par Didier Borowski, économiste chez Amundi Asset Management
La Réserve fédérale (Fed) a pleinement joué son rôle de fournisseur de liquidité en dernier ressort après la faillite de Lehman Brothers. En outre, la banque centrale a fait tourner la planche à billet pour financer ses achats d’actifs. Il en a résulté un gonflement sans précédent de la taille de son bilan. Les mesures prises ont été couronnées de succès, contribuant en particulier à ramener le calme sur les marchés interbancaires. Mais à mesure que la situation macrofinancière se normalise, la Fed doit désormais convaincre les marchés que sa politique ne menace pas de générer de l’inflation. Nous revenons sur l’arsenal des mesures dont elle dispose pour neutraliser les liquidités excédentaires. La remontée du taux des fed funds n’arrivera qu’en bout de course.
Surveiller non seulement les taux…
Avec l’autorisation de rémunérer les réserves des banques, le cadre opérationnel de la politique monétaire a profondément changé. La Fed dispose désormais d’un corridor : le taux de rémunération des réserves (IOER, actuellement à 0,25%) en représente le plancher et le taux d’escompte le plafond. En effet, le taux auquel les banques s’échangent les réserves au jour le jour (le taux effectif des fed funds) est censé, par arbitrage, évoluer dans ce corridor. A court terme, on notera toutefois que l’arbitrage est mis à mal dans la mesure où les Agences (Fannie Mae, Freddie Mac…) disposent de réserves auprès de la Fed qui ne peuvent pas être rémunérées. Elles les offrent donc sur le marché à un taux inférieur à l’IOER.
La hausse du taux d’escompte (de 0,50% à 0,75%) le 18 février est à juste titre présentée comme une mesure technique qui n’affecte pas les conditions monétaires. Ce taux plafond auquel les banques peuvent se refinancer auprès de la Réserve fédérale si elles n’y parviennent pas aux conditions de marché n’est en pratique plus guère utilisé. Il s’agit toutefois d’un geste symbolique (on remonte le plafond avant de toucher au plancher) qui marque le début des opérations de normalisation de bilan qui s’imposent pour ancrer les anticipations d’inflation. En effet, les achats d’actifs réalisés par la Fed représenteront plus de $1700 Mds d’ici fin mars. En contrepartie, les réserves excédentaires des banques se sont envolées à plus de $1100 Mds. Ces liquidités étant disponibles en théorie pour réaliser de nouveaux crédits, la Fed doit convaincre qu’elle dispose de moyens pour les neutraliser rapidement. La remontée de l’IOER est une arme dont elle entend se servir, ce dernier pouvant même remplacer temporairement le taux des fed funds comme taux directeur.
…mais aussi l’ensemble du bilan de la Fed
Mais ce moyen n’est pas le seul, loin s’en faut. La Fed dispose d’un véritable arsenal de mesures permettant de drainer la liquidité. Tout d’abord, il y a l’option classique de « reverse repo » : il s’agit de vendre des d’actifs avec l’engagement de les racheter ultérieurement à un prix préalablement fixé par enchère. Les titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) achetés par la Fed seront éligibles et elle examine la possibilité d’élargir les contreparties pour ce type d’opérations aux fonds monétaires et aux agences hypothécaires. Deuxième moyen : une facilité de dépôt pour les banques devrait voir le jour (les réserves des banques seraient ainsi bloquées dans un compte à terme). Troisième moyen : en accord avec la banque centrale, le Trésor a décidé le 23 février de relancer son programme d’émission de bons ($200 Mds sur les 2 prochains mois) pour l’aider à drainer la liquidité. En pratique, les recettes issues de ces émissions seront déposées par le Trésor dans un compte spécial à la Fed (SFP). Enfin, la Réserve fédérale pourrait décider de procéder à des ventes fermes d’actifs, notamment de MBS. Ces ventes, qui diminueraient directement la taille de son bilan, exerceraient une pression haussière sur les taux à long terme. Bien que cette dernière option soit explicitement envisagée, il nous semble qu’elle vise surtout à convaincre les marchés de la « puissance de feu » de la Fed et qu’elle ne sera utilisée qu’en tout dernier lieu.
En définitive, la stratégie de sortie est plus transparente. Reste toutefois en suspens la question du calendrier de la remontée des taux d’intérêt qui taraude les investisseurs. Ces derniers se focalisent exagérément sur la « promesse » du FOMC de maintenir « le taux des fed funds à un niveau exceptionnellement bas pendant une période prolongée ». Plusieurs membres de la Fed ont en effet laissé entendre qu’il s’écoulerait au moins 6 mois entre la suppression de cette phrase du communiqué et la remontée du taux cible des fed funds. Il faut toutefois bien comprendre que l’ensemble des opérations de drainage de la liquidité menacent d’avoir un impact avant. Et ce d’autant plus que la Réserve fédérale n’exclut pas de remonter l’IOER en parallèle, ce qui exercerait une pression haussière sur l’ensemble des taux courts bien avant la remontée du taux cible des fed funds !
La Fed est ainsi parvenue, en détaillant son arsenal, à se délier les mains. Au vu des données économiques récentes, il est clair qu’il est encore trop tôt pour remonter les taux d’intérêt. Mais à mesure que la conjoncture s’améliorera, notamment sur le front de l’emploi, la Fed pourrait songer à accélérer son calendrier. L’examen des opérations menées au bilan va s’avérer plus que jamais nécessaire pour décrypter ses intentions.