par Josipa Markovic, Economiste marchés émergents de Swiss Life Asset Managers
Les pays émergents sont confrontés à un environnement économique riche en défis. Les taxes douanières pèsent sur les exportations et compliquent les décisions d’investissement à court terme. Pour autant, les incertitudes actuelles méritent d’être relativisées.
Malgré l’environnement négatif entourant les marchés émergents, à commencer par la guerre commerciale en cours déclenchée par les Etats-Unis, nous attendons bien davantage un essoufflement progressif de la dynamique conjoncturelle plutôt qu’un repli marqué au second semestre, car plusieurs facteurs viennent renforcer la capacité de résistance des pays émergents.
Primo, les exportations chinoises ne devraient céder que peu de terrain malgré les droits de douane américains élevés. En mai, la Chine a enregistré une hausse de ses exportations de 4,8% par rapport à l’an dernier. Et ce, malgré l’effondrement de plus de 30% des flux vers les Etats-Unis à la suite des taxes de 145% appliquées jusqu’à la mi-mai. Cette résilience est, d’une part, l’expression d’une vaste diversification des partenaires commerciaux et, de l’autre, un effet de la réorientation des biens via des pays tiers afin de contourner les taxes américaines. Cette évolution demeure stabilisatrice, mais pourrait être sous pression si Donald Trump imposait des droits de douane aux pays tiers – asiatiques avant tout – pour contenir l’afflux indirect de biens chinois.
Secundo, l’Inde s’impose toujours comme l’une des économies à la plus forte croissance au monde. A 7,4% au 1er trimestre, la progression est impressionnante, malgré un environnement réglementaire strict entravant le développement industriel. Si l’Inde exploitait les opportunités, par exemple par le déplacement mondial hors de Chine des chaînes logistiques et sites de production, un secteur secondaire renforcé pourrait porter davantage la croissance.
Tertio, une part significative des pays émergents n’est que peu concernée par les droits de douane américains. Hormis le Mexique, la plupart des pays d’Amérique latine importent davantage des États-Unis qu’ils n’y exportent et sont donc moins exposés à d’éventuelles barrières commerciales. En parallèle, la région profite des efforts de la Chine visant à prendre ses distances avec les Etats-Unis en matière de relations commerciales pour aller vers d’autres horizons : certains pays d’Amérique latine pourraient ainsi exporter davantage de matières premières vers Pékin et profiter de cette réorientation.
Quarto, les devises des pays émergents se sont renforcées depuis le début de l’année, un mouvement largement soutenu par l’affaiblissement du dollar américain. Une situation qui profite à la capacité d’endettement des pays dont la dette est en dollars américains. En outre, la vigueur des monnaies associée à la faible demande mondiale et aux flux de biens chinois moins chers contribue à une faible inflation. Cela a pour effet de renforcer le pouvoir d’achat des ménages et donne aux banques centrales de la latitude pour baisser les taux et ainsi soutenir la conjoncture intérieure. Mais un risque demeure : une forte hausse des prix de l’énergie, par exemple dans le sillage d’une escalade au Proche-Orient, pourrait à nouveau attiser l’inflation.
Chine : l’innovation, nouveau relais de croissance
De son côté, Pékin fait face à plusieurs défis. Le conflit commercial avec les États-Unis bien sûr, mais aussi la pression déflationniste, la crise immobilière ayant sapé le moral des ménages. La Chine reste toutefois résistante et peut éviter un effondrement des exportations, car elle a diversifié ses partenaires commerciaux. En parallèle, elle recherche activement de nouveaux relais de croissance, car le secteur immobilier ne pourra plus assurer ce rôle. Par conséquent, les banques ont réorienté leur octroi de crédits depuis l’immobilier vers des projets industriels. Résultat : la dynamique de l’industrie de haute technologie a considérablement accéléré. Aujourd’hui, la Chine n’est pas seulement leader sur le marché des véhicules électriques, des panneaux solaires et des batteries. Elle détient également plus de 50% des parts du marché mondial de secteurs comme la production chimique, la construction navale, la robotique industrielle, les drones, les biotechnologies, etc.