Quand sortirons-nous de la crise économique ?
Quand sortirons-nous de la crise économique ?
Les dizaines de milliers de suppressions d’emplois annoncées depuis la dernière semaine de janvier montrent que la crise va être très sévère, peut-être plus sévère que le prévoyaient les plus pessimistes. Les conséquences risquent donc d’aller au delà de ce qui était craint. Aux Etats-Unis, les économistes tablent en moyenne sur une contraction de 1,6% du Produit intérieur brut (PIB) en 2009 après -1,3% sur l’ensemble de l’année 208 (-3,8% sur le seul quatrième trimestre). L’Allemagne a déjà indiqué que son PIB pourrait reculer de 2,25% cette année. Quant à la France, la ministre de l’Economie et des finances, Christine Lagarde, a déclaré lundi 2 février qu’elle serait “très étonnée qu’on ait une croissance positive pour 2009”. Si le gouvernement se garde pour le moment de fournir une prévision, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) on déjà indiqué qu’ils tablaient respectivement sur -1,8% et -1,9%. Toutes les régions du monde sont touchées. Pour la Chine, les experts tablent sur une croissance de 7% à 8% en moyenne (après 9% en 2008 et 13% en 2007) mais il n’est pas exclu que l’expansion soit moindre.
Ce ralentissement s’explique car la crise a plusieurs aspects :
- Il y a d’abord la partie financière. Les institutions financières, principalement les banques, ont été malmenées en raison de la présence massive de produits financiers toxiques dans leur bilan. Des centaines de milliards de dollars de dépréciations ont été passés et la plupart des groupes bancaires ont dû être recapitalisés, le plus souvent par les Etats. Mais de nombreux experts pensent que les banques ont encore pour plusieurs centaines de milliards de dollars de produits à risques. C’est la raison pour laquelle le nouveau président américain Barack Obama évoque la création d’une structure de défaisance (“Bad Bank”) qui pourrait mobiliser des centaines de milliards de dollars, le chiffre de 2.000 milliards étant avancé. Les compagnies d’assurances pourraient avoir à consolider leur bilan aussi dans les prochains trimestres car les investisseurs vont les forcer à faire la lumière sur leurs actifs, notamment les plus risqués. Ce premier volet permet à lui seul de comprendre pourquoi la crise va durer au moins jusqu’en 2010.
- La partie économique n’est pas moins inquiétante. La déflagration financière consécutive à la faillite de Lehman Brothers a conduit les banques du monde entier à arrêter – faute d’avoir les ressources financières nécessaires – puis à durcir la distribution de crédit à ce qu’on nomme l’économie réelle. La peur s’est emparée de tous les agents économiques et les investissements privés comme la consommation en souffrent. Nous sommes clairement dans un cercle vicieux comme en témoignent les dizaines de milliers de suppressions d’emplois annoncés chaque semaine. Les gouvernements multiplient les plans de relance budgétaire. La question est de savoir si les investissements publics suffiront à rassurer puis à relancer l’économie. D’ores et déjà, des doutes ont été émis par l’Office budgétaire du Congrès, qui est un organisme non partisan, sur l’efficacité du plan de 825 milliards de dollars de l’administration Obama.
Dans ce contexte, les anticipations d’un rebond de l’économie fin 2009 sont caduques. De même, l’hypothèse d’une dépression comme celle qui a suivi la crise de 1929 n’est pas retenue par la plupart des économistes. Reste un scénario central qui est tout de même inquiétant : la crise pourrait durer quatre à cinq ans et provoquer des tensions régionales.
L’amiral Jacques Lanxade, ancien chef d’état-major des armées et président du Conseil d’Orientation Géopolitique de la société d’investissement La Française des Placements, a exposé récemment la géopolitique de la crise en expliquant que la crise risquait de provoquer “une déstabilisation croissante de pays en voie de développement”. Tous les pays de la planète sont plus ou moins fragilisés. Certains moins que d’autres. L’Inde, qui demeure un pays relativement fermé en dépit de son formidable développement depuis 15 ans, est le pays qui offre le plus de résilience. Elle a misé sur les services informatiques et après le repli observé actuellement ce secteur pourrait bénéficier de la nouvelle vague d’externalisation qui ne manquera pas d’apparaître chez les entreprises occidentales désireuses de réduire leurs coûts. Mais ce pays-continent doit faire face au Pakistan, un Etat avec lequel un conflit est toujours possible autour de la région du Cachemire mais aussi à cause des mouvements terroristes islamistes qui seraient basés en territoire pakistanais. Les conséquences d’une guerre inquiètent tout le monde car les deux protagonistes disposent de l’arme atomique.
Si le Brésil dispose d’atouts pour sortir de la crise actuelle, la Russie et la Chine (les deux autres pays du bloc que les économistes nommes BRIC) sont plus fragiles. Commençons par la Russie, qui souffre de la baisse des cours du pétrole et du gaz et a subi des retraits massifs de capitaux étrangers ces derniers mois. Est-ce ce qui a poussé Moscou à se montrer menaçant vis-à-vis de l’Ukraine récemment et à couper les exportations de gaz vers les pays européens ? De nouvelles tensions aux marges de la Russie (Géorgie, pays Baltes, etc.) ne peuvent pas être exclues si la crise économique perdure.
La Chine a vu sa croissance ralentir brutalement dans la deuxième partie de l’année 2008 et le mouvement devrait continuer en 2009. Dans quelles proportions ? Nul ne le sait précisément d’autant les statistiques chinoises sont sujettes à caution. Là où les spécialistes se retrouvent, c’est pour dire que si le taux de croissance descend trop bas, l’Empire du Milieu va au-devant de graves problèmes. Pour l’amiral Lanxade, en dessous de 6%, il y a un risque de “tensions internes”. Plusieurs experts estiment que des conflits sociaux pourraient dégénérer. Des millions de travailleurs migrants, qui offraient leur force de travail à des entreprises pour des salaires dérisoires qui leur permettaient tout juste de survivre et faire survivre leur famille, ont dû regagner leurs villages. La perspective de retrouver un emploi rapidement est inexistante. Cette masse ne risque-t-elle pas de se révolter d’autant que le développement chinois a créé une classe de très riches exhibant un mode de vie qui ne peut que choquer en ces temps de crise ? Comme le résume l’amiral Lanxade, “quelle est la capacité de contrôle de l’Etat si la croissance descend ?”
Mais personne n’a intérêt à ce que la Chine sombre dans le chaos. D’un point de vue strictement économique, cela ne pourrait qu’aggraver la crise. La Chine, qui représente un quart environ du PIB des Etats-Unis, est surtout devenir “l’Atelier du monde” ces dernières années. Des jouets en passant par le textile et les meubles, l’Empire du Milieu a réussi à tuer pratiquement la production des autres pays. Le reste du monde dépend donc en grande partie de ce qui sort de ses usines. En outre, grâce à ses réserves de change – environ 2.000 milliards de dollars fin 2008 -, la Chine est devenu un acteur de premier plan de l’économie. C’est par exemple le plus grand détenteur de bons du Trésor américains. Si la Chine arrêtait de financer les déficits américains, l’impact pour les Etats-Unis comme pour les pays occidentaux serait énorme. Le système monétaire actuel n’y résisterait probablement pas, selon des économistes. Mais, on n’en est pas là.
Enfin, l’amiral Lanxade a attiré l’attention sur les pays arabes. Selon lui, leur stabilité est menacée par la crise – leurs recettes d’exportation sont en chute du fait de la baisse des cours du pétrole et du gaz – mais aussi par ce qu’il nomme “l’Effet Gaza”. L’offensive d’Israël à Gaza, qui a provoqué la mort de plus de 1.330 Palestiniens, dont des femmes et des enfants en nombre très important, entre le 27 décembre et le 18 janvier, a suscité la colère de la rue arabe d’autant que des chaînes de télévision comme Al-Jazeera ont diffusé pratiquement en continu des images insoutenables de victimes civiles. Cet “Effet Gaza” peut, selon l’amiral Lanxade, “favoriser les éléments islamistes”. Ceux-ci auront d’autant plus de latitude que les dirigeants actuels des pays arabes auront moins de marge de manoeuvre financière pour calmer la population.
Les risques de tensions sont donc réels un peu partout dans le monde. Raison de plus pour les dirigeants des principales économies de la planète d’unir leurs efforts pour trouver un horizon de sortie de cette crise.