par Paola Monperrus-Veroni, Economiste au Crédit Agricole
On pouvait espérer beaucoup de la réunion à Rome des chefs d’État des principales économies mondiales organisée par M. Draghi et concluant la présidence italienne du G20. Mais c’était trop tôt.
Formé dans le sillage de la crise asiatique en 1999 pour diffuser le consensus de Washington, le forum des chefs d’État du G20 avait subi une profonde mutation à la suite de la grande crise économique et financière, lorsqu’il fallut reconstruire un nouveau système financier sur les ruines de l’ancien. Finalement, c’était là que le leadership de M. Draghi avait fait ses preuves avec la création en 2009 du Conseil de stabilité financière (FSB) chargé de forger un système financier plus résilient. Le succès de M. Draghi a été obtenu grâce à une mission claire, un soutien politique fort et à la mobilisation de tous les acteurs (gouvernements, banques centrales, régulateurs, superviseurs). Avec sa phrase « we will be stronger together », G.W. Bush mettait alors fin à l’isolement de l’hégémonie (le G1), faisant appel aux valeurs d’humilité, de responsabilité, de solidarité. La marche séculaire guidée par l’expansion des marchés et conduisant à un changement du contrat social d’une économie de marché vers une société de marché était remise en question. Il s’agissait désormais de rééquilibrer la relation entre le marché et l’État, entre le capital économique et le capital social. Mais, avec la phase ouverte par l’administration Trump de retour au G1, à la compétition des grandes puissances et au nationalisme d’exclusion, la communauté internationale ne semblait plus capable de travailler ensemble pour répondre aux grands défis et poursuivre la construction du nouvel ordre mondial. Le Covid fut une sonnette d’alarme des plus puissantes.
La crise du Covid et du climat : les nouveaux biens communs mondiaux
La crise du Covid a été la plus grande crise existentielle qu’a connu l’humanité au cours des dernières décennies, un rappel brutal de la vulnérabilité commune. Elle a aussi été un point d’inflexion qui a imposé des arbitrages très explicites entre la santé et la préservation de la vie, d’un côté, et les priorités économiques, de l’autre, forçant parfois la société à des jugements de valeurs difficiles. En cela, elle a été un puissant révélateur des valeurs sous-jacentes des sociétés et de leur mutation. La crise a obligé à s’interroger sur ce qu’est un bien commun, à redécouvrir la finalité commune des sociétés dans un défi qui a demandé de retrouver de la solidarité à tous les niveaux (entre individus et entre pays), afin de mener des actions efficaces.
Un nouveau consensus : résilience, soutenabilité, égalité
La pandémie a mis en évidence que la capacité des États à agir efficacement est plus élevée lorsqu’il existe un accord sur les priorités de long terme. Elle nous a rappelé combien les plus grandes crises, qu’elles soient sanitaires ou environnementales, exigeaient une réponse globale et ambitieuse. Elle nous a aussi rappelé que de la réponse apportée à cette crise (en incluant, outre la crise sanitaire, la crise climatique et celle des inégalités) découlera très probablement soit l’effondrement soit un vrai déblocage du système. Le G7, réuni à Carbis Bay en Cornouailles, avec le mandat de reconstruire un monde meilleur « Build back better », a dessiné un nouveau consensus, le consensus de Cornouailles. À la différence du consensus de Washington, qui envisageait le renforcement de l’économie par des réformes en faveur du libre marché, le consensus de Cornouailles affirme le rôle critique de l’État dans la reconstruction d’une économie et d’une société plus résiliente, soutenable et équitable. Ce rôle se décline dans la promotion de l’investissement (public et privé), la réforme et la définition de nouveaux standards et d’une nouvelle gouvernance dans les champs de la santé, du climat, de la géopolitique et dans le domaine socio-économique. La relation avec le secteur privé doit être guidée par de nouveaux principes de gouvernance pour améliorer la performance sociale.
Le sommet du G20 à Rome semblait donc la bonne occasion pour établir et communiquer une vision autour de laquelle ancrer les anticipations et les comportements nécessaires à la mise en œuvre des changements audacieux dans tous ces domaines. Idéalement, il aurait dû introduire de nouveaux mécanismes concrets pour améliorer les systèmes de gouvernance dans ces domaines et consolider le nouveau consensus établi par le G7, comme cela avait été fait avec la FSB lors de la crise précédente.
Le verre à moitié plein
Ceux qui attendaient des grandes déclarations sur une vision ou un processus intergouvernemental pour gérer les nouveaux défis et biens communs planétaires ont été déçus. Finalement, la pandémie ne semble pas avoir fondamentalement revigoré le multilatéralisme. La formule du G18 (les leaders de Chine et de Russie n’ayant pas fait le déplacement au sommet de Rome) montre que l’idéologie dominante reste le nationalisme, peu efficace pour affronter les défis sanitaires et climatiques.
Mais il ne faut pas voir le verre qu’à moitié vide. Ce que M. Draghi pouvait au mieux faire à ce stade, et dans ce contexte difficile, était l’identification des domaines d’intérêt commun, où une action coordonnée était la plus probable. Et il a remporté quelque succès permettant de concrétiser des promesses par des actions financières et des engagements tangibles.
Sur le front du climat, tous les pays ont reconnu comme scientifiquement fondé l’objectif de contenir le réchauffement de la planète en deçà de 1,5 degré. Cette reconnaissance, y compris de la part de Russie et Chine, est déjà une avancée majeure, même si elle a demandé de rendre plus floue la date fixée pour atteindre l’objectif (d’ici ou autour de la moitié du siècle, en lieu de en 2050). La fin dès cette année du financement public de l’extraction de charbon a aussi été actée et les pays ont renouvelé leur engagement à ne pas entreprendre de politiques d’émissions qui inverseraient la tendance à la baisse à l’horizon 2030. Le G20 a produit une décision importante en matière de fiscalité en fixant une date certaine, 2023, pour la mise en œuvre des nouvelles règles et instruments pour la taxation minimale des entreprises. Le retour actif des États-Unis dans les instances multilatérales a permis aussi de régler le différend concernant les sanctions sur l’acier avec l’UE. Le G20 a su marquer un petit progrès dans la diffusion des vaccins, en s’engageant à une plus large diffusion aux pays émergents, à éviter les restrictions à l’exportation et à créer des capacités de production dans ces pays. Les pays du G20 se sont aussi engagés à reverser aux pays les plus vulnérables 45 milliards d’euros de leur allocation de droits spéciaux de tirage auprès du FMI comme premier pas vers l’objectif ambitieux d’une aide de 100 milliards d’euros.
Il s’agit donc d’actions concrètes pour marquer la crédibilité de l’engagement et reconstruire la confiance dans les instances multilatérales. Le G20 peut s’appuyer sur le nouvel agenda des Nations unies qui se charge de redessiner le nouveau contrat social avec une base plus ample d’adhésion. Les Nations unies sont, en effet, déjà engagées, avec le sommet de l’avenir en 2023 et le sommet social en 2025, à réaffirmer leur stratégie de transformation et à consolider le processus intergouvernemental de protection des biens communs globaux par un nouveau forum de gestion de ces biens.