Portugal, l’autre maillon faible

par Laurence Chieze Devivier, stratégiste chez Axa IM

  • Retour en récession très probable, dû aux effets négatifs sur la demande intérieure de l’austérité budgétaire,
  • Tendance toujours haussière de la dette, malgré les mesures correctives pour contrôler les déficits 2010 et 2011,
  • Les besoins de financement de court terme sont élevés et un appel au soutien de l’Europe et du FMI est probable en 2011.

 

A la fin septembre, les marchés ont salué l’annonce de mesures d’austérité budgétaire supplémentaires, le taux des obligations portugaises à 10 ans reculant de quelque 150 pdb. Néanmoins ceci doit être relativisé. En effet, depuis cet été, les taux longs portugais ont retrouvé leur niveau d’avant l’entrée dans l’euro (au-delà de 6%). Ainsi, actuellement, le pays bénéficie peu de la politique très accommodante de la BCE. Ce niveau élevé des taux signale l’inquiétude des marchés quant à la capacité du Portugal à corriger son déficit budgétaire et à infléchir la dynamique de sa dette publique.

Croissance faible

Depuis les années 2000, le Portugal connaît une croissance plus faible que ses partenaires européens, avec en moyenne une croissance du PIB de seulement 1,3%, contre 1,9% pour la région. La crise n’a fait qu’accentuer cette performance médiocre, le PIB reculant de 4% au cours de la phase récessive. Dans le même temps, les finances publiques se sont rapidement détériorées, avec un dérapage important des dépenses publiques qui ont poussé le déficit au-delà de 9% du PIB et la dette publique au-dessus de 75%.

Malgré une reprise à la mi-2009, tirée par les exportations et par les plans de relance, les perspectives économiques restent moroses. En effet, la demande privée, notamment la consommation, s’est rapidement essoufflée et les mesures d’austérité mises en place en 2010 devraient constituer un handicap sérieux pour la croissance. L’élan qui venait de l’extérieur se tarit aussi, comme le reflète le net ralentissement des exportations. Malgré la récession, le déficit courant s’est peu réduit et reste élevé (plus de 10% du PIB), rendant l’économie portugaise très dépendante du financement extérieur. 

En fait, le Portugal souffre depuis longtemps de la faible compétitivité de ses exportations. Sa spécialisation produit est peu porteuse et les gains de productivité ont été faibles, handicaps exacerbés par l’appréciation de l’euro. Ainsi, les exportations hors UE en biens d’équipement et transports ne représentent que 18% des exportations contre 41% pour la zone euro. De plus, sa forte spécialisation géographique, reflétée par des exportations allant essentiellement vers l’Europe (74% en particulier vers l’Espagne 25%) ne lui permet pas profiter de la croissance plus forte des pays émergents (exportations vers l’Asie 2,5% des exportations totales et quelques 15pdb en une journée. Néanmoins, ceci doit 1% vers le Brésil).

Par ailleurs, si le Portugal n’a pas connu de développement d’une bulle immobilière comme son voisin espagnol, l’endettement privé est néanmoins relativement élevé, à 82% du PIB pour les ménages et 75% du PIB pour les entreprises. Le nécessaire processus de désendettement ne manquera pas de peser sur une économie déjà affaiblie, alors que le taux de chômage caracole à plus de 10% de la population active et ne pourra pas s’améliorer tant que l’économie portugaise n’aura pas retrouvé un peu de compétitivité.

Au total, le retour en récession est très probable, d’autant que l’austérité budgétaire pèse déjà sur la demande intérieure cette année, phénomène qui va s’amplifier l’année prochaine.

Consolidation budgétaire

Alors que le gouvernement s’est fixé pour objectif une réduction de son déficit de 9,3% à 7,3% du PIB en 2010, les premiers résultats pour cette année ont été décevants : le cumul du déficit budgétaire sur les huit premiers mois de l’année s’élève à plus de 8mdsEUR, contre 7,5mds pour la même période de 2009. Les taux sur la dette souveraine portugaise se sont envolés jusqu’à 6,3% en septembre et, alors que le taux allemand jouait encore son rôle de valeur refuge, le spread s’est écarté au-delà de 400pdb. Le gouvernement vient donc d’annoncer des mesures additionnelles :

  • Pour 2010, l'effort de redressement budgétaire sera réalisé pour les deux tiers par une réduction des dépenses (gel des investissements publics non encore engagés cette année) ;
  • Pour 2011, une baisse de 5 % de la masse salariale de la fonction publique, ainsi qu'une hausse de deux points de la TVA à 23 %.

Le gouvernement socialiste minoritaire doit obtenir le soutien de l’opposition, qui pour l’instant s’oppose à la hausse des impôts. Malgré ces mesures correctives, étant donné la faiblesse de la croissance, la dette publique va continuer d’augmenter à 96% du PIB en 2013.

L’Europe à la rescousse

A court terme, le défi est purement financier. En effet, les besoins de financement du gouvernement s’élèvent à 80 mds EUR d’ici 2012 (amortissement de la dette et nouveau déficit), soit 45% du PIB.

La dette publique portugaise est très largement détenue à l’extérieur du pays (79%) et pose donc le problème d’une éventuelle contagion aux autres pays créditeurs. Elle s’élève à quelques 103 mds EUR, dont 19mds de titres à court terme. Les données du stress test européen nous donne une indication quant à la détention de la dette publique portugaise par les banques européennes, avec par ordre décroissant l’Espagne (9,5mds), la France (4,8mds), l’Allemagne (4,5mds) et le Royaume-Uni (2,5mds).

Par ailleurs, la dette externe des banques est encore plus importante, 205mdsEUR, soit 39% du bilan des banques portugaises. Celles-ci se refinancent massivement et, de plus en plus, auprès de la BCE, avec 49 mds EUR prêtés par la BCE au mois de juillet 2010, contre 5mds seulement à la fin 2009. Si en volume, le système bancaire portugais est le cinquième demandeur de liquidités auprès de la BCE, loin derrière l’Espagne et l’Allemagne, rapporté à la taille des actifs bancaires, le pays se place à présent en deuxième position (9% du total des actifs bancaires, derrière la Grèce qui se refinance à hauteur de 18% de son bilan et juste devant l’Irlande à 6%). Toujours selon les données du stress test européen, les quatre banques portugaises testées cet été ont passé l’examen avec succès, avec un Tier one ratio de 8,4% dans le scénario de récession et de 7,7% si on y ajoute un choc souverain (testé sur la partie trading book des banques).

La persistance d’une dette externe et d’un déficit des paiements courants élevés (413mdsEUR, soit 2,5 fois le PIB pour la première et 10 points de PIB pour le second) fragilise le pays vis-à-vis des capitaux extérieurs. L’endettement privé et public élevé fait peser un risque de défaut non négligeable sur le Portugal, qui pourrait ainsi être le premier candidat au fonds européen de stabilité financière.

Conclusions : Quelle stratégie de sortie pour le Portugal ?

Alors que l’Europe devrait être un bouclier puissant pour permettre au pays de ne pas continuer à subir les foudres du marché, le véritable problème est de tenter de définir une stratégie de croissance pour ce pays. A court terme, le soutien européen devrait aider le pays à réduire son déficit budgétaire, à l’abri de la pression des marchés. La véritable question reste la capacité à générer une croissance suffisante pour rendre la dynamique de la dette publique soutenable. Le seul moyen est une baisse des salaires nominaux, afin de déprécier le taux de change réel, couplée à des réformes structurelles favorables à l’éducation et à l’innovation. Mais une période de déflation salariale comporte le risque d’enfermer le pays dans une « trappe de la dette », étant donné le niveau élevé d’endettement des secteurs privé et public. Dans tous les cas, la reprise d’une dynamique de convergence du revenu réel vers la moyenne européenne n’est pas pour demain.