par Pascal Jouxtel, Associé d’Eurogroup Institute, Créateur du Printemps du Management
La légitimité du management est en question. Elle est même en souffrance, au point que le 10 juin dernier, au Printemps du Management 2010 qui se tenait au 22e étage chez Eurogroup Consulting, on se proposait justement de la soigner. Autour de cela, une grande diversité d’acteurs – dirigeants, experts du domaine RH, syndicalistes, observateurs politiques – s’accordent sur la profondeur de ce questionnement.
Qu’entend-on par légitimité managériale ? Ce droit du chef à diriger l’organisation prend sa source dans des composantes telles que la position institutionnelle, la propriété du capital, le charisme personnel, la réputation ou l’expertise, mais c’est à travers l’exercice quotidien effectif qu’elle se construit dans le regard des collaborateurs, par l’équité des décisions et l’exemplarité des comportements, pour obtenir in fine leur engagement. Elle apparait donc comme une quête collective qui ne repose plus uniquement sur les « têtes d’affiche », le leadership étant, dans les faits, assumé de manière plus diffuse entre le dirigeant et ses relais opérationnels.
La légitimité managériale est en souffrance aujourd’hui sous l’effet de trois causes principales. Tout d’abord, la tendance de fond d’une société où les structures d’autorité deviennent plus « horizontales » : du Père aux Pairs, l’autorité hiérarchique traditionnelle s’efface au profit d’une affiliation à des communautés et des réseaux.
Deuxièmement, le niveau intermédiaire de management s’est, peu à peu, retrouvé désolidarisé, par rapport aux métiers qu’il supervise, par des années de changements d’organisation. A cela s’ajoute les effets d’une gestion de carrière individuelle privilégiant la mobilité et mettant (au mieux) l’accent sur les savoir-être au détriment des savoir-faire propres à une activité.
Enfin, le culte voué aux processus, ainsi que la standardisation poussée à l’extrême par des entreprises en quête d’excellence opérationnelle, ont fini par ôter toute initiative à un encadrement de proximité qui se noie dans le reporting, quand il n’est pas écrasé sous l’avalanche des projets à mettre en œuvre.
Alors que faire ? Balayons d’abord les fausses pistes.
Tout miser sur la personne du dirigeant n’est pas une bonne idée. Le sentiment de mobilisation des salariés ne lui doit finalement pas grand-chose et, souvent, l’illusoire proximité d’un leader chaleureux peut entraîner un retour de bâton quand les temps sont durs. Elle ne facilite ni la responsabilisation ni la construction d’une culture durable.
On pourrait carrément « laisser tomber » le rôle du management de proximité, estimant que la motivation des collaborateurs se fabrique toute seule dans l’exercice du métier, au contact des clients et des machines. Cela marcherait peut-être en des temps de stabilité prospère. Cela marcherait si l’encadrement n’était pas, lui aussi, constitué de personnes réelles à qui l’on a vendu un accomplissement dans le travail, et qui cherchent parfois en vain l’accord entre le job demandé et leurs propres valeurs. On est loin de cette maturité, à part, peut-être quelques expériences dans les pays scandinaves.
Dernière fausse bonne idée pour l’avenir : celle d’un recadrage ferme et détaillé, stipulant, à coup de grilles et de référentiels, les exigences de l’entreprise vis-à-vis de son management (notez qu’on ne dit plus « de ses cadres », faute de savoir exactement qui sont ces derniers ni ce qu’ils deviennent). Mais on ne peut pas former un manager, s’il n’est pas un tant soit peu doué et, malheureusement, il y a moins de personnes adaptées à ce rôle qu’il n’en faudrait, dans les organisations tendues, pour tenir la bride à des employés qui déraillent hors de leur process ; du coup, on retrouve nos managers, sanglés dans des exosquelettes d’outillage managérial, de plus en plus infirmes sous l’armure. L’expérience directe de la vraie vie leur échappe tant qu’elle peut. C’est pourtant la meilleure source de qualité et de performance.
Alors, d’où faut-il repartir pour soigner la légitimité du management ? Dirigeants et experts répondent avec force : la vérité, la confiance et la liberté. Un alignement profond avec soi-même, pour aider les autres à s’aligner à leur tour. Une affirmation de soi égale à l’humilité d’être au service de leur réussite. Car on ne saurait être légitime tout seul. La légitimité est un lien de reconnaissance qui exige la proximité, et qui se fabrique au sein d’un collectif. Oui, oui, celui-là même que l’on réclame après l’avoir méthodiquement annihilé, des années durant. Sous le terme, vague et inopérant, de communauté managériale, se cache une imbrication complexe d’équipes, de chaines et de communautés où la légitimité se fabrique, par la liberté donnée et prise, entre fidélité et transgression.
Il arrive qu’une culture d’entreprise bien vivante rende presque secondaire la légitimité du management, ou du moins qu’elle en comble les défaillances. C’est donc dans une histoire de lieux et de personnes qu’il faut s’ancrer et non dans une incantation volatile achetée au marchand. Surtout si l’on veut, de là, animer une évolution profonde et rapide ! On s’avisera de tisser un projet dans l’étoffe du réel, quelque chose qui parle au cœur, en réponse à cette requête des troupes fatiguées : « chef, dites-nous pour quoi on se bat ! »
Parmi les techniques propices à cette reconstruction de l’intérieur, retenez : l’introspection (seul ou en équipe), la conversation libérée, l’expérience du non-verbal, la règle mise à l’épreuve des comportements qu’elle génère, le droit au tâtonnement et une information pertinente pour chacun. Enfin, à tous ceux qui ne veulent pas entendre les questions mais seulement les réponses, suggérons de réunir leurs collaborateurs autour d’une table et de rester silencieux afin d’écouter ce qu’ils ont à se dire entre eux : il en sortira quelque chose de neuf, croyez-moi.