par Didier Borowski, stratégiste chez Amundi Asset Management
Les banques centrales ne se sont pas contentées d’abaisser leurs taux directeurs à des niveaux exceptionnellement bas de part et d’autre de l’Atlantique. Elles ont mis en place des politi- ques dites « non conventionnelles ». De prêteurs en dernier ressort, elles sont devenues « acheteurs en dernier ressort » pour garantir la stabilité financière. Plusieurs études montrent que ce sont les annonces d’achats d’actifs par les banques centrales qui font baisser les taux longs davantage que les achats eux-mêmes…
Les politiques monétaires non conventionnelles…
Depuis l’automne 2008, la Fed et la Banque d’Angleterre (BoE) ont fait tourner la planche à billets à plein régime pour financer leurs achats de titres. Au total, la Fed a acheté $1750 Mds d’actifs (12% du PIB) : 1450 Mds de MBS (titres de dettes adossés à des créances hypothécaires) et de titres de dettes émis par les agences et $300 Mds de titres du Trésor. La BoE a acheté près de £200 Mds (14% du PIB) de titres, essentiellement des emprunts d’Etat et des titres de dette des entreprises (en beaucoup plus petites quantités). La Banque du Japon a acquis environ ¥13 000 Mds (3% du PIB) de titres publics depuis l’automne 2008. Enfin, la BCE a également gonflé son bilan en achetant €120 Mds d’actifs (1,2% du PIB) : 60 Mds d’obligations sécurisées et 60 Mds d’emprunts d’Etat de plusieurs pays de la zone euro qui connaissent une crise de la dette souveraine.
Une étape supplémentaire a été franchie le 10 août par la Fed. Dans son communiqué de politique monétaire, le FOMC a annoncé son intention de réinvestir en titres du Trésor les MBS que la Fed détient à son bilan et qui viennent à échéance. La raison invoquée est qu’il serait prématuré de laisser les conditions monétaires se durcir. Selon les estimations de la Fed, le montant total des titres de MBS qui arriveront à échéance d’ici à la fin 2011 pourrait s’élever à $400 Mds.
En théorie, une telle annonce n’aurait pas dû précipiter un mouvement de baisse des taux longs car le bilan de la Fed reste inchangé. Mais les discours concomitants tenus par plusieurs officiels durant l’été laissent penser que la Fed pourrait aller plus loin. B. Bernanke a confirmé lors du symposium de Jakson Hole (28 août) que la Fed envisageait de recourir de nouveau à une politique monétaire non orthodoxe si le risque de rechute de l’activité augmentait. Il s’agirait ni plus ni moins que de faire tourner la planche à billets, mais cette fois-ci uniquement pour acquérir des emprunts d’Etat. Or, en matière de création monétaire, il convient de rappeler que la puissance de feu de la banque centrale est illimitée. La seule contrainte vient de l’inflation induite. Dans la mesure où il s’agirait d’endiguer les pressions déflationnistes qui résulteraient d’une nouvelle récession outre-Atlantique, autant dire que la menace serait lointaine.
…font baisser les taux d’intérêt à long terme
Les études menées récemment concluent pour la plupart à l’efficacité des mesures mises en œuvre aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni. Les achats de titres financés par création monétaire provoquent une augmentation non seulement du prix des titres achetés (i.e. une baisse des taux d’intérêt) mais aussi de nombreux autres titres qui leur sont imparfaitement substituables. Ainsi, dans une étude publiée en juillet (Joyce et al.1), la BoE estime que son action en la matière est à l’origine d’une détente de quelque 100pb sur les taux à 10 ans au Royaume-Uni en 2009. Plus précisément, la BoE observe que ce sont les annonces d’achats qui ont déclenché le mouvement de baisse sur les taux longs, davantage que les achats eux-mêmes. Et dans la mesure où les anticipations sur les taux courts n’ont pas été affectées, les auteurs concluent qu’il s’agit d’un effet induit par le rééquilibrage des portefeuilles des investisseurs.
Les taux des obligations d’entreprises se sont également repliés (-70pb pour les titres « investment grade » contre -150pb pour les autres obligations privées). Aux Etats-Unis, Gagnon et al.2 montrent de même que les achats de la Fed ont provoqué une baisse totale de 90pb du taux à 10 ans sur les emprunts d’Etat, de 160pb sur les taux de la dette émise par les agences et de 110pb sur les taux des MBS émis par ces mêmes agences. Enfin, Neely3 montre que la politique d’expansion du bilan de la Fed a eu un impact notable sur les taux d’intérêt dans le reste du monde. Il observe que les taux australiens, canadiens, allemands, japonais et britanniques ont baissé en moyenne de 45pb suite aux annonces d’achats d’actifs par la Fed.
Les taux d’intérêt à long terme ont chuté dans la plupart des pays, y compris dans nombre de pays émergents. Les anticipations de monétisation de la dette publique aux Etats-Unis ont joué un rôle central. En Allemagne et en France, les taux d’intérêt sont tombés durant l’été à leur plus bas niveau historique. Car, à l’effet d’entraînement des taux américains, est venu s’ajouter un mouvement de « fuite vers la qualité » liée à la résurgence des craintes d’insoutenabilité des dettes publiques de certains pays (Irlande, Grèce et Portugal). Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, maintenant que les taux directeurs de la Fed sont proches de zéro, c’est le taux sur les emprunts d’Etat américain à 10 ans qui joue désormais le rôle de « taux directeur mondial ». Et c’est donc outre-Atlantique que se situe la clé du problème. Il est peu probable que le la Fed change substantiellement son communiqué de politique monétaire le 21 septembre. Il conviendra toutefois d’être particulièrement vigilants quant aux mots employés…
NOTES
- Impact of Quantitative Easing”, Bank of England, Working Paper No.393 Joyce M., Lasaosa A., Stevens I. et Tong M. (July 2010), “The Financial Market
- Gagnon J., Raskin M., Remache J. et Sack B. (March 2010), “Large-scale Asset Purchases by the Federal Reserve: Did They Work?” Federal Reserve Bank of New York, Staff Report No.441. 3 Neely, C. (July 2010), “The Large Scale Asset Purchases had Large Interna- tional Effects”, Federal Reserve Bank of St. Louis, Working Paper No.2010-018A.