par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions de Dexia AM
La confirmation du ralentissement de l’économie américaine ravive le spectre d’une récession et rend d’autant plus cruciale la réponse des autorités. Soumise à une pression accrue, la Réserve fédérale pourrait ainsi prendre de nouvelles mesures et accroître son bilan, un revirement par rapport à mars dernier lorsque l’intention était de mettre un terme aux achats de MBS.
Les taux d’intérêt étant déjà proches de zéro, la Réserve fédérale n’a pas d’autre alternative que gonfler la masse monétaire et maintenir les rendements obligataires le plus bas possible afin d’obliger les agents économiques à acheter des actifs risqués ou à se ré-endetter. Le problème est que la Réserve fédérale a déjà racheté plus de 1 700 milliards de dollars d’obligations durant la première phase de son programme d’assouplissement quantitatif, achevé en mars, sans pour autant avoir réussi à relancer la croissance américaine, toujours en berne. On peut ainsi s’interroger sur les raisons de cet échec.
Les responsables de la Réserve fédérale ont fait savoir qu’ils étaient prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la stabilité financière, véritable clé d’une reprise durable. A ce stade, tout brutal regain d’aversion pour le risque aurait des conséquences désastreuses sur une reprise déjà chancelante. La Réserve fédérale dispose indéniablement de l’arsenal nécessaire pour stimuler la croissance mais reste à savoir si nous avons atteint le stade à partir duquel les bienfaits de nouvelles mesures de relance l’emportent sur les coûts liés aux risques induits. Hors États- Unis, le sentiment général est que tôt ou tard, la Réserve fédérale amplifiera son dispositif d’assouplissement quantitatif. La seule question qui divise véritablement les « bears » des « bulls » concerne l’efficacité d’une telle politique. La montée du risque déflationniste rend nettement plus délicat l’arbitrage entre les avantages et les coûts d’un second volet d’assouplissement quantitatif.
Les dirigeants américains sont face à un choix douloureux. La première alternative serait d’accepter une croissance inférieure aux prévisions tant que les ménages n’auront pas totalement assaini leurs finances et que la Réserve fédérale restera prudemment accommodante. Pour les défenseurs du keynésianisme, compte tenu de la menace déflationniste, la solution passe par une nouvelle phase d’assouplissement quantitatif. Cela étant, pour avoir un impact sur le bilan des ménages, ces mesures devraient être d’une ampleur suffisante pour entraîner une revalorisation des actifs, en particulier immobiliers, et relativiser ainsi le poids de la dette. Les sommes à mobiliser seraient si colossales qu’on peut redouter un effet gravement déstabilisateur, avec pour première victime le dollar.
Les regards sont désormais braqués sur le marché du travail, la question étant de savoir si la politique monétaire peut s’avérer efficace dans ce domaine. Face à une hausse du chômage jugée structurelle, la marge de manœuvre des pouvoirs publics semble bien mince. C’est en tout cas l’argument évoqué récemment par la Réserve fédérale. Comme l’a dit Ben Bernanke lors du sommet de Jackson Hole : « A elles seules, les banques centrales ne peuvent résoudre tous les problèmes économiques de la planète ». A l’approche d’échéances électorales clés, on ne peut écarter le risque de pressions politiques sur les banques centrales, les incitant à prendre de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif afin de réduire le chômage.
Théoriquement indépendante comme ses consœurs, la Fed exerce une double mission : contenir l’inflation et promouvoir le plein emploi. Néanmoins, si la décrue du chômage n’est pas assez rapide, les responsables politiques lui demanderont de mettre en œuvre les mesures appropriées d’assouplissement quantitatif.
Dans ces conditions, l’assouplissement quantitatif peut-il devenir une politique sociale ? La poursuite du ralentissement économique accroît le risque de dérapage budgétaire. Ainsi aux États-Unis, le débat budgétaire se durcit. Dans un contexte électoral, les responsables politiques exigent une solution rapide permettant soit de stimuler la croissance soit de réduire le déficit budgétaire. Le débat sur la prolongation des allègements fiscaux votés en 2001 et 2003 – en particulier le crédit d’impôt Earned Income Tax Credit et les crédits d’impôt sur les plus-values et les dividendes – et arrivant à échéance le 31 décembre prochain est relancé. La suppression de ces allègements et crédits d’impôt coûterait 145 milliards de dollars à l’économie américaine en 2011 (soit 1 % environ du PIB) et amputerait de 2 % le revenu annuel des ménages. L’administration Obama veut prolonger en permanence les taux plus bas et augmenter en permanence les deux taux les plus élevés, alors que la plupart des républicains souhaitent la prolongation indéfinie de tous les allègements fiscaux. Quoi qu’il en soit, toute tergiversation sur la question du redressement budgétaire ébranlerait une confiance ô combien cruciale.
Le gouvernement américain doit définir une stratégie crédible de redressement à long terme des finances publiques et trouver un compromis entre relance immédiate et stabilité budgétaire à long terme. Un nouveau programme de relance est envisageable à court terme à condition qu’il s’accompagne d’un plan d’assainissement budgétaire à long terme. Selon nous, les prochaines années seront caractérisées par une croissance nominale avec une résurgence régulière de la menace déflationniste. Il faudra du temps pour résorber les déséquilibres existants, en particulier sur les marchés du logement et de l’emploi, étant entendu que cette fois-ci, la reprise ne pourra s’appuyer sur l’immobilier résidentiel.
Le plus important est de s’intéresser à la dérivée seconde du sentiment des investisseurs sur les perspectives de l’économie américaine et de poser la question : la situation peut-elle empirer ? Bien que le contexte économique soit différent, le comportement des marchés des actions en 2010 est pour l’instant identique à celui de 2004, exception faite de la volatilité, aujourd’hui plus élevée. Le niveau attractif des valorisations explique peut-être pourquoi les actions peuvent résister à une croissance poussive ou à une reprise économique chaotique.
En revanche, l’attitude des investisseurs qui basculent régulièrement entre optimisme et pessimisme est déroutante. Tour à tour, ils recherchent puis fuient le risque, sans que quiconque soit en mesure d’infléchir la tendance pour provoquer un retour vers la moyenne. Les investisseurs boursiers seraient-ils moins intelligents ou moins clairvoyants que les investisseurs obligataires ?
Dans ce contexte d’incertitude, une chose est sûre : la plupart des grands investisseurs ne reviendront pas sur les marchés des actions tant que la Réserve fédérale ne soutiendra pas plus fermement une politique de reflation. En effet, pourquoi acheter aujourd’hui ou vendre des actifs risqués si vous estimez que la Réserve fédérale est sur le point de sortir l’artillerie lourde ? Tout le monde craint une période de déflation prolongée mais personne n’y croit vraiment, situation typique du poker menteur. Plus que jamais, le timing est aujourd’hui essentiel et explique peut-être le clivage observé entre actions et obligations.
Actions et obligations : un parcours divergent
Le clivage entre actions et obligations s’accentue et suscite des interrogations. Bien que les taux aient reculé depuis juin, les actions restent en effet relativement stables. La résistance des marchés des actions, malgré un pessimisme croissant sur les marchés obligataires, est symptomatique d’une divergence d’opinions, s’agissant en particulier des perspectives de croissance.
Les marchés obligataires établissent de nouveaux records : au Japon, après plusieurs années sous la barre des 2 %, les rendements obligataires à 10 ans sont désormais inférieurs à 1 % tandis qu’ils s’approchent de 2,5 % aux États-Unis. Dans un contexte déflationniste, il est légitime de vouloir préserver son capital, un objectif que remplissent mieux les obligations. Pour autant, le décalage apparaît excessif. La prime de risque déflationniste, telle que reflétée par les marchés obligataires, nous paraît tellement élevée qu’on peut se demander si les marchés d’actions sont conscients de la situation.
Nous sommes fermement convaincus que ce clivage n’est pas tenable et qu’un point d’inflexion sera atteint très prochainement, probablement en septembre/octobre lorsque les perspectives du quatrième trimestre seront plus précises. Nous pensons que les actions finiront par s’apprécier, à condition toutefois que les rendements obligataires cessent de reculer. La situation actuelle est étroitement liée à une politique monétaire exceptionnelle. Pourquoi en effet les fonds destinés au grand public cesseraient-ils d’acheter des obligations si la Réserve fédérale à l’intention de continuer à soutenir cette classe d’actifs ?
Ce qui rend ce décalage si frappant est le message relativement expansionniste délivré par les entreprises. (…) Dans la quasi-totalité des grandes économies développées, les entreprises commencent en effet à profiter du redressement de leurs cash flows pour investir.
La posture délicate de la Réserve fédérale entretient la méfiance des investisseurs. Alors qu’il anticipait un resserrement monétaire il y a trois mois seulement, le marché table aujourd’hui sur de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif, conséquence de la décélération de l’économie et de la montée du risque déflationniste. Les marchés financiers s’expriment ainsi en faveur de nouvelles mesures. Cette évolution du sentiment à l’égard de la politique monétaire s’accompagne de nouvelles attentes en matière budgétaire, comme en témoigne la probabilité croissante d’une chambre des représentants à majorité républicaine.
La Réserve fédérale semble bel et bien dans une impasse. La politique de taux zéro pendant « une période prolongée » et les rachats d’actifs brouillent les signaux envoyés par le marché et nourrissent l’inquiétude sur les perspectives à long terme, d’où la réserve des investisseurs, totalement désorientés. Soucieuse de lutter contre la déflation, la Réserve fédérale est prise au piège des attentes que son comportement a suscité auprès des investisseurs. Ceux-ci n’ont plus confiance, comme en témoigne la faiblesse des volumes négociés en Bourse. Outre Atlantique, les volumes échangés sur les marchés des actions, des options et des produits dérivés depuis le mois de juin n’ont pas été aussi faibles depuis janvier/février 2009, mois qui ont précédé le rebond des indices boursiers. Les facteurs saisonniers ne sont pas la seule explication : les investisseurs boursiers manquent à la fois de repères et de convictions.
Compte tenu des interventions de plus en plus massives des banques centrales, qui agissent indépendamment du comportement des marchés, définir une stratégie d’investissement devient une gageure. Le retour des investisseurs ne se produira que si nous sortons de cette impasse. Comme le montre l’ampleur des rachats subis par les fonds d’actions, l’extrême volatilité qui règne sur les marchés joue un effet fortement dissuasif.
L’austérité a parfois du bon
De nombreux observateurs craignent désormais que les cures d’austérité ne précipitent les économies développées vers une nouvelle récession. Depuis quelques semaines, la presse financière s’est emparée du débat, les mises en garde portant sur la fragilité du redressement du secteur privé. Paradoxalement, les mesures d’austérité peuvent stimuler les marchés d’actions si elles visent à réduire les dépenses. Les mesures d’économie permettent en effet d’améliorer la rentabilité des entreprises, avec à la clé une hausse des performances boursières. Il existe de multiples exemples montrant que les pays qui réduisent leur dette publique tendent à afficher de meilleures performances boursières. L’examen de plus d’un siècle de statistiques américaines corrobore cette analyse puisque le point culminant du ratio dette/PIB correspond globalement au plancher des performances boursières sur 10 ans, la décennie suivante étant caractérisée par un solide rebond des actions.
Cela étant, l’analyse de précédents plans de rigueur montre que ce résultat n’est pas systématique. L’équipe européenne de recherche économique de BoFa Merrill s’est ainsi penchée sur 112 plans de grande envergure. Selon ses conclusions, les cures d’austérité qui prévoient essentiellement des réductions de dépenses ont un impact positif sur la croissance et souvent, sur le ratio dette/PIB. Par conséquent, le succès d’un plan de rigueur dépend au premier chef du contenu des mesures. Bien souvent, la réduction des dépenses hors infrastructures, en particulier dans le secteur public (diminution du nombre de postes et des salaires) est un moyen plus efficace pour relancer la croissance que les hausses d’impôt.
Les mesures d’économies agissent à trois niveaux :
- la réduction des dépenses publiques entraîne une amélioration de la rentabilité des entreprises et de la compétitivité du secteur privé ;
- pour les ménages, ces réductions préfigurent des baisses d’impôt ;
- les plans de rigueur débouchent généralement sur une baisse des taux d’intérêt du secteurprivé, qui stimule l’investissement.
Le rôle des taux change
Dans un environnement fortement déflationniste, avec des taux d’intérêt proches de zéro dans les pays développés, les taux de change apparaissent comme un levier stratégique pour réguler et piloter l’économie. Tous les pays donnent l’impression de vouloir dévaluer leur monnaie simultanément, ce qui est évidemment impossible. Ces derniers mois, il est apparu clairement que les taux de change jouent un rôle déterminant dans l’analyse des performances relatives des différents marchés boursiers. Dans un contexte où la menace déflationniste resurgit régulièrement, les petits pays dotés d’une politique de change réactive pourraient tirer leur épingle du jeu dans la mesure où une monnaie faible dope la demande intérieure et la rentabilité des entreprises, avec en corolaire de meilleures performances boursières. A contrario, la situation de l’économie et des actions japonaises montre bien l’effet nuisible d’une devise forte.
Acheter ou construire ?
Le marché se caractérise actuellement par une activité intense des entreprises et une accélération des opérations de fusion-acquisition. Plusieurs transactions d’envergure ont ainsi été annoncées en août, parmi lesquelles les offres de BHP sur Potash Corp et de Sanofi sur Genzyme. S’offrir un concurrent est un choix judicieux si le coût d’achat est inférieur aux coûts et aux efforts induits par un programme d’investissement. C’est peut-être la raison pour laquelle nous n’assisterons pas à une reprise de l’investissement des entreprises, les acquisitions remplaçant avantageusement la croissance interne.
Dans le même temps, on peut difficilement imaginer un essoufflement de l’investissement des entreprises, les dépenses ayant jusqu’à présent concerné essentiellement la maintenance des équipements. (…) Les investissements (hors énergie et finance) sont à peine supérieurs aux amortissements et que le ratio investissement/amortissement est au plus bas depuis 1995.
Même si la visibilité s’améliore légèrement, les entreprises ont raison de profiter du clivage entre marchés de crédit et marchés boursiers pour racheter leurs actions ou accroître la part des actions dans leurs sources de financement. En effet, le coût de la dette est désormais si faible que les actions constituent la source de financement la plus onéreuse pour les émetteurs. Aux États-Unis, les obligations bien notées génèrent actuellement un rendement de 4,4 %, un plancher historique qui fait ressortir un PER implicite de 22,5. Autre situation inédite, le rendement des obligations à haut rendement est sur le point de passer en dessous du ratio BPA/cours (ou earnings yield) des actions, ce qui signifie que les actions sont actuellement considérées comme la source de financement la plus onéreuse et la plus risquée du marché.
La liquidité est abondante et moins coûteuse qu’en 2008, année difficile sur les marchés monétaires.