La reprise du commerce mondial probablement interrompue au premier trimestre

par Sylvain Broyer et Costa Brunner, économistes chez Natixis

Après avoir plongé de 20% au cours des six mois qui ont suivi la faillite de Lehman, le commerce mondial ne serait en fin d’année 2009 plus que 13% en dessous du pic d’avant crise. Si l’on peut parler de reprise des échanges commerciaux, elle s’observe aujourd’hui essentiellement en Asie.

Nous cherchons ici un indicateur avancé du commerce mondial afin d’en donner l’orientation sur le premier trimestre 2010.

Sur les sept indicateurs testés (Harpex, Baltic Dry, prix du pétrole, PMI et IFO monde, CRB, EURUSD), trois révèlent un contenu en informations significatif et fiable :

  • le prix du pétrole en corrélation coïncidente ;
  • le PMI composite avec un trimestre d’avance ;
  • la composante anticipations de l’indice IFO monde avec deux trimestres d’avance.

L’évolution comparée de ces trois indicateurs suggère que les échanges mondiaux se refroidissent nettement au premier trimestre 2010 (l’intervalle de prédiction court de -5% à +1% T/T selon l’indicateur privilégié).

La reprise du commerce mondial semble donc, en ce début d’année, être interrompue après seulement deux trimestres de hausse.

Reprise du commerce mondial en seconde partie d’année 2009

Après avoir plongé de 20% au cours des six mois qui ont suivi la faillite de Lehman, le commerce mondial s’est repris.

Le volume des échanges mondiaux a pu se stabiliser au deuxième trimestre 2009 (+0,3% T/T) avant de progresser significativement pendant l’été (+4,0% T/T). Pour les trois derniers mois de l’année, le « CPB trade monitor »1 laisse entrevoir une nouvelle augmentation des échanges de presque 5% T/T .

Au total, le volume des échanges mondiaux (mesuré par les exports) ne serait en fin d’année 2009 plus que 13% en dessous du pic atteint pendant l’été 2008, avant la crise.

La reprise reste localisée en Asie

Alors que toutes les régions du monde avaient participé à la contraction des échanges pendant la crise, leur reprise semble provenir aujourd’hui principalement des régions émergentes. Les importations des pays émergents ne sont plus que 5% en dessous du niveau d’avant crise alors qu‘elles le sont encore de 14% dans les économies développées.

Mais la demande des régions émergentes adressée au reste du monde n’évolue pas à l’unisson. Les importations de l’Asie et de l’Afrique ont totalement retrouvé leurs niveaux d’avant crise, ce qui n’est pas le cas de l’Amérique latine et encore moins de l’Europe centrale et orientale. La ligne de démarcation passe par les évolutions de change, stables en Asie émergente, dépréciées ailleurs.

La demande que les économies développées adressent au reste du monde reste bien déprimée. Les raisons en sont multiples (effondrement de l’investissement privé, déstockage et hausse du chômage). Les stimuli publics de la demande de voitures (primes à la casse) ou d’infrastructures publiques dans le cadre des plans de relance favorisent logiquement les producteurs domestiques. Ici aussi les évolutions du change expliquent une partie des différences nationales. Après la forte appréciation du yen, les importations du Japon ne sont plus que 8% en dessous du niveau d’avant crise contre 13% aux Etats-Unis. 

La reprise du commerce mondial se fait donc aujourd’hui essentiellement dans le quart sud-est de la planète.

Le commerce mondial a-t-il une vie autonome ?

De même que la contraction du commerce mondial fut plus prononcée que celle du PIB mondial pendant la crise, la reprise des échanges est aujourd’hui bien plus dynamique que celle de la demande finale. Ce paradoxe apparent trouve deux principales explications :

  • un effet de composition. Le choc de demande mondiale touche principalement les biens manufacturiers. Or, un tiers des échanges mondiaux concerne le transport de matières premières, lequel est animé par la demande et par leurs cours de marché.
  • La fragmentation géographique des chaînes de valeurs : la délocalisation continue de l’industrie du G7 vers les régions émergentes à faible coût salarial a multiplié les lieux de production à travers le monde depuis le début de la décennie. Les échanges entre unités de production pour assemblage a pris une dimension mondiale.

Ils ont donc augmenté plus que proportionnellement à la consommation mondiale de biens finaux. Ce phénomène est particulièrement visible pour l’industrie automobile dont les échanges de pièces détachées ont augmenté 1,7 fois plus que les nouvelles immatriculations de véhicules. Notons que cette nouvelle division internationale du travail tend à renforcer la dépendance de l’industrie à la finance, puisque les échanges doivent trouver un financement (trade credit) et une assurance. 

Le commerce mondial encore robuste au premier trimestre 2010 ?

Sans aller jusqu’à attribuer au commerce mondial une vie autonome, les arguments précédents montrent qu’il est vain de chercher à en établir aujourd’hui une prévision à partir du seul PIB mondial.

Nous regardons alors quels indicateurs avancés permettent d’apprécier les évolutions du commerce mondial en temps réel, puisque malheureusement, le Trade Monitor ne va pas plus loin que les balances commerciales, dont les dernières publications statistiques donnent aujourd’hui novembre/décembre 2009.

Plusieurs indicateurs offrent les qualités requises :

  • Le Baltic Dry : un indicateur des variations de coûts spot de transport par mer des matières premières sèches (hors pétrole) ;
  • L’indice Harpex : un indicateur de rentabilité du fret maritime ;
  • L’indice CRB : un indice des cours boursiers d’un panier de matières premières hors énergie.
  • Le PMI monde : un indicateur de l’activité économique dans le monde, en général un bon proxy du PIB mondial. Nous utilisons les décompositions du PMI par secteur : manufacturier, services (transport) et composite.
  • L’indice IFO pour le monde. Cet indicateur de l’activité est certes à fréquence trimestrielle, mais sa composante anticipation à six mois permettrait de faire une prévision pour le commerce mondial en cas de forte corrélation.
  • Le prix du baril de pétrole, qui comme nous l’avons vu dans l’effet composition doit évoluer parallèlement avec le commerce mondial ;
  • Le cours du dollar contre euro, puisque la devise américaine est encore la principale unité de compte pour les échanges internationaux. Nous regardons quelle est la corrélation coïncidente et décalée (+/- 2 trimestres) de ces indicateurs avec le CPB trade monitor.
  • la corrélation coïncidente la plus forte est donnée par le prix du pétrole ;
  • La meilleure corrélation avec un trimestre d’avance est donnée par le PMI composite ;
  • La meilleure corrélation avec deux trimestres d’avance est livrée par la composante anticipations de l’indice IFO monde (une fois exclus les deux indicateurs précédents).

Synthèse : La reprise des échanges mondiaux interrompue en début d’année 2010

L’évolution comparée de ces trois indicateurs suggère, par régression simple, que la reprise du commerce mondial serait interrompue au premier trimestre 2010 :

  • Il aurait stagné (+0,8% T/T) au regard de l’évolution coïncidente des prix du pétrole ;
  • Le commerce mondial aurait fortement baissé (-5,6% T/T) selon le PMI composite retardé d’une période ;
  • Il aurait faiblement progressé (+1,5% T/T) selon la composante IFO anticipations retardée de deux périodes.

Le risque d’un net refroidissement des échanges mondiaux au premier trimestre 2010 est donc fort. Au mieux, la reprise du commerce mondial est interrompue après deux trimestres de hausse seulement.

NOTES

  1. Un indicateur mensuel particulièrement fiable que propose l’institut néerlandais de statistiques.

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