par Ad van Tiggelen, Stratégiste Senior d’ING IM
Après leur correction du mois de mai, les actions européennes semblent bon marché dans une perspective historique. Les rapports cours/bénéfices sont inférieurs à la moyenne historique et de nombreuses sociétés distribuent des dividendes supérieurs à leurs rendements obligataires.
Par ailleurs, l’économie mondiale se redresse et les bilans des sociétés sont en bonne santé. Il semble dès lors que les actions aient été trop sévèrement punies en raison des craintes relatives aux dettes souveraines de la zone euro. Les inquiétudes des investisseurs sont-elles excessives?
Les marchés anticipent le futur et ils ne semblent de toute évidence guère se fier aux prévisions des analystes en ce qui concerne les bénéfices de 2011. On peut en effet se demander si les analystes tiennent suffisamment compte des effets négatifs de toutes les mesures de réduction de l’endettement que les pays européens envisagent de prendre en 2011. Néanmoins, même en supposant que nous soyons confrontés temporairement à un nouvel accès de faiblesse économique et que les prévisions de croissance bénéficiaire de 20% ne se concrétisent qu’à moitié, les actions paraissent encore relativement bon marché.
Ou se pourrait-il que les investisseurs soient tenaillés par une peur plus profonde? Redouteraient-ils un risque qui est généralement nié, mais qui se dissimule tel un monstre mythique dans les profondeurs de l’océan des dettes? Un risque qui justifierait des valorisations des actions inférieures à la moyenne ? Un risque nommé « déflation » ?
En réalité, les craintes inflationnistes dominent toujours, surtout lorsque les banques centrales actionnent la presse à billets. Toutefois, tant les rendements obligataires que les chiffres de l’inflation ne cessent de baisser, du moins aux Etats-Unis et dans la zone euro. Nous avons tendance à oublier, parfois, que ce n’est pas l’impression d’argent qui crée l’inflation, mais bien le fait de dépenser celui-ci. Aussi longtemps que les consommateurs demeurent prudents et préfèrent épargner plutôt que dépenser, l’inflation ne pose pas problème.
Dans un monde largement endetté, les pays sont tentés d’encourager l’inflation afin de diluer leur dette. Il n’est cependant pas possible de créer de l’inflation à sa guise, il suffit pour s’en convaincre de regarder le Japon!
L’une des origines de la déflation persistante du Japon est le vieillissement de la population. Une société vieillissante a besoin de moins en moins de nouvelles maisons, de nouvelles voitures, de produits nécessitant beaucoup de main-d’œuvre ou de matières premières (qui sont les principales sources d’inflation). A l’inverse, une société plus âgée doit détenir de grandes quantités d’investissements peu risqués afin de garantir des revenus réguliers à tous les pensionnés. Les Japonais sont dès lors encore friands d’obligations d’Etat domestiques, même si celles-ci ne rapportent guère plus de 1% en termes nominaux. Après tout, si la déflation s’élève à 2%, le rendement réel de leurs obligations s’établit à 3%!
Pourquoi ceci nous importe-t-il? Il se trouve que la structure démographique actuelle de la zone euro est similaire à celle du Japon au début des années quatre-vingt-dix. Le vieillissement de la population, avec les tendances déflationnistes qu’il implique, devient peu à peu une réalité en Europe. En outre, les habitudes de consommation des ménages allemands, qui donnent le ton en Europe, nous rappellent ce que nous avons observé au Japon. La croissance de la consommation réelle allemande stagne depuis dix ans déjà et les Allemands partagent certains traits de caractère avec les Japonais. Ces deux peuples aiment – plus que d’autres – maîtriser leur vie et leur futur, y compris sur le plan financier. Dans le contexte actuel, ils auront davantage tendance à épargner qu’à dépenser. Il n’y a certes pas de mal à se montrer prudent en matière de finances, mais l’expérience japonaise nous a démontré que ceci comporte un risque inhérent de déflation.
Le niveau actuel peu élevé des obligations allemandes n’est par conséquent peut-être pas uniquement la résultante de leur statut de placement refuge, mais pourrait aussi constituer les premiers signes annonciateurs de tendances déflationnistes depuis la seconde guerre mondiale. Dans ce cas, les valorisations des actions devraient en effet être légèrement inférieures à la moyenne historique, tandis que des rendements obligataires de moins de 3% pourraient se justifier. L’avenir nous dira ce qu’il en est, mais le récent comportement des marchés financiers pourrait finalement s’avérer plus rationnel qu’il n’y paraît à première vue.