par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
- Sur le plan historique, il existe une corrélation inverse très nette entre l’évolution du chômage et celle de la production : plus la croissance économique est rapide, plus le taux de chômage chute fortement.
- Cette relation rapport s’est encore resserrée au cours des dernières décennies, grâce, dans une certaine mesure, aux réformes du marché du travail mises en place depuis les années 1990.
- Au cours des prochains mois, les conditions du marché du travail devraient continuer de se dégrader, ce qui, combiné à une reprise fragile, devrait limiter les pressions inflationnistes pour les mois à venir.
- La BCE présentera ses nouvelles prévisions d’inflation lors de la prochaine réunion du conseil des gouverneurs. Les chiffres annoncés devraient rester bien en deçà de la barre des 2% pour 2010 et 2011.
Dans un tel contexte, le taux refi devrait demeurer inchangé à 1% jusqu’en 2011.
Depuis le lancement de l’euro, les conditions sur le marché du travail se sont constamment améliorées jusqu’au printemps 2008.
Les réformes mises en place au cours des dernières décennies ont fortement encouragé l’emploi, les entreprises recourant davantage au temps partiel et aux contrats à durée déterminée.
L’arrivée des perturbations financières et la chute libre de l'activité à la fin de 2008 ont totalement inversé cette tendance. L’emploi se contracte depuis le troisième trimestre 2008 ; d’après les dernières données disponibles, il aurait alors reculé de 0,5% en glissement trimestriel, pour continuer de baisser, selon les résultats des enquêtes, au dernier trimestre 2009 et durant les premiers mois de 2010, accroissant ainsi davantage le taux de chômage.
Corrélation entre croissance et chômage
Sur le plan historique, il existe une corrélation inverse très nette entre l’évolution du chômage et celle de la production : plus la croissance économique est rapide, plus le taux de chômage chute fortement. Dans la théorie économique, cette relation est appelée « loi d’Okun ». Le graphique 1, qui décrit les variations annuelles du taux de chômage et de la croissance du PIB, semble montrer que cette corrélation inverse pourrait devenir de plus en plus marquée.
Au cours des dernières décennies, le taux de chômage semble être devenu plus sensible aux variations de la production qu’il ne l’était dans les années 1980 ou 1970. Les réformes du marché du travail, mises en œuvre depuis le début des années 1990, ont clairement joué un rôle fondamental à ce propos. Nous avons constaté que la corrélation entre le taux de croissance annuel du PIB et la variation annuelle du chômage augmentait avec le temps, puisqu’elle est passée de -0,72 entre les années 1970 et 1980 à -0,88 sur les vingt dernières années (1992-2009). Une simple équation dynamique de la loi d’Okun confirme ce constat. Le coefficient affecté à la croissance du PIB est plus élevé (en valeur absolue) pour un échantillon allant du premier trimestre 1993 au dernier trimestre 2009 que pendant les décennies 1970 et 1980. En outre, le coefficient relatif au chômage passé est moins élevé dans le second échantillon, ce qui dénote une moindre persistance du chômage (voir tableau 1), qui peut également s’expliquer par les réformes du marché du travail.
Jusqu’où le chômage peut-il encore monter ?
Le Comité en charge de la datation des cycles économiques de la zone euro (CEPR) a identifié trois récessions antérieures à la dernière en date, qui ont respectivement atteint leurs pics et leurs plus bas : au troisième trimestre 1974 et au premier trimestre 1975 ; au premier trimestre 1980 et au troisième trimestre 1982 ; au deuxième trimestre 1992 et au troisième trimestre 1993. Lors de la récession de 1991-1993, les conditions sur le marché du travail se sont dégradées pendant une dizaine de trimestres. Le taux de chômage était monté de 9,2% environ au deuxième trimestre 1992 à 10,8% au deuxième trimestre 1994 (soit une hausse de 1,6 point de pourcentage), avant de repartir à la baisse par la suite.
Au cours de la crise actuelle, le taux de chômage est susceptible de croître beaucoup plus, pour deux raisons : 1) comme nous l’avons souligné plus haut, les variables du marché du travail sont devenues plus réactives à l'évolution de la croissance et 2) la récession de 2008/2009 a été, et de loin, la plus grave jamais connue par la zone euro (voir graphique 3). Depuis le pic cyclique du premier trimestre 2008, le taux de chômage a déjà augmenté de 2,1 points de pourcentage, pour passer de 7.2% à 9.3% au dernier trimestre 2009.
D’après les estimations économétriques, cette tendance pourrait se poursuivre au cours des prochains mois, avec un pic du chômage aux alentours de 10,6%-10,8% au second semestre 2010.
Fait particulièrement inquiétant, une large part de cette hausse du chômage est susceptible de se transformer en chômage structurel, en raison de l’effet dit d’hystérésis. En effet, de longues périodes de chômage provoquent une perte de qualification du capital humain.
En outre, une récession longue et sévère pourrait réduire le taux de participation au marché du travail, les demandeurs d’emploi découragés consacrant moins d’efforts à leur recherche. Une augmentation du taux de chômage structurel diminuerait le taux de croissance potentiel de la production, ce qui pèserait sur les perspectives de croissance à moyen terme.
Un marché du travail plus flexible que lors des décennies précédentes a indéniablement, en période de récession, un effet d'accélérateur sur le chômage, mais, à l’inverse, ce dernier devrait également se retourner plus rapidement une fois que l'activité reprendra un rythme de croissance durable.
Programmes gouvernementaux et emploi dans la crise actuelle
Le graphique 4 montre que le chômage varie à l’inverse de la production. Sans tenir compte des dernières données observées entre le dernier trimestre 2008 et le dernier trimestre 2009, période de forte chute de l’activité, la corrélation est plus prononcée, et le chômage encore plus sensible aux variations de la production. Ce phénomène peut s’expliquer dans une certaine mesure par les mesures adoptées par les entreprises et par les gouvernements au cours de la crise actuelle, qui ont permis d’amortir la chute de l’emploi total et de ralentir la montée du taux de chômage.
Les employeurs ont utilisé différentes stratégies, telles que le replacement des salariés à des postes à temps partiel, ou la réduction du nombre d’heures travaillées, pour préserver leur capital humain plutôt que de réduire massivement leurs effectifs.
Dans l’ensemble de la zone euro, les salariés à temps partiel représentaient presque 20% de l’emploi total au troisième trimestre 2009, soit une hausse de 0,7 point par rapport au troisième trimestre 2008. Cette augmentation est relativement forte sachant que, entre le deuxième trimestre 2007 et le deuxième trimestre 2008, le travail à temps partiel n’a crû que de 0,1 point. En outre, le nombre d’heures travaillées par semaine pour les salariés à temps plein a diminué en moyenne jusqu’à 41,3 heures au troisième trimestre 2009, 0,3 heure de moins qu’au troisième trimestre 2008.
Les salariés disposant de contrats de travail temporaire ont particulièrement souffert de la crise. Entre les troisièmes trimestres 2008 et 2009, le nombre de personnes employées en travail temporaire a reculé de plus de 7%, et leur part dans l’emploi total a cédé presque un point de pourcentage sur la période.
Modération de la croissance des salaires
Les perspectives de ralentissement de la croissance pour les prochains mois, combinées à la dégradation actuelle des conditions du marché du travail, vont certainement limiter l’inflation salariale.
Depuis un pic cyclique de 3,6% en glissement annuel au dernier trimestre 2008, le taux de croissance annuel des rémunérations unitaires s'est tassé à 1,4% sur la même base au dernier trimestre, soit son plus bas niveau jamais enregistré depuis la création de l’UEM, et à peine plus que le record absolu à la baisse de mi-1998.
La hausse attendue du taux de chômage devrait encore tirer ce chiffre à la baisse. Sachant que la progression des salaires représente le principal moteur de l’inflation sous-jacente, les pressions inflationnistes devraient rester extrêmement modérées au cours des deux ans à venir.
Pas de changement du taux refi avant longtemps
A l’occasion du conseil des gouverneurs de la semaine prochaine, la BCE présentera ses nouvelles prévisions d'inflation et de croissance pour 2010 et 2011. En décembre, la BCE s’attendait à ce que l'inflation reste largement inférieure à 2% pour les deux années. La fragilité de la reprise, combinée à l’érosion actuelle de l’emploi, devrait limiter les pressions inflationnistes pour les trimestres à venir. Par conséquent, la BCE devrait laisser ses prévisions d’inflation bien en deçà de la barre des 2% pour 2010 et 2011.
Dans de telles conditions, nous ne pensons pas que la Banque centrale modifiera, à court terme, sa politique monétaire conventionnelle, et le taux refi devrait rester à son plus bas historique de 1% jusque tard dans l’année 2011. En revanche, la BCE devrait continuer de se dégager progressivement de ses mesures de prêt non conventionnelles. Elle a déjà réduit la fréquence et la durée de ses opérations : plus d’opérations à 12 mois et dernière opération à six mois à la fin de mars. Les modalités de celle-ci pourraient être les mêmes que celles de l’opération de refinancement à long terme (ORLT) à 12 mois de décembre : quantité illimitée et taux indexé sur la moyenne du bid rate minimum des opérations de refinancement hebdomadaires, celles-ci s’effectuant d’ailleurs pour le moment toujours au taux refi.
La liquidité restera abondante au cours des prochains mois, avec des excédents possibles jusqu’à la fin du troisième trimestre 2010, ce qui devrait empêcher l’Eonia de monter trop rapidement en direction du taux refi. Précisons qu’en temps « normal », l’Eonia fluctue autour du taux refi, mais qu’il se situe aujourd’hui aux alentours de 0,3%, un niveau à peine supérieur au taux d’intérêt des facilités de dépôt. Il ne fait aucun doute que la politique monétaire européenne restera extrêmement accommodante durant toute cette année.