Politiques économiques en Europe : Entre le marteau et l’enclume

par Alexandre Bourgeois , économiste chez Natixis

Tous les gouvernements occidentaux font actuellement face à un défi de taille : la réduction de leurs déficits. Certes, certaines situations sont plus « voyantes » que d’autres. Ainsi, l’Espagne, l’Irlande et surtout la Grèce ont subi récemment de vives pressions de la part des marchés. Dans le même temps, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, dont les taux d’intérêt restent actuellement toujours très bas, sont pour l’heure immunisés. Toutefois, comme un des conseillers économiques du Président Obama l’a récemment rappelé1, aucun des principaux pays occidentaux ne peut se sentir indifférent au problème des déficits publics.

D’ailleurs, les cinq pays cités précédemment, malgré leurs différences de traitement par les marchés, ont enregistré en 2009 un déficit supérieur à 10 % de leur PIB. Le problème n’est toutefois pas simple à résoudre. En effet, les gouvernements font face à deux contraintes fortes :

D’un côté, la crise, qui a connu son point culminant entre l’automne 2008 et le printemps 2009, a eu pour caractéristique principale l’arrêt complet de la demande privée en Occident. Instruits par les enseignements de la crise des années 30, les gouvernements occidentaux ont compris qu’ils ne pouvaient laisser s’écrouler la consommation et l’investissement, sous peine d’enclencher une spirale déflationniste2. En conséquence, ils ont soutenu les systèmes bancaires (via des injections de capital, des prêts ou des garanties publiques) qui étaient à l’automne 2008 au bord du précipice, ils se sont substitués au secteur privé pour distribuer des revenus aux ménages (sous forme de transferts sociaux ou de baisses d’impôts) et ils ont stimulé la demande globale (via des subventions au secteur privé ou des dépenses publiques). Grâce à cela, et à la différence des années 30, la récession a été de relativement courte durée (entre un an et un an et demi3). Toutefois, on voit bien que les économies occidentales restent encore « sous perfusion » et que leur fragile redémarrage ne pourrait supporter un retrait du soutien public.

D’un autre côté, la vitesse de dégradation des finances publiques durant la crise a été inédite. Ainsi, l’Espagne est, par exemple, passée d’un excédent public proche de 2 % du PIB en 2007 à un déficit de 11,2 % en 2009 !

En conséquence, les obligations publiques des pays de l’OCDE qui, collectivement, apparaissaient jusqu’à il y a peu comme le principal actif sans risque, sont aujourd’hui discriminées les unes par rapport aux autres de manière brutale et parfois aveugle. Effrayés par la perspective de devoir affronter une attaque des marchés, les différents gouvernements sont alors contraints de mener des politiques budgétaires extrêmement restrictives4, oubliant parfois qu’une baisse des dépenses d’un point de PIB ne conduit pas mécaniquement à une baisse du déficit de un point de PIB, mais plutôt à une baisse comprise entre ⅓ et ½ point de PIB, via l’effet dépressif d’une telle mesure sur le PIB. L’effort promis par certains pays européens pour revenir dans les clous du Pacte de stabilité (3 % de déficit à horizon 2012-13) apparait alors insupportable pour des économies toujours fragiles.

L’expérience passée des politiques d’amélioration des soldes publics (Canada, Royaume-Uni, Danemark…) donne néanmoins aux gouvernements européens de précieuses indications5. D’une part, la plupart d’entre elles ont joué majoritairement sur les dépenses publiques, ce qui peut sembler pertinent à l’heure où ces dernières dépassent 50 % du PIB en zone euro (55,6 % en France). D’autre part, une des conditions essentielles du succès de ces politiques d’assainissement budgétaire concerne la fixation d’une politique de taux d’intérêt et de taux de change accommodante. Et, à ce titre, la nette baisse de l’euro ces derniers jours ainsi que l’engagement de la BCE à maintenir des taux bas et à pratiquer une politique monétaire non-conventionnelle vont clairement dans le bon sens6…

NOTES :

  1. Parlant des Etats-Unis, P. Volker a ainsi affirmé que les événements européens constituent « une nouvelle preuve des menaces (qui pèsent) sur notre économie du fait d’emprunts incontrôlés ».
  2. La baisse de la demande fait baisser les prix et stimule les anticipations d’une poursuite de la baisse des prix, incitant ainsi ménages et entreprises à reporter dans le temps leurs dépenses, ce qui génère une nouvelle baisse de prix etc.
  3. Contre, plus de quatre ans aux Etats-Unis au début des années 30 (et même plus, si on considère la récession de 1938).
  4. Plan d’assainissement grec, baisse des traitements des fonctionnaires en Espagne et en Irlande, hausse de la TVA au Portugal…
  5. Cf. Artus P. (2009) : « Consolidations budgétaires du passé : comment ont-elles été réalisées ? Dans quels cas réussissent- elles ? », Flash n°455, Natixis.
  6. Cf. Artus P. (2010) : « Les deux seules solutions "raisonnables" : étaler davantage dans le temps la réduction des déficits publics ou déprécier fortement l'euro », Flash n°251, Natixis.

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