par Ibra Wane, stratégiste chez Amundi Asset Management
Débutée il y a plusieurs mois, la crise grecque aura fini par avoir eu raison du redémarrage des marchés actions. Alors qu’ils avaient touché le 15 avril dernier leur plus haut depuis dix huit mois, ils ont été balayés en moins de trois semaines, avec des reculs d’au moins 7% sur les plus épargnés, comme les États-Unis et le Japon, jusqu’à près de 15% en Europe, voire 20% sur les plus impactés comme les PIGS. Ce final ( ? ) dramatique n’aura pas surpris les adeptes du Sirtaki, cette fameuse danse grecque, qui démarre de façon lente pour s’accélérer de façon irrésistible…
Un sentiment de marché trop lénifiant
Rétrospectivement, le sentiment de marché à la mi-avril – dopé par une batterie de statistiques positives, une volatilité au plus bas, des perspectives de résultats en nette amélioration, une valorisation sans excès aux États-Unis et très décotée en Europe – était probablement trop lénifiant. D’une part, parce que les indicateurs avancés, à force d’amélioration, ne recelaient plus guère de potentiel d’amélioration. D’autre part, et surtout, car à trop s’en remettre au début de reprise en cours, aucun des grands déséquilibres financiers n’avait commencé à être traité. Mais de là à s’imaginer que la mobilisation de l’Union européenne et du FMI au secours de la Grèce, pour imparfaite qu’elle fut, aurait redoublé les doutes et la spéculation avec les agences de rating en boutefeu…
L’Europe au cœur de la tourmente
Cette nouvelle crise est un prolongement de celle de 2008 dont toutefois l’origine était américaine et bancaire, avec un surendettement des ménages et la dissémination des produits toxiques. Le grippage du marché interbancaire qui s’en est ensuivi avait provoqué un assèchement des liquidités mettant à bas essentiellement quelques grands noms anglo-saxons. En 2010, c’est désormais l’Europe qui est au cœur de la tourmente. Et ce sont moins les banques, que certains États de la zone euro – et notamment la Grèce, le Portugal, et de fil en aiguille, l’Espagne et l’Italie – qui se retrouvent en première ligne. Mais Il va de soi que si la crise venait à perdurer, elle dépasserait la sphère publique pour miner à son tour l’ensemble du système bancaire.
Un impérieux besoin de leadership
Alors que la crise paroxystique de l’hiver 2008 avait poussé à une concertation accrue, celle-ci s’est relâchée au cours des derniers mois, mettant en lumière l’insuffisance des mécanismes de gouvernance économique au sein de l’Europe, son manque de capacité à anticiper et à trancher. Un manque d’autant plus criant qu’au même moment plusieurs États, comme la Belgique, privée de gouvernement, la Grande-Bretagne, privée d’une majorité claire, ou l’Allemagne où la Chancelière a perdu sa majorité au Bundesrat, connaissaient des tiraillements politiques, peu propices à redonner un nouveau souffle au projet européen. Ce nouveau souffle, que les dirigeants européens se sont efforcés d’ébaucher ce week-end, est pourtant impératif car, compte tenu des fonds déjà injectés pour limiter les effets de la récession en 2008/2009, les marges de manœuvre d’aujourd’hui sont beaucoup plus limitées.
Ramener le calme sur les marchés, puis réduire les déséquilibres de fond
Les 27 ministres des finances de l’Union européenne se sont réunis ce week-end afin de se doter d'un mécanisme de gestion de crise susceptible de ramener le calme sur les marchés. Celui-ci permettra à la Commission de s'endetter directement afin de venir en aide à un pays. Le mécanisme retenu repose tout d’abord sur un fonds d'environ 60 milliards qui pourra être utilisé comme collatéral afin de pouvoir émettre en sus des prêts inter-gouvernementaux. Par ailleurs, les États-membres de la zone euro se tiendront prêts à mobiliser au travers d’un Conduit Spécial jusqu’à 440 Mds d’euros et le FMI viendra compléter le dispositif. De tels montants sont à mettre en rapport avec les 500 milliards jugés nécessaires pour venir au secours le cas échéant de la péninsule ibérique. Ce mécanisme d’assistance en deux temps serait accordé par le Conseil, sur proposition de la Commission. Ce prêt devra cependant être endossé par l'ensemble des 27. La Grande-Bretagne aurait fait savoir qu’elle n’avait pas d'objections de fond et l’Allemagne, naguère réticente à un tel dispositif, considèrerait désormais que, vu l’aggravation de la situation, celui-ci – à condition d’être bien encadré – est devenu indispensable.
Mais au-delà des mécanismes d’assistance à tel ou tel État-membre en crise afin d’éviter l’effet domino, les pays de la zone euro devront également convaincre de leur capacité à assainir leurs déséquilibres financiers dans un calendrier crédible. C’est pourquoi, quelles que soient les circonvolutions autour du terme rigueur, les finances publiques de la zone seront soumises à une discipline et un contrôle accrus d’ici 2013.
Le statu quo ante a probablement vécu
Dès cette semaine, on verra bien si les marchés jugeront ces mesures suffisantes. Mais au-delà d’une éventuelle normalisation de l’aversion au risque, remontée en flèche ces derniers jours, il est fort à prévoir que les marchés jugeront également que la reprise européenne sera sous le boisseau d’ici 2013.
Quoiqu’il en soit, ces risques nous apparaissent largement « discountés » au vu de la valorisation actuelle des marchés européens. Tous les secteurs ne seront pas cependant à la même enseigne. La consommation, notamment discrétionnaire devrait demeurer sous pression, alors que les secteurs exportateurs pourraient tirer parti d’une conjoncture plus porteuse à la grande exportation ainsi que d’une modération durable de l’euro. De même, la reprise de l’investissement sera probablement moins ample et plus sélective que prévu. En revanche, le secteur financier, particulièrement étrillé ces derniers jours, pourrait bénéficier, sinon d’une conjoncture porteuse, du moins d’une normalisation de l’aversion au risque.