux refi à 50 pb (au lieu de 100) à l’image de la Fed en 2007. Elle a également modifié ses procédures d’adjudication, satisfaisant toute la demande de refinancement de taux fixe lors de ses adjudications hebdomadaires. Le 15 octobre, la BCE a indiqué qu’elle élargissait le pool de collatéraux éligibles de A- à BB- et qu’elle accepterait désormais les certificats de dépôts non réglementés.

La FED a vu son bilan particulièrement accru en septembre, tandis que sa structure continuait à se déformer. Les actifs de la FED ont atteint 1 772,4 milliards de dollars le 15 octobre contre 880,4 milliards au début de juillet 2007. La part des actifs classiques (treasuries) est passée de 790 milliards de dollars au début juillet 2007 à 476 milliards de dollars, tandis que les prêts accordés dans le cadre des nouvelles facilités s’envolaient, atteignaient 263 milliards de dollars pour le term auction credit et 105,7 milliards de dollars pour le primary dealer credit. La nouvelle facilité qui finance l’achat d’asset backed commercial paper auprès de fonds monétaires (money market mutual funds) s’élève à 129,6 milliards de dollars.

Les débats se poursuivent aux Etats-Unis quant à l’opportunité d’assouplir les normes comptables dans le contexte de marché illiquide. Par ailleurs, malgré les difficultés techniques que cela comporte (hétérogénéité des produits), il est envisagé de créer une chambre de compensation sur les CDS.

Ralentissement américain : la contagion

Dès l’an dernier, nous avions repoussé toute idée (tout rêve ?) de découplage. La question, naturellement, ne se pose plus aujourd’hui, non seulement l’Europe est en récession mais le Japon ne se porte guère mieux et les émergents sont entrés dans une phase de net ralentissement. 

L’activité économique américaine est appelée à se contracter jusqu’au milieu de l’an prochain. La croissance du PIB, limitée à 1,4% en 2008, ferait ainsi place à une légère diminution en 2009. Les Etats-Unis connaîtront ainsi une nouvelle année de croissance inférieure au potentiel (estimé à près de 3%). Sans la contribution du commerce extérieur, la progression du PIB (2,8% au deuxième trimestre) aurait fait place à une légère contraction. L’indice ISM manufacturier a chuté en septembre à un niveau (43,5 contre 49,9 en août) en ligne avec l’amorce d’une entrée en récession. Toutes les composantes ont considérablement fléchi, qu’il s’agisse de la production (40,8 après 52,1) ou des commandes (38,8 après 48,3), le ralentissement global touche les exportations avec un indicateur de commandes étrangères se repliant de 57 à 52, la baisse de la production manufacturière enregistrée en août paraît ainsi appelée à se poursuivre. L’ISM des services ne s’est que très légèrement replié dans les derniers mois (50,1 en moyenne au troisième trimestre, après 50,6 au second), il restait inscrit au-dessus de la barre des 50 en septembre (50,2). (Cf. graphique 1). Ainsi, un net affaiblissement de l’économie était annoncé avant même l’exacerbation de la crise financière en septembre-octobre. Mais celle-ci a ouvert la porte à la récession.

La baisse des prix immobiliers a mené à un rétablissement de l’ affordability index (ratio du prix médian d’un logement au revenu médian). Toutefois, l’attentisme des ménages et la contraction que connaît l’offre de crédit conduisent à déprimer les ventes (-10,7% en glissement annuel en août contre il est vrai -24% il y a six mois). Le secteur immobilier ne retrouvera son équilibre qu’avec la stabilisation des prix. Ces derniers affichent un recul de 16,3% en glissement annuel en juillet (indice Case Shiller), même si le rythme de décrue donne des signes de ralentissement, les ventes continuent à se replier (-35,5% en glissement annuel pour les maisons neuves en août et -15% pour les maisons anciennes).

Les stocks (10,4 mois de vente pour ces dernières contre 11,2 en avril) demeurent très au-dessus de la normale de 5 ou 6 mois) et les saisies (+26,7% en glissement annuel en août) continuent à peser. Nous attendons une décrue supplémentaire des prix de l’ordre de 15%. L’interruption de la contribution négative du secteur de la construction à l’activité économique n’est pas attendue avant la mi-2009. L’effet du stimulus budgétaire sur la consommation des ménages est désormais épuisé, la détérioration du marché du travail, le retournement à la baisse de l’effet de richesse, le durcissement des conditions d’accès au crédit et la chute de la confiance des ménages annoncent un freinage de la consommation. Le soutien budgétaire de l’ordre de 110 milliards de dollars concentré sur le deuxième trimestre n’a fait qu’à peine contrebalancer les incidences négatives de la poussée de l’inflation, de la contraction de l’emploi, de la réduction du rythme de l’endettement et de l’effet de richesse devenu négatif. Les comptes nationaux ont, en effet, fait état d’une hausse de la consommation limitée à 1,2% au deuxième trimestre, l’accélération par rapport aux trimestres précédents (0,9% au quatrième trimestre 2007 et 1% au premier trimestre 2008) est toute symbolique. En l’absence de ce soutien, la consommation décélère (0% m/m en août après -0,5% en juillet et -0,2% en juin), les ventes au détail chutent : -0,6% en juillet (en termes nominaux), -0,4% en août et -1,2 en septembre. Cela annonce une nette contraction au troisième trimestre pour la première fois depuis 1991.

On assiste, en réalité, à un retour de la consommation à ses déterminants traditionnels. Au cours des dernières années, plus précisément jusqu’à 2006, les ménages ont pu maintenir une croissance de leur consommation dépassant celle de leur revenu disponible brut (RDB) (ayant lui-même bénéficié de l’incidence de plusieurs vagues d’allègements fiscaux) grâce à l’effet de richesse et à un recours accru à l’endettement, le second étant en partie rendu possible par le premier, il en est résulté un affaissement régulier du taux d’épargne, revenu à la fin de 2007 à quelques dixièmes de point à peine. La prise en compte de ces éléments dans une équation de la consommation permet d’aboutir à des résultats économétriques nettement plus robustes que ceux tirés d’une équation uniquement fondée sur le revenu. Cela n’est pas pour étonner, ainsi, de 2003 à 2006, la progression annuelle moyenne de la richesse a été de 17 points de RDB pour sa composante immobilière et de 39 points pour sa composante financière. Au-delà de leur effet psychologique (confiance), ces évolutions ont permis la réalisation de plus-values (les ménages sont vendeurs nets d’actions) et l’extraction de liquidité (cash equity withdrawal). 2007 marque un tournant. De la mi-2007 à la mi-2008, la richesse a entamé une contraction qui dépasse les 15 points de RDB, et la hausse du crédit a été ramenée à 4,7 points. La consommation devient contrainte par l’évolution du revenu. Compte tenu de la baisse de l’emploi et de la modération des rémunérations, le seul élément positif susceptible d’apporter un soutien à la consommation réside dans la décrue (attendue) de l’inflation.

Le marché du travail connaît une très nette étérioration, avec huit mois consécutifs de baisse des effectifs. L’emploi s’est contracté de 71 000 en moyenne mensuelle au deuxième trimestre, puis de 100 000 au troisième. En septembre, la contraction a atteint 159 000, le plus fort repli depuis mars 2003. Le taux de chômage est resté stable en septembre, à 6,1% contre 4,9% six mois plus tôt, marquant une hausse sans précédent depuis 1982. Cette poussée du chômage tient à plusieurs facteurs : allongement de la durée moyenne du chômage (18,4 semaines contre 16,7 en septembre 2007), augmentation des pertes d’emploi (5 171 K contre 4 827 en août et 3 622 en septembre 2007) et des entrées d’inactifs sur le marché du travail (2 533 K contre 2 154 en septembre 2007). Sans surprise dans ce contexte, le ratio d’insécurité, rapport des démissions au nombre de chômeurs, est passé de 11,58% à 10,28% sur un an. La progression du salaire horaire de 3,4% en glissement annuel (3,6% en août) reste très sensiblement inférieure au rythme de l’inflation. La composante emploi du ISM manufacturier a reculé en septembre (41,8 contre 49,7 en août), tout comme celle de l’ISM des services (41,8 contre 49,7), suggérant la poursuite de la détérioration des conditions du marché du travail, l’emploi étant une variable retardée de l’activité économique, le repli de l’emploi sera amené à se poursuivre dans les prochains trimestres. Le taux de chômage continuera d’augmenter pour atteindre, voire dépasser, les 7,5% dans le courant du deuxième trimestre 2009.

La confiance des ménages a néanmoins rebondi, en liaison avec la diminution des cours du pétrole, l’indice établi par le Conference Board, tombé de 62,8 en avril à 51 en juin, a atteint 59,8 en septembre, la composante des conditions présentes n’a pas suivi ce mouvement (58,8 contre 65 en août). Il est vraisemblable que les développements financiers récents et la dégradation du marché du travail viennent interrompre cette embellie.

L’investissement des entreprises paraît appelé à décevoir pendant plusieurs trimestres, sous l’effet du ralentissement de la demande, du resserrement des conditions de crédit et de la modération des profits. Avec un recul de la production industrielle de 1,6% sur les trois derniers mois (juin-août) par rapport aux trois mois précédents, le taux d’utilisation des capacités de production est tombé à 78,8%, niveau sensiblement inférieur à la moyenne de long terme. Déjà, l’investissement en équipement a connu deux trimestres successifs de baisse (-5% au deuxième trimestre après -0,6% au premier), tandis que les commandes de biens d’équipement marquaient un recul de 2% en août, venant contrebalancer les hausses des deux mois précédents (1,6% puis 0,4%). Le redressement des profits bruts des entreprises non financières s’est interrompu. Leur part dans le PIB, passée de 3,9% en 2003 à 8,5% en 2006, est revenue à 6,6% au second trimestre.

Les profits réalisés à l’étranger ont freiné la décrue des profits domestiques. Alors que les profits bruts domestiques ont affiché une progression annuelle moyenne de 38% l’an de 2003 à 2006, les profits réalisés à l’étranger augmentaient de 17% l’an. En 2007, cette configuration s’est inversée, les profits domestiques ont reculé de 3,2% tandis que ceux dégagés hors des frontières progressaient de 28,9%. A la lumière de cette évolution, l’essor des investissements directs à l’étranger n’est guère surprenant, il a atteint 250 milliards de dollars en données annualisées au premier semestre 2008, ce qui représente un quart de l’investissement brut intérieur et plus du double des investissements directs étrangers aux Etats-Unis. Depuis le début de 2008, malgré l’effet mécaniquement positif de l’affaiblissement du dollar, les profits dégagés par les sociétés non financières américaines à l’étranger se sont stabilisés, leur croissance en glissement annuel est revenue de 33,7% au premier trimestre à 26,4% au second, ralentissement mondial oblige ! 

La baisse des versements effectués au titre de l’impôt sur les sociétés et la stabilisation des dividendes distribués n’ont pas pu éviter un recul de l’épargne des sociétés, ce qui s’est traduit, en dépit d’un tassement de l’investissement brut, par un creusement de leur besoin de financement. Alors que les sociétés dégageaient un excédent de financement de 1,3 point de PIB en 2005, elles ont affiché un besoin de financement de 2,3 points de PIB au deuxième trimestre 2008.

Depuis la fin de l’an dernier, la contraction des acquisitions d’actifs financiers (600 milliards de dollars en données annualisées au premier semestre 2008 contre 1 027 milliards en 2007) et la modération sensible des rachats d’actions (434 milliards de dollars en rythme annuel au premier semestre contre 834 milliards en 2007) ont, cependant, permis un freinage de la hausse de l’endettement. L’accélération du milieu des années 2000 (6,1% en 2005, 9,4% en 2006, 13,2% en 2007) a laissé place à une évolution plus modérée (9,4% en glissement annuel à la mi-2008 et 7,2% en rythme annualisé au deuxième trimestre), le ratio de la dette de marché au PIB, passé de 45,4% en 2003 à 49,3% en 2007, s’est stabilisé dans les derniers trimestres. Notons, toutefois, que, si la part de l’endettement à court terme est restée à peu près stable, le ratio de couverture de la dette courte par des actifs liquides est revenu de 45,7% en 2005 à 35,9% le trimestre dernier, niveau comparable à celui du début des années 2000. 

Globalement, la situation financière des sociétés non financières reste fondamentalement solide, et leur réactivité devrait leur permettre de sauvegarder leur rentabilité. Ainsi, en dépit du ralentissement de l’activité, les gains de productivité horaire dans le secteur privé connaissent une nette accélération (1,4% en 2007, 3,4% en glissement annuel à la mi-2008), laquelle, conjuguée à une stabilité de la hausse des rémunérations (à environ 4% l’an), a permis de ramener la progression des coûts unitaires du travail de 2,8% en 2007 à 0,6% en glissement annuel à la mi-2008, rythme devenu inférieur à celui du déflateur de la valeur ajoutée dans le secteur privé (1,5% en glissement annuel à la mi-2008 contre 2% en 2007). 

Ces éléments plutôt rassurants ne doivent pas amener à conclure que la faiblesse actuelle de la conjoncture ne laissera pas de traces, notamment sur le plan des défauts, un indicateur retardé du cycle économique. Le taux de défaut sur les crédits industriels et commerciaux est tombé, l’an dernier, à un niveau historiquement bas de 1,2%, à comparer à une moyenne calculée sur vingt ans de 3,1%. Il est remonté à 1,7% au deuxième trimestre 2008. Le taux de défaut sur les crédits immobiliers commerciaux est passé de 1,1% en 2006 à 4,2% le trimestre dernier, dépassant ainsi sa moyenne historique de 3,6%. Une projection du taux de défaut sur le crédit industriel et commercial, fondée sur une estimation économétrique expliquant le taux de défaut par la croissance, les taux courts réels, le ratio de dette et l’indicateur de resserrement des conditions du crédit tiré de l’enquête Senior Loan Officer de la Fed, conduit à anticiper un quasi-doublement du taux de défaut entre 2008 et 2009. Sans qu’il soit possible, au regard du ralentissement de l’activité observé chez les partenaires commerciaux des Etats-Unis, d’extrapoler ses excellentes performances du second trimestre, le commerce extérieur devrait cependant continuer à apporter son soutien à l’activité. L’inflation s’est légèrement modérée, revenant de 5,6% en juillet à 5,4% en août et 4,9 en septembre, et devrait continuer à décélérer dans les prochains mois, à la fois sous l’effet du repli des prix de l’énergie et de celui de la conjoncture déprimée. L’inflation sous-jacente (2,5% en glissement en août) est appelée à plafonner. Les composantes de l’indice des prix liées à l’immobilier se modèrent sensiblement, le owners equivalent rent a vu sa progression mensuelle diminuer de 0,26% à 0,14% sur les trois derniers mois, les loyers devraient suivre la même tendance (0,3% en août contre 0,4 deux mois plus tôt). 

Les incidences de ces développements sur la formation des anticipations sont déjà sensibles ; en un mois, les anticipations d’inflation à court terme sont revenues de 4,8% à 4,3%, et les anticipations à long terme de 3,2% à 3% selon l’enquête mensuelle de l’Université du Michigan. L’entrée en récession et le repli des cours de l’énergie devraient contribuer à ramener l’inflation de 4,3% en moyenne cette année à 1,5% l’an prochain. L’objectif du taux des Fed funds est resté inchangé lors de la réunion du FOMC du 16 septembre suite à une décision unanime, la préoccupation anti-inflationniste est passée au second plan de celles des membres du Comité, les risques pour la croissance et pour l’inflation sont équilibrés (“the downside risks to growth and the upside risks to inflation are both of a significant concern to the committee”), toutes les options étaient ouvertes.

Avec l’exacerbation de la crise, et dans un souci de rétablir la confiance, une première baisse a été décidée de concert avec cinq autres banques centrales (voir plus haut) le 8 octobre. Le taux objectif des Fed Funds a été ainsi ramené de 2 à 1,5%. L’entrée en récession devrait conduire la Fed à abaisser ses taux à 1% d’ici à la fin de l’année. Le déficit budgétaire, limité à 1,3 point de PIB en 2007 (162 milliards de dollars), dépasse les 440 milliards de dollars en 2008 (2,7% du PIB). La récession, qui est appelée à peser sur les recettes fiscales, l’adoption attendue d’un nouveau plan de soutien par la prochaine administration (d’un montant au moins équivalant à celui adopté en février dernier), les mesures de sauvetage des agences (Fannie, Freddie), de AIG et les déboursements liés au TARP conduisent à envisager un déficit de l’ordre de 1 000 milliards de dollars en 2009 (6,1 points de PIB).

La zone euro

Dans la zone euro, après le recul du PIB observé au second trimestre, l’ensemble des enquêtes de conjoncture indiquait, avant même l’aggravation de la crise à compter de la mi-septembre, l’entrée en récession. L’activité devrait se contracter jusqu’à la mi-2009. La progression du PIB ne devrait être que d’à peine plus de 1% cette année contre 2,6% en 2007 et faire place à un recul en 2009 (-0,3%). Le PMI manufacturier a franchi la barre des 50 séparant expansion et contraction en juin dernier. Il est tombé à 45 en septembre (47,6 en août), toutes les composantes relatives à l’activité affichent un net retrait (composante production à 44,1 (47,6 en août), commandes (41,7 contre 44,6).

Les principales économies de la zone sont touchées (47,4 contre 49,7 le mois précédent en Allemagne, 43 contre 45,8 en France, 44,4 contre 47,1 en Italie et 38,3 contre 42,4 en Espagne). L’indicateur PMI pour le secteur des services résiste mieux à 48,4 en septembre contre 48,5 en août. Il s’établit encore légèrement au-dessus de la barre des 50 en Allemagne et en France (respectivement 50,2 et 50,1), légèrement en dessous dans le cas de l’Italie (49,4), mais il est franchement bas en Espagne (36,1). L’indice PMI composite, passé sous la barre de 50 (frontière entre expansion et contraction) en juin, est tombé à 46,9 en septembre après 48,2 en août.

Le message véhiculé par l’enquête mensuelle de la Commission européenne vient corroborer le diagnostic, avec un indicateur du climat des affaires (economic sentiment) en recul de 10 points en quatre mois (87,7 en septembre contre 88,5 en août et 97,6 en mai).

Les effets de l’accélération de la hausse des prix et, plus récemment, de la dégradation du marché du travail, sur la formation des revenus réels et la confiance des ménages, le retournement du cycle immobilier dans plusieurs pays de la zone et l’érosion de la compétitivité (effets de la surévaluation de l’euro) se conjuguent pour expliquer cette conjoncture déprimée. L’investissement résidentiel, en progression de 7% au début de 2007, a cessé de croître, tandis que la hausse des prix des logements (3,9% en glissement annuel en juillet) a été réduite de moitié par rapport au début de 2005. Ni l’évolution de l’encours des crédits hypothécaires (4,3% en glissement annuel en juillet contre 12% à la mi-2005) ni celle des permis de construire (-23,6% en glissement annuel au printemps dernier) n’indiquent une stabilisation.

Comme aux Etats-Unis, la poussée de l’endettement connaît une nette modération qui touche aussi bien le crédit à la consommation (7,1% en glissement annuel en décembre, 4,3% en juillet) que le crédit au logement. L’endettement ne permettra plus d’inscrire la demande sur une pente supérieure à celle qui résulte de la progression des revenus affectée par la détérioration des conditions du marché du travail. La croissance des effectifs devrait revenir de 1,8% en 2007 à environ 1% cette année et faire place à une quasi-stabilité l’an prochain, ce qui devrait s’accompagner d’une montée du taux de chômage à 7,7% en 2009 (contre 7,3% en 2008). La chute de la confiance qui en résulte (solde à -19 en septembre, -15 en mai) touche tous les pays de la zone : -9 en Allemagne (contre -4 en mai), -24 en France (-18 en mai), -22 en Italie (-20 en mai) et -39 en Espagne (-31 en mai) (cf. graphique 18). Cela augure mal du dynamisme de la consommation qui devrait revenir vers 0,5% cette année contre 1,6% en 2007.

L’investissement des entreprises a soutenu plus fortement la croissance dans la phase haussière du cycle des années 2000 qu’à l’occasion des cycles antérieurs. Le taux d’investissement (ratio de l’investissement au PIB) s’est établi à 22% contre une moyenne historique de 20,9%. Toutefois, une modération est clairement amorcée, la croissance de la FBCF est revenue de 4,5% à la fin de 2005 à 3% en milieu d’année. Elle est appelée à poursuivre sa décrue. Le PMI manufacturier, un indicateur étroitement lié aux dépenses en capital, est tombé à un niveau compatible avec une baisse de 1,5% de l’investissement. L’enquête mensuelle de la Commission européenne fait état d’un recul du manque d’équipements (avec un indicateur passé de 15% en 2007 à 7,5%). Au-delà de l’incidence de la décrue de l’activité, le resserrement des conditions financières se traduit par une modération de la hausse de l’encours du crédit aux sociétés non financières, dont le glissement annuel est revenu de 14,9% en mars à 13,2% en juillet selon les données de la BCE. Enfin, l’évolution de la profitabilité (le déflateur du PIB, 2,3% en g.a., étant devenu inférieur à celui des coûts unitaires du travail (2,4%)) témoigne de l’érosion du pricing power et plaide également pour la modération.

Dans l’hypothèse d’une normalisation sur les marchés de taux, la détente de l’inflation et la correction de l’euro devraient pouvoir assurer un début d’amélioration de la conjoncture au deuxième semestre 2009.

L’inflation est revenue de 4% en juillet à 3,8% en août et 3,6 en septembre, elle est appelée à continuer à décélérer en raison des effets de base et de la décrue des cours du pétrole, mais elle reste encore très supérieure à la référence de 2%. De plus, l’inflation sous-jacente, certes limitée à 1,9%, a connu une légère accélération (1,7% en juillet) en raison du réveil des effets de second tour.

L’indicateur des prix des inputs de l’enquête PMI s’est replié de 73,8 en juillet à 63,3 en septembre, celui des prix des outputs est, dans le même temps, passé de 58,1 à 54,9, celui des prix facturés du PMI services est revenu de 54,5 à 51,4, pointant dans le sens de la modération de la hausse des prix.

La conjoncture marquée par un retournement des conditions du marché du travail plaide pour une modération des rémunérations, interrompant la phase haussière récente (2,9% en glissement annuel au premier trimestre 2008 contre 2,4% un an plus tôt). L’affaiblissement de la croissance s’est accompagné d’une décrue des gains de productivité (0,8% en g.a. au premier trimestre 2008 contre 1,4% au premier trimestre 2007), ce qui a conduit à une accélération de la hausse des coûts unitaires du travail (2,4% contre juste 1% au début de 2007). A l’issue de quelques trimestres, l’ajustement des effectifs devrait aboutir à modérer cette évolution.

Les anticipations tirées des swaps indexés sur l’inflation restent relativement élevées (2,7%) ; du côté des ménages, elles donnent des signes de modération : l’indicateur des anticipations pour les douze prochains mois est tombé à 17 en septembre (solde tiré de l’enquête mensuelle de la CE) contre 22 en août et 30 le mois précédent. Au total, l’inflation ne devrait pas dépasser 2% l’an prochain.

Jusqu’en septembre, la BCE séparait clairement sa politique de taux de sa politique de liquidité (il appartient à la BCE de promouvoir un fonctionnement normal du système des paiements (“promote the smooth operating of the payment system”), tout en reconnaissant les risques qui pèsent sur l’activité. Son discours demeurait en août encore très hawkish et insistait sur le risque d’effets de second tour. Le statu quo monétaire paraissait devoir être maintenu encore quelques mois, une première baisse des taux semblait, en revanche, envisageable vers le début de 2009. Le 2 octobre, la BCE a laissé inchangé son taux refi à 2%. Toutefois, le contenu de son message a radicalement changé, deux options -statu quo ou baisse – ont été envisagées lors de la réunion du Conseil des gouverneurs. 

L’appréciation de l’institution de Francfort quant à la situation de l’activité économique a perdu sa touche optimiste qui prévalait jusqu’alors : “the most recent data clearly confirms that economic activity in the euro area is weakening”.

Jean-Claude Trichet, tout en réaffirmant que les risques inflationnistes n’étaient pas éliminés (on pense aux négociations salariales allemandes couvrant 3,5 millions de salariés, avec IG Metall revendiquant une hausse de 8%), a indiqué une modération du risque et ouvert la porte à une prochaine détente : “with the weakening of demand, upside risks to price stability have diminished somewhat”. Il est clair qu’avec la décrue de l’inflation, l’inertie des taux nominaux aurait poussé les taux réels à la hausse, ce qui n’est à l’évidence pas approprié dans un contexte récessif. La nécessité d’une détente ne s’arrête pas là, compte tenu de la défiance actuelle qui se traduit par un niveau des spreads qui pèse sur le coût de l’argent. La BCE admet que la crise financière a sur l’économie réelle une incidence plus forte qu’elle ne l’imaginait encore récemment. Toutefois, la BCE est devenue data et event driven, les développements de la crise financière l’ont conduit à abaisser, le 8 octobre, son taux refi de 50 points de base. 

L’assouplissement devrait se poursuivre et le taux refi être ramené à 2,5% d’ici à la mi-2009 entre deux réunions de son comité, de manière coordonnée avec d’autres banques centrales.

Le Royaume-Uni

Le Royaume-Uni verra sa croissance revenir de 3,1% en 2007 à environ 1% cette année. L’entrée en récession, avec des reculs du PIB pendant plusieurs trimestres, est vraisemblable et conduirait à une contraction de l’activité l’an prochain (-0,6%) et à un taux de chômage approchant les 7,5% fin 2009. La situation des finances publiques est dégradée et ne laisse que peu de marges de manœuvre pour soutenir l’économie. La période de croissance soutenue n’a pas été mise à profit pour redresser les finances publiques. Le déficit qui s’établit actuellement à 3 points de PIB est appelé à subir le contrecoup du ralentissement sur les recettes budgétaires, il atteindrait les 4,5 points l’an prochain. Les mesures de soutien au secteur immobilier, notamment un relèvement du seuil d’application du droit de timbre sur les transactions, ne représentent que 0,1 de PIB.

Les enquêtes de conjoncture annoncent plusieurs trimestres de contraction de l’activité, après un second trimestre de stagnation du PIB. L’indice PMI manufacturier s’est établi à 41 en septembre contre 47,5 au troisième trimestre et respectivement 48,4 et 50,8 les trimestres précédents. Cette chute touche toutes les composantes du PMI : la production : 41,2 en septembre (44,1 au troisième trimestre, 47,8 au second et 52,2 au premier) ; les commandes 36,1 en septembre (39,6 au troisième trimestre, 46,3 au second et 49,5 au premier).

Ce message est corroboré par l’enquête mensuelle du CBI, le solde des réponses relatives aux commandes tombant de -8 en juillet à -26 en septembre, le solde relatif aux perspectives de production passant pour sa part de -7 à -16. Revenu de 52,9 au premier trimestre 2008 à 49,2 en août et 46 en septembre, l’indice PMI des services témoigne, lui aussi, d’une dégradation marquée. 

Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer cette conjoncture déprimée. Le retournement de l’immobilier accompagné d’une forte baisse des prix (-17,6% en glissement annuel en août selon l’indice Nationwide), l’accélération de l’inflation, plus marquée que dans la zone euro, érode le pouvoir d’achat, la hausse des prix est passée de 3,8% en, juin à 4,4% en juillet et 4,7% en août, tandis que la progression des rémunérations reste quasi stable (3,7%).

Les conditions du marché du travail se détériorent. Le taux de chômage a atteint 5,5% sur la période mai-juillet contre 5,2% en moyenne sur les trois mois précédents, les enquêtes conduisent à anticiper la poursuite de cette tendance. La composante du PMI manufacturier relative à l’emploi est tombée à 40,1 en septembre contre respectivement 49,3, 48,2 et 42,3 aux premier, deuxième et troisième trimestres. L’essor de la consommation, très remarquable au cours des dernières années, a fait place à un net ralentissement en 2008.

La demande des ménages paraît appelée à se contracter dans les prochains trimestres. Les consommateurs ne bénéficient plus de la hausse de l’endettement. Celui-ci a atteint 1,7 fois le revenu disponible et se trouve à présent freiné par le resserrement des conditions de crédit. Le solde des réponses relatif aux conditions de crédit est revenu de -10 au début de l’automne 2007 à -24 à la mi-2008 pour ce qui concerne le crédit à la consommation, et de 0 à -50 pour le crédit adossé à des actifs (secured lending). Sans surprise, le taux de croissance de l’endettement hypothécaire, de l’ordre de 14% en 2003-2004, décélère nettement, revenant à tout juste 8% en milieu d’année. 

La progression à deux chiffres du crédit à la consommation des dernières années est retombée à environ 6%. La modération de l’endettement est appelée à se poursuivre, pour aboutir à une stabilisation du taux d’endettement dans les prochains trimestres. Avec, par ailleurs, un effet de richesse négatif, la consommation deviendra entièrement dépendante de l’évolution des revenus. Les ventes au détail, en dépit d’un rebond en juillet et août (1,2% m/m et 0,9% m/m) devraient connaître un recul au troisième trimestre après la forte chute de juin (-4,2%). 

 Dans ces conditions, et en dépit d’une inflation proche de 5% le mois dernier très au-dessus du plafond de la zone de tolérance de la BoE (3%) et de la présence d’effets de second tour (l’inflation sous-jacente est passée sur les cinq derniers mois de 1,2% à 2%), la Banque d’Angleterre avait laissé son taux phare inchangé lors de la réunion du Comité de politique monétaire de septembre. Les Minutes n’ont fait état que d’une voix discordante (le professeur Blanchflower ayant voté pour une baisse de 50 points de base). En dépit de la faiblesse de la livre, la baisse des prix de l’énergie et l’effet d’une conjoncture déprimée devraient déboucher sur une modération de l’inflation qui s’orienterait progressivement vers l’objectif de la Banque d’Angleterre. Les enquêtes PMI montrent que le pic a été atteint dans les derniers mois, tant sur les prix desinputs (82 en juin, 73,3 en septembre) que sur les prix de l’output (62,6 en septembre contre 64,5 en août). L’inflation de 4,7% au troisième trimestre 2008 connaîtra une modération progressive pour revenir à 2,5% fin 2009. La crise financière et les perspectives de détérioration marquée de l’activité ont conduit la BoE à un abaissement de 50 points de base le 8 octobre. Le taux phare de la BoE reviendrait à 2,5% d’ici à la mi-2009. 

Le Japon

La contraction du PIB de 3% en rythme annualisé au second trimestre, après une progression de 2,8% au premier, a marqué la fin d’une expansion qui aura duré soixante-dix mois. Le recul a touché aussi bien la consommation (-1,9%) que l’investissement productif (-1,9%) ou encore l’investissement logement (-13,3%). Les exportations se sont repliées plus nettement que lors des trimestres précédents (-9,7% après -0,5% et -2,5%). Elles subissent le contrecoup du ralentissement qui touche plusieurs des grands partenaires commerciaux de l’archipel, affichant au second trimestre un retrait de 7,5% vers les Etats-Unis et de 9,8% vers l’Europe. Le dynamisme des ventes à la Chine (11%) paraît devoir connaître une modération dans les prochains trimestres avec la décélération de l’économie chinoise.

L’investissement des entreprises a reculé pour le deuxième trimestre consécutif au second trimestre. Les commandes privées de machines, un bon indicateur avancé de l’investissement productif, sont revenues de 2% t/t au premier trimestre à 0,6% t/t au deuxième, le Cabinet Office attend un recul de 3% au troisième trimestre. Les entreprises prévoient une réduction de leurs investissements de 1,4% pour l’année budgétaire 2008 (s’achevant au 31 mars 2009) après cinq années de hausse.

Les indicateurs conjoncturels conduisent à anticiper une légère récession. L’enquête trimestrielle de la Banque du Japon auprès des entreprises, le Tankan, du mois de septembre fait état d’un indice de diffusion au plus bas depuis la mi-2003 pour les grandes entreprises manufacturières (-3 après +5 en juin dernier et +23 en septembre 2007).

Pour l’ensemble des entreprises, l’indice de diffusion a chuté de -7 à -14, au plus bas là encore depuis septembre 2003 (-21). Les entreprises, confrontées à une érosion de leur pricing power dans une période de hausse des coûts, voient leurs profits affectés, le Tankan fait état d’un repli de 8,1% pour l’exercice budgétaire 2008, après -1% pour 2007 et +10,1% pour 2006. Les tensions sur les capacités de production disparaissent, le solde net des entreprises indiquant un sous-effectif (excès–insuffisance de main- d’œuvre) est revenu de -10 en décembre dernier à -2, tandis que le solde relatif aux capacités de production (excès-insuffisance) est passé dans le même temps de 0 à +6. Enfin, les conditions de financement se sont resserrées, le solde (financement difficile–financement aisé) est tombé de 1 voici un an à 8 en juin et 3 en septembre.

L’inflation a érodé le pouvoir d’achat des revenus qui ne connaissent qu’une très faible augmentation. Les conditions du marché du travail se dégradent, ainsi qu’en témoigne le retournement du ratio des offres aux demandes d’emploi à 0,89 en juillet, au plus bas depuis quatre ans, après douze mois consécutifs de repli. Sans surprise, la confiance des ménages s’est effondrée, l’indice étant tombé de 32,6 en juin à 30,1 en août, à son plus bas depuis 1982. Au total, la croissance, qui avait atteint 2% l’an dernier, ne dépassera pas 1% cette année, il en sera de même en 2009. L’inflation totale est revenue de 2,4% en juillet à 2,1% en août. Bien que l’inflation sous-jacente (prix hors produits frais) à 2,4% en août (inchangée par rapport à juillet) soit passée au-dessus de la “zone de confort” de la Banque du Japon (0-2%), en raison de l’incidence différée des hausses de coûts des matières premières, la faiblesse de l’économie conduit à écarter l’idée d’une hausse des taux dans les prochains trimestres.

La Chine

En Chine, la croissance est clairement en voie de modération (10,4% au premier trimestre 2008, 10,1% au deuxième) contre 12,2% au début de 2007. Plusieurs facteurs conduisent à anticiper la poursuite de cette tendance l’an prochain, la croissance revenant vers les 9%.

D’abord, les exportations (37% du PIB), affectées par le ralentissement économique des partenaires de la Chine, ont vu leur progression en termes réels tomber de 17% en 2007 à moins de 11 % le trimestre dernier. La contribution des échanges à la croissance est appelée à se tasser. L’augmentation des investissements, qui a contribué à la moitié de la croissance l’an dernier, ne montre pas d’infléchissement sensible si l’on s’en tient aux évolutions nominales. Cependant, après correction sur la base des prix à la production, le taux de croissance de l’investissement dans la première moitié de 2008 affiche un recul de 5 points (à 18%) par rapport au second semestre 2007.

Le retournement des ventes immobilières (passant de 25% l’an en moyenne dans les dernières années à -11% depuis le début de 2008) conduit à une contraction dans un secteur qui représente un quart de l’investissement total.

La consommation résiste, comme en témoigne la progression de 23,2% (g.a.) des ventes au détail en août. L’inflation a touché un pic à 8,1% en février, elle est retombée à 6,8% en juillet et 4,9% en août, en raison de la correction des prix alimentaires. L’inflation hors produits alimentaires est restée sous contrôle à 2,1%. Les prix à la production en hausse de 10,1% en rythme annuel sont appelés à se contenir avec la décrue des cours des matières premières. Au total, le rythme de la hausse des prix à laconsommation passe de 4,8% en 2007 à environ 6,3% cette année et devrait se modérer l’an prochain pour revenir vers les 3%. En dépit d’une politique monétaire très accommodante à l’aune des taux réels, l’heure n’est clairement plus au durcissement. Des décisions d’assouplissement ont été prises à la mi-septembre, avec notamment une baisse de 27 points de base du taux des prêts à un an et une réduction d’un point du taux des réserves obligatoires. Une deuxième diminution de 27 points de base du taux à un an a été décidée le 8 octobre. Nous envisageons au moins deux baisses de taux supplémentaires d’ici à la mi-2009, ce qui viendrait contrer la hausse des taux réels liée à la désinflation, et une réduction de l’ordre de 200 points de base du taux des réserves obligatoires. L’appréciation du RMB a été nettement freinée. En fait, le souci numéro un est d’assurer que la croissance ne tombera pas en deçà du rythme nécessaire à l’absorption de la population active (de l’ordre de 8-8,5%). La situation des comptes publics (un excédent a été dégagé l’an dernier) rend des plus vraisemblables l’adoption de mesures de soutien budgétaire dans l’éventualité où la croissance ralentirait plus vite que prévu.

Dès à présent, des mesures d’allègements fiscaux (TVA, IS, IR) sont discutées, la dépense publique devrait se trouver accrue par les dépenses d’infrastructure à hauteur d’au moins un point de PIB (le seul TGV Shanghai-Pékin représente 0,8 point de PIB). La politique budgétaire déboucherait comme en 1998, suite à l’éclatement de la crise asiatique, sur un déficit qui pourrait atteindre jusqu’à deux points de PIB.

(Achevé de rédiger le 16 octobre 2008)

NOTES
(1) Wachovia a été repris par Wells Fargo ; en Europe, Llyods TSB a été amenée à reprendre HBOS pour éviter sa faillite ; les Etats du Benelux ont apporté une aide en capital d’environ 11,2 milliards d’euros à Fortis. Par la suite, le gouvernement néerlandais a repris les actifs de Fortis aux Pays-Bas tandis que les actifs belges et luxembourgeois étaient repris par BNP Paribas en échange d’une participation au capital du groupe français de 12,7%. Le même jour, le gouvernement britannique a été contraint de placer une autre ex-“building society” Bradford & Bingley en “détention publique temporaire”. Dexia a levé, le 30 septembre, 6,4 milliards d’euros auprès des gouvernements belge, français et luxembourgeois, ainsi qu’auprès des trois régions belges et d’investisseurs institutionnels belges et français (CDC). 
(2) Pour plus de détails voir J-M. Lucas et E. Vergnaud : “Crise financière, par ici la sortie”, EcoWeek, publication hebdomadaire BNPParibas, n° 08-38, 29/09/2008 ; Jean-Marc Lucas : “Etats-Unis : crise financière : quand donc finira la semaine ?”, EcoWeek, publication hebdomadaire BNP Paribas, n° 08-40, 10/10/2008 et “Etats-Unis : crise financière, l’heure du plan B a sonné”, EcoWeek, publication hebdo-madaire BNPParibas, n° 08-41, 17/10/2008.
(3) Pour plus de détails, voir Laurent Quignon, Eric Vergnaud : “Les autorités européennes au chevet des banques”, EcoWeek, publication hebdomadaire BNPParibas, n° 08-41, 17/10/2008.