par Frederik Ducrozet et Isabelle Job, économistes au Crédit Agricole
L’euro a perdu près de 18 % de sa valeur depuis décembre 2009, date à laquelle il s’échangeait autour des 1,50 contre le dollar US.
Sa glissade s’est accélérée ces dernières semaines, ce qui alimente les spéculations autour d’une intervention des banques centrales, BCE en tête, pour soutenir la monnaie unique.
Au stade actuel, une intervention sur le marché des changes paraît improbable. L’euro n’est pas particulièrement bon marché et les gains de compétitivité associés sont une bonne nouvelle pour les économies de la zone euro qui tournent au ralenti.
L’euro a perdu près de 18 % de sa valeur depuis décembre 2009, date à laquelle il s’échangeait autour des 1,50 contre le dollar US. En termes effectifs (i.e. taux de change de l’euro contre un panier de devises des principaux partenaires commerciaux de la zone euro), la baisse de la monnaie unique avoisine les 10 % en six mois. Sa glissade s’est accélérée ces dernières semaines sur fond d’inquiétudes croissantes quant à la solvabilité de certains des Etats-membres de la zone euro dans le sillage de la crise grecque. Même l’annonce d’un plan de stabilisation de 750 Mds € n’a pas réussi à inverser la tendance. Les atermoiements qui ont précédé l’annonce de ce plan, les discours souvent cacophoniques des officiels européens, voire la décision unilatérale de l’Allemagne de bannir certaines opérations de ventes à découvert (notamment sur les dettes des Etats de la zone euro et les CDS souverains) sont interprétés comme les signes d’une faible cohésion et d’un manque de concertation au sein de la zone, qui ont de quoi nourrir la défiance des investisseurs.
On pourrait même dire que la monnaie unique est devenu un des réceptacles privilégiés des doutes sur la solidité de la zone euro, depuis la décision de la BCE d’intervenir sur les marchés obligataires de certains Etats-membres.
L’accélération récente de ce mouvement de baisse alimente les spéculations d’une intervention concertée des banques centrales pour soutenir la monnaie européenne. Face à cette hypothèse, les investisseurs ont débouclé leur position courte, ce qui a fait rebondir l’euro en fin de semaine.
Au stade actuel, une intervention sur le marché des changes paraît improbable. L’euro n’est pas particulièrement bon marché, même s’il se rapproche à grand pas de sa valeur d’équilibre, estimée autour de 1,17 contre le dollar US. L’euro corrige, certes un peu vite, une période de surévaluation qui s’est amplifiée début 2009, lorsque le dollar a perdu de son attrait en tant que valeur refuge sur fond de reprise mondiale. Sa volatilité implicite mesurée par les options de change, proche de 15 %, reste toutefois inférieure aux records enregistrés fin 2008 (25 %).
Selon nos prévisions, comme les écarts de croissance vont rester à l’avantage des Etats-Unis, le trend baissier de l’euro devrait se poursuivre ces prochains mois avec une cible pour la parité euro/dollar de 1,15 en fin d’année.
Son affaiblissement est par ailleurs une bonne nouvelle pour les économies de la zone euro qui tournent au ralenti avec un moteur domestique de croissance durablement grippé. Dans ce contexte, un regain de compétitivité qui va stimuler en retour les exportations paraît bienvenu. Le schéma traditionnel de reprise en zone euro transite par les exportations, dont le redémarrage permet de restaurer la profitabilité des entreprises exportatrices avec des retombées positives sur l’emploi et finalement sur les revenus, ce qui aiguise l’appétit des ménages pour la consommation et incite les entreprises à investir, avec au final l’enclenchement d’une dynamique vertueuse entre offre et demande.
D’après les estimations économétriques, une baisse de 10 % du taux de change effectif est censée apporter un point de croissance supplémentaire pour la zone dans son ensemble sur une période allant de douze à dix-huit mois. Les pays de la région les plus à même de profiter de ce regain de compétitivité sont ceux les plus ouverts sur l’extérieur comme la Belgique, l’Irlande et les Pays-Bas (dont les exportations représentent 70 % ou plus de leur PIB) suivis par l’Allemagne, la Finlande et l’Autriche (40-50 %). Même corrigé des exportations intra-zone, cet ordonnancement reste valide avec un avantage à l’Allemagne et aux petites économies ouvertes d’Europe du Nord.
L’Allemagne profite par ailleurs de débouchés extérieurs importants vers des marchés dynamiques dont les devises sont liées à la zone dollar, puisque plus de 20 % de ses exportations sont à destination des Etats-Unis et de l’Asie.
Pour les pays du sud de l’Europe qui souffrent d’un déficit de compétitivité, la baisse de l’euro est aussi une bouffée d’oxygène, les exportations hors zone euro représentant en moyenne 5 à 10 % du PIB. Ce coup de pouce ne doit pas les dédouaner pour autant de mener des réformes structurelles pour restaurer durablement leur position concurrentielle.
Si l’affaiblissement de l’euro est généralement source d’inflation importée, la conjoncture actuelle de reprise très molle en zone euro est plutôt de nature désinflationniste, voire déflationniste dans certains pays de la zone euro soumis à une forte contrainte budgétaire. Tout en notant cette source potentielle d’inflation, la BCE devrait conserver son diagnostic d’un risque sur les prix globalement équilibré.
Il n’existe donc pas de raisons objectives pour chercher à soutenir la monnaie unique. En novembre 2000, la dernière intervention de ce type était justifiée par la forte sous-évaluation de l’euro, une conjoncture bien orientée et par les risques inflationnistes associés, l’inflation dépassant alors la cible des 2 % de la BCE. Rien de tel aujourd’hui !
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