par Régis Bégué, Associé-gérant, Directeur de la gestion actions chez Lazard Frères Gestion
Jour après jour, les prix de l’énergie battent des records en Europe. On se souviendra particulièrement de la journée du 6 octobre, où le gaz s’est envolé de 35% en quelques heures, atteignant près de 10 fois ses prix d’il y a 18 mois. Le déséquilibre entre offre et demande s’étend au marché du charbon et pousse les prix de l’électricité à la hausse. La situation amène à s’interroger sur la stratégie énergétique de l’Union européenne.
Il y a un an et demi, la chute de la demande faisait plonger les prix de l’énergie à des niveaux historiquement bas. Aujourd’hui, ces mêmes prix atteignent des sommets.
Entretemps, l’hiver 2020-2021 a changé la donne. Au Texas, les records absolus de froid ont laissé quelques traumatismes en gelant les éoliennes et les terminaux gaziers, provoquant une panne électrique massive. En Europe, quoique moins rude qu’aux États-Unis, l’hiver a été froid aussi et a obligé la plupart des pays à puiser dans leurs réserves de gaz. Depuis, les malheurs énergétiques s’enchaînent pour le Vieux continent.
Un mauvais concours de circonstances
Tout d’abord, les États-Unis, échaudés par leur expérience de l’an passé, ont limité leurs exportations gazières vers l’Europe, alors même que le boum du gaz de schiste avait transformé le pays en pourvoyeur d’énergie à l’échelle mondiale. D’autre part, la Chine, décidant de boycotter le charbon australien, a vu sa demande de gaz augmenter et a massivement reporté sa demande énergétique vers le Qatar et la Russie. Aussi les deux pays ont-ils dû réduire leurs livraisons de gaz à destination du Vieux continent depuis l’été 2021.
Dans le cas russe, s’ajoutent également des tensions géopolitiques autour du gazoduc Nord Stream 2, prêt à relier la Russie à l’Allemagne en passant sous la mer Baltique. Tout en ayant engagé ce projet nécessitant 10 milliards d’euros d’investissement, l’Europe fait désormais la moue face au gaz russe qui soulève des débats écologiques, tout en laissant l’Ukraine sur la touche de la géopolitique mondiale. Nord Stream 2 attend donc toujours d’être ouvert.
Bien qu’entourée de gaz, l’Europe se retrouve ainsi en déficit énergétique à court terme. Pour y faire face, l’Allemagne a réactivé la plupart de ses réacteurs au charbon. Or, le pays n’exploitant plus de charbon depuis 2018 et disposant d’un nombre réduit de mines de lignite, l’offre extérieure a dû être mobilisée. Les prix du charbon sont donc montés en flèche, rendant la production électrique d’autant plus coûteuse.
Un choc historique
Pour ne rien arranger, le marché du CO2 européen s’emballe également pour d’autres raisons. L’Union européenne, souhaitant accélérer sa transition énergétique, est entrée depuis 2019 dans une politique de réduction des quotas de « droits à polluer » qui s’appliquent notamment aux entreprises du secteur énergétique. Émettre une tonne de CO2 coûte donc près de 20 fois plus cher aujourd’hui qu’en 2013 et produire de l’électricité à base de charbon est devenu un gouffre financier. Raison de plus pour faire bondir les prix de l’électricité.
Le marché européen étant interconnecté, la hausse des prix de l’énergie s’observe dans tous les pays, y compris en France où le nucléaire reste prédominant. La facture énergétique sera élevée pour les ménages européens et les conséquences sociales ne seront pas neutres, ceci malgré l’intervention de certains gouvernements pour limiter l’ampleur du problème.
La situation est-elle comparable au choc pétrolier de 1973 ? À en croire le marché des contrats à terme, la réponse est non. Les intervenants anticipent en effet un retour progressif à la normale pour les mois et années à venir. Le choc serait donc temporaire. Faut-il s’en réjouir ? Non, car l’actuel niveau des prix reflète l’ampleur du déséquilibre que nous traversons et l’absence de solutions évidentes pour y remédier à court terme.
Comment sortir de l’impasse
La grande question est désormais de savoir comment mettre un terme au cercle vicieux dans lequel l’Europe est enfermée. La première solution serait d’accélérer la mise en service de Nord Stream 2. Le projet finira par se débloquer : depuis le 4 octobre, le remplissage du gazoduc a commencé, mais son ouverture après les derniers tests n’est pas encore définie. Le gaz russe a certes mauvaise presse, mais il ne faut pas oublier que son empreinte carbone est nettement plus faible que celle du charbon.
L’Europe dispose également d’un autre levier : celui du marché du CO2. L’idée d’avoir créé un marché des « droits à polluer » était intéressante pour inciter les entreprises à accélérer leur transition énergétique. Néanmoins, la trop faible régulation de ce marché le rend désormais sujet à la spéculation et participe à l’emballement débridé des prix. La politique de quotas mériterait donc d’être ajustée pour maîtriser cette envolée et parvenir, peut-être, à inverser la tendance.
Pour certains, la situation est surtout la preuve que l’Europe doit désormais se passer des énergies fossiles en trouvant son autosuffisance dans les énergies
renouvelables. L’idée est des plus louables, mais le black-out américain de l’an passé signale les limites des solutions entièrement dépendantes des conditions météorologiques. Reste également à savoir si éolien et solaire, aux faibles rendements, peuvent réellement constituer à eux seuls des solutions durables. Certains voient donc le salut dans le recours à l’hydrogène, mais ce combustible dont la production est chère et énergivore est loin encore de constituer une véritable alternative.
Un débat plus large mérite donc d’être ouvert sur les choix énergétiques de l’Europe, qui ne réussit pas à définir une position commune sur la place du nucléaire. Tous les pays européens cherchent actuellement à augmenter simultanément leur part d’énergie renouvelable en assumant une plus grande instabilité de leur réseau, tout en faisant le pari qu’en cas de mauvaises conditions météorologiques, il suffira d’importer l’énergie d’un pays voisin. L’actuelle crise énergétique nous montre toutefois que l’Europe n’est pas à l’abri des pénuries. Faudra- t-il attendre un « black out » européen pour amener le Vieux continent à trouver des solutions réellement durables ?