Et si l’inflation avait du bon.
Et si l’inflation avait du bon. De nombreux économistes et dirigeants politiques expliquent depuis quelques mois que le plus grand risque que court le monde est la dépression économique, c’est-à-dire une situation où les particuliers limitent au strict minimum leurs dépenses et où les entreprises réduisent leurs coûts et leurs investissements. Les conséquences sont connues : une baisse de l’activité économique et une envolée du chômage avec les tensions sociales que cela peut provoquer. C’est ce que le monde a vécu dans les années 1930, après le krach de 1929. Ce risque est-il totalement écarté ? Tout le monde aimerait en être certain mais ce n’est pas le cas. Les effets des différents plans de relance établis aux Etats-Unis, en Europe et dans les pays émergents ne se sont pas encore fait sentir. Pour le moment, nous observons une contraction du Produit intérieur brut (PIB) trimestre après trimestre, une aggravation des déficits publics, une dégradation de la rentabilité des entreprises, une multiplication des plans de suppressions d’emplois.
Pour la plupart des économistes, des chefs d’entreprise et des dirigeants politiques, le salut ne peut venir que des Etats-Unis. La crise – qui menace le système capitaliste dans ses fondements, c’est-à-dire la finance – est partie de la première économie mondiale et ne pourra être résolue que si celle-ci s’en sort. Pragmatique, le nouveau président américain Barack Obama a mis au point un plan gigantesque de 787 milliards de dollars, qu’il a promulgué mardi 17 février, peu après l’adoption du texte par les deux chambres du Congrès. Ce plan était très attendu car il prend la mesure de la crise : les montants engagés représentent près de 6% du PIB sur deux ans. A titre de comparaison, les programmes en Europe s’établissent entre 1% et 2% selon les pays. La Chine a mobilisé l’équivalent de 7% mais ce pays, qui dépend beaucoup des exportations, n’est pas en mesure, à lui seul, de tracter l’économie mondiale. Il faut donc une impulsion américaine forte et c’est ce qu’a compris Barack Obama.
Mais son plan, qui comprend 276 milliards de dollars de réductions d’impôts pour les classes moyennes et 514 milliards de dépenses publiques (dont 130 milliards d’investissements) sera-t-il suffisant ? Pour plusieurs experts, ce plan aura forcément un impact, ne serait-ce que parce que les foyers modestes qui vont recevoir un chèque de l’Etat vont pouvoir consommer tandis que d’autres pensent qu’il permettra seulement une stabilisation en 2009 et en 2010 avant une reprise en 2011. Les pessimistes, enfin, estiment que compte tenu de l’effort nécessaire pour le “deleveraging” du secteur financier – qui se chiffre en milliers de milliards de dollars – une déflation ne peut pas être exclue, avec son cortège de faillites d’entreprises et même d’Etats. Toutefois, l’implication des gouvernements est plutôt rassurante : tout le monde a intérêt à ce que la crise soit résolue dans les plus brefs délais.
Christophe Donay, stratégiste et responsable de l’analyse macro-économique chez Pictet & Cie, explique qu’une reprise est possible dès la fin du premier trimestre ou au début du deuxième trimestre 2009 mais qu’elle sera temporaire, faute de relais de croissance. Le moment de vérité interviendrait au premier trimestre 2010 avec un scénario de reprise et un scénario de déflation. Que signifie la reprise ? Les banques recommencent à prêter, les ménages à consommer, les entreprises à investir. Cette reprise s’accompagne d’une remontée de l’inflation. Depuis quelques mois, la tendance est à la décrue. Le taux d’inflation est tombé à 1,1% dans la zone euro en rythme annualisé en janvier 2009 après 1,6% en décembre. Il était de 1% en Chine contre 1,2%. Aux Etats-Unis, les prix à la consommation affichaient une hausse de 0,1% en rythme annualisé en décembre contre 1,1% en novembre.
Une reprise économique se traduit nécessairement par le retour de l’inflation car la croissance de la demande offre aux vendeurs la capacité de fixer, dans une certaine mesure, leur prix (le “Pricing Power”). Jusqu’où peut aller cette inflation ? Plusieurs économistes pensent qu’elle peut remonter jusqu’à 5% ou 10%. Car les gouvernements y ont intérêt. Les plans de relance annoncés jusqu’ici se traduisent en effet par une augmentation des déficits publics et, partant, de la dette. Or, quelle meilleure solution pour réduire la dette que l’inflation ? Celle-ci permet en effet de payer les créanciers en “monnaie de singe”. La solution n’est douloureuse que pour les créanciers. Or, les créanciers des Etats sont en grande partie des banques et comme elles ont reçu des aides massives des pouvoirs publics personne ne se va se plaindre qu’elles soient soumises à un tel traitement.
Oui mais quelle sera la réaction des banques centrales ? Cela dépend des pays. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale a pour mission de lutter contre l’inflation mais aussi d’oeuvrer pour le plein emploi. Pour Christophe Donay, la question concerne en fait la Banque centrale européenne (BCE) dont le statut prévoit la seule lutte contre l’inflation. “Il faut un changement de philosophie de politique monétaire. Il faut passer d’une approche ‘Inflation Targeting’ à une approche ‘Asset Price Targeting’, ce qui permettrait aussi de lutter contre les bulles”, explique-t-il.
Les banques centrales, et cela a été flagrant au moment de la bulle Internet aux Etats-Unis à la fin des années 1990, ont décidé de ne pas se soucier de la valeur des actifs. Que les prix de l’immobilier s’emballent ou que les cours des actions s’envolent, ce n’est pas leur problème. Elles avancent pour excuse qu’elles n’ont pas d’outil pour empêcher la formation des bulles spéculatives. Avec la crise exceptionnelle que le monde subit, et qui provient de l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis, les banques centrales doivent de toute urgence trouver les moyens d’anticiper les bulles. Elles peuvent donc dans un premier temps laisser filer l’inflation si c’est le prix à payer pour obtenir de nouveau une croissance économique.