Quatre éléments clés à surveiller lors de la COP26

par Samuel Abettan et Gerben Hieminga, Economistes chez ING

Le sommet tant attendue sur le climat, la COP26, débutera à Glasgow, au Royaume- Uni, le 31 octobre. Il sera crucial pour les dirigeants mondiaux d’aligner les stratégies de réduction des émissions des pays sur les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Voici les quatre points essentiels à surveiller.

Alors que le monde se remet de la Covid-19, l’horloge carbone ne s’est pas arrêtée de tourner. Les modèles climatiques indiquent que la trajectoire d’émissions actuelle conduit la planète sur la voie d’un dépassement de 2°C de réchauffement climatique dans moins de 25 ans, et d’un dépassement de 1,5°C de réchauffement dans 7 ans par rapport aux températures préindustrielles ; ce qui se traduit par des risques environnementaux sans précédent selon le dernier rapport du GIEC1.

1) Les gouvernements aligneront-ils leurs politiques de réduction des émissions avec l’objectif de neutralité carbone ?

Dans le cadre de l’accord de Paris en 2015, les pays se sont engagés à suivre une trajectoire d’émissions compatible avec l’objectif de maintenir la hausse moyenne de la température mondiale « bien en deçà » de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels tout en « poursuivant les efforts » pour rester dans une fourchette de 1,5°C d’ici 2100. Mais les engagements initiaux pris à Paris en matière de réduction des émissions, appelés «contributions déterminées au niveau national» (NDC en anglais), n’étaient pas compatibles avec cet objectif (graph 1).

C’est pourquoi l’accord prévoit que les Etats soumettent des engagements plus ambitieux tous les cinq ans jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est précisément la mesure de cet engagement, pays par pays, qui sera au cœur de la COP26, réunie au Royaume-Uni (Glasgow, Écosse) du 31 octobre au 12 novembre. Cette réunion est très attendue puisqu’elle a été reportée d’un an en raison de la pandémie de Covid-19.

Les plans actuels Etats placent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 2,7°C d’ici la fin du siècle selon le dernier rapport de la CCNUCC2, toujours loin de l’accord de Paris. Selon le même rapport, les engagements actualisés des Etats (y compris ceux qui ont été nouvellement soumis par les États-Unis, l’UE, le Royaume-Uni et plus de 100 autres pays) sont encore insuffisants. Ils entraîneraient une augmentation de 16 % des émissions d’ici à 2030 par rapport à 2010, alors qu’elles devraient diminuer d’environ 45 % au cours de cette période pour avoir une chance de ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement.

La première chose à surveiller lors de la COP26 est donc de savoir dans quelle mesure les pays renforceront leurs politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

2) Les gouvernements vont-ils verdir leurs plans de relance post Covid-19 ?

Bien que les émissions mondiales de CO2 liées au secteur de l’énergie aient connu une baisse record de 5,8 % en 2020 en raison des mesures de confinements aux États-Unis, dans l’UE, en Chine et en Inde, elles devraient à nouveau rebondir cette année. L’AIE

(Agence Internationale de l’Energie) prévoit un rebond des émissions de près de 5 % en 2021, du même ordre qu’après la reprise post-20083.

Et ce, alors même que les dépenses budgétaires liées au Covid-19 sont d’une ampleur sans précédent au sein des pays du G20. Elles s’élèvent actuellement à un total d’environ 16 000 milliards de dollars (soutien fiscal pour les ménages et entreprises et plans de relance confondus). Mais, jusqu’à présent, les pays du G20 ont largement manqué l’occasion d’utiliser les plans de relance pour accélérer la transition bas carbone, avec un impact carbone majoritairement neutre ou négatif en termes d’émissions selon l’OCDE4 ; même s’il est encore tôt pour juger entièrement les initiatives dans le cadre de l’UE NextGenerationEU et du plan « Build Back Better » de Joe Biden aux Etats-Unis.

Un deuxième point à surveiller sera donc de savoir si les engagements climatiques renouvelés seront suivis d’un verdissement des plans de relance mondiaux.

3) La Chine présentera-t-elle des engagements crédibles pour sortir progressivement du charbon ?

Malgré les efforts déployés en amont de la COP26 pour promouvoir la sortie du charbon à l’échelle mondiale, un accord semble toujours hors de portée. Le charbon reste la principale source de production d’électricité dans le monde (35 % du mix électrique mondial). Il est également la principale cause d’émissions de gaz à effet de serre, surtout de CO2 à hauteur de 39 %.

C’est pourquoi sept pays (notamment la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Chili) se sont déjà engagés à sortir progressivement du charbon. Dans le cas de la Belgique, le royaume a été le premier Etat membre de l’UE à sortir totalement du charbon en 2016. Quelques autres pays (le Danemark et le Costa Rica) sont également à l’origine d’une initiative diplomatique pour sortir de tous les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz).

Mais l’avenir du charbon est entre les mains de la Chine, et de l’Inde dans une moindre mesure. La Chine n’est pas seulement le plus grand émetteur de GES au monde, elle est aussi le plus grand consommateur de charbon. Plus de 50 % des émissions de la Chine sont l’effets de combustibles fossiles, notamment dues de la production d’électricité (graph 2), dont la quasi-totalité est produite par des centrales au charbon.

La Chine n’a pas encore présenté la version actualisée de son plan de réduction d’émissions, mais elle a annoncé un objectif de neutralité carbone d’ici 2060 et prévoit un pic des émissions de CO2 d’ici 2030. Le président Xi Jinping a récemment annoncé qu’il cesserait de financer le charbon à l’étranger, mais l’avenir du charbon se joue au sein de leurs frontières. Sur le plan intérieur, la forte demande chinoise dans un contexte de flambée des prix de l’énergie, incite actuellement Pékin à stimuler sa production de charbon en Mongolie intérieure et ses importations en provenance d’Australie, malgré ses engagements climatiques.

Une récente étude de Global Energy Monitor soulignait d’ailleurs que la puissance des centrales électriques au charbon en cours de développement en Chine s’élève à 247 GW, soit près de six fois la capacité totale des centrales au charbon de l’Allemagne (42,5 GW) – dont la fermeture est programmée d’ici 2038. Toutefois, la Chine n’est pas le seul point d’interrogation. Une partie des principaux producteurs de combustibles fossiles, comme l’Arabie saoudite, la Russie et l’Australie, ont également refusé de renforcer leur engagements avant la COP26.

Le troisième point chaud lors de la COP26 est donc de savoir dans quelle mesure les pays font des déclarations crédibles pour réduire l’utilisation du charbon.

4) Les gouvernements vont-ils renforcer les marchés du carbone et augmenter le financement climatique ?

La réalisation des ambitions climatiques dépend en grande partie de questions financières. Le financement climatique désigne les méthodes de financement visant à soutenir les actions d’atténuation et d’adaptation qui permettront de lutter contre le changement climatique5.

Les pays développés ont promis de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement afin de les aider à faire face aux effets du changement climatique. Cet objectif a été en partie repris dans l’accord Paris en 2015 et est l’une des base de la confiance entre Etats. Mais cet objectif n’a pas encore été atteint, puisqu’il manquait encore 20 milliards de dollars en 2019, selon une étude de l’OCDE6 (graph 3).

Un autre sujet majeur lors de la COP26 est l’article 6 de l’Accord de Paris, qui décrit les moyens par lesquels les pays peuvent atteindre leurs objectifs climatiques, notamment par le biais de marchés carbone pour certains secteurs (par exemple le marché carbone européen EU ETS), ou par le biais de marchés volontaires du carbone (cf. plus bas). S’ils sont mis en œuvre correctement, ces deux mécanismes reviennent à donner un prix au carbone, et donc à rendre payant les externalités des activités fortement émettrices.

Le mécanisme des marchés carbone (ETS) est assez simple. Il repose sur le principe du « cap and trade » : chaque participant se voit attribuer des droits d’émission et les participants dont les émissions sont plus faibles peuvent échanger leurs crédits excédentaires avec les émetteurs qui dépassent leur budget carbone. Les activités les plus polluantes deviennent donc plus coûteuses (et donc plus chères) que les activités moins polluantes. Le plafond global garantit que les émissions de gaz à effet de serre ne dépassent pas un niveau maximal. Ce plafond est ensuite abaissé chaque année pour garantir une baisse des émissions.

En 2021, avec la flambée des prix du carbone sur le marché européen et le lancement officiel du marché carbone national en Chine, le sujet s’est invité en dehors du seul champ des spécialistes. A l’heure actuelle, les marchés du carbone couvrent environ 16 % des émissions mondiales de GES, mais ces proportions pourrait augmenter, alors que l’UE songe à étendre son marché ETS à d’autres secteurs7.

Mais la mise en œuvre des marchés carbone est complexe. Dans la pratique, les marchés carbone n’ont pas encore atteint leur objectif. Moins de 5 % des émissions mondiales couvertes par les initiatives de tarification du carbone (marché ou taxe carbone) le sont à un prix compatible avec la réalisation des objectifs de l’accord de Paris, c’est-à-dire, à un prix suffisamment élevé pour avoir une influence sur les décisions de production d’une entreprise.

Il en va de même pour les marchés volontaires du carbone : brillants sur le papier, mais épineux dans la pratique. L’idée derrière ces marchés est de permettre aux pays (et aux entreprises) de compenser leurs émissions nationales par des mesures de réduction des émissions à l’étranger. Ainsi, s’il est moins coûteux pour un pays comme la Belgique de réduire une tonne de CO2 en Inde plutôt que sur son propre territoire, le gouvernement belge pourrait financer un projet d’énergie renouvelable en Inde qui réduirait les émissions dans ce pays, mais qui compterait pour l’objectif belge de réduction des émissions. Un tel mécanisme permettrait aux pays les plus pauvres d’accéder au financement climatique et aux pays les plus riches de réduire leurs émissions à moindre coût.

Evidemment, cela va de pair avec tous les besoins de transparence et compatibilité carbone qui en découlent. En effet, il pourrait y avoir une double comptabilisation des réductions d’émissions par les deux pays, ce qui donnerait l’impression que les émissions de carbone diminuent plus vite qu’elles ne le font en réalité. Ces projets de compensation

doivent également respecter des règles ESG partagées, sujets de débats entre les Etats, car ils ont potentiellement des externalités (biodiversité, santé publique, communautés locales…). Le Brésil, par exemple, souhaite que la plantation d’arbres en soit exclue, contrairement à la République démocratique du Congo. La question des marchés volontaires du carbone est si complexe que les négociations ont déjà échoué lors de la COP24 à Katowice (Pologne) et de la COP25 à Madrid (Espagne).

Un quatrième sujet à trancher lors de la COP26 sera de savoir dans quelle mesure les négociateurs progressent dans la mise en œuvre des marchés du carbone et définissent des lignes directrices pratiques pour les marchés volontaires du carbone.

Conclusion

Il y a donc manifestement beaucoup de choses à discuter et des accords contraignants sont loin d’être garantis. N’oublions pas non plus que certains des dirigeants des pays les plus polluants du monde ne seront probablement pas présents. Cette semaine, le Kremlin a annoncé que le président Vladimir Poutine ne serait pas présent en personne, mais qu’il pourrait participer en vidéo. Les espoirs sont minces quant à la présence du président chinois Xi. Le Brésilien Jair Bolsonaro n’y participera pas non plus.

La COP26 a été décrite comme la « dernière chance » de sauver la planète. Les militants fatigués et les dirigeants du monde entier savent bien que nous avons déjà entendu cela à maintes reprises. Espérons que nous serons surpris.

NOTES

1 https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM.pdf 

2 https://unfccc.int/fr/node/306848

3 https://www.iea.org/reports/global-energy-review-2021/co2-emissions

4 https://www.g20.org/wp-content/uploads/2021/07/OECD-Aligning-recovery-measures-with- climate-objectives-2021_final.pdf

5 https://unfccc.int/topics/climate-finance/the-big-picture/introduction-to-climate-finance
6 https://www.oecd.org/fr/environnement/financement-climatique-fourni-et-mobilise-par-les-pays- developpes-tendances-agregees-mises-a-jour-avec-les-donnees-de-2019-68a276c9-fr.htm
7 https://legrandcontinent.eu/fr/2021/07/15/le-plan-qui-change-tout-10-points-sur-le-fit-for-55/