par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions de Dexia AM
La principale question préoccupant les investisseurs est encore et toujours « y aura-t-il ou non un double creux ? ». Même si la réponse est oui, les investisseurs semblent rassurés dans la mesure où la Réserve fédérale sortira alors son bazooka et s’engagera dans une nouvelle et massive phase d’assouplissement quantitatif. Il s’agit en effet là de la meilleure façon d’expliquer la réaction des marchés aux statistiques macroéconomiques publiées durant le mois de septembre.
C’est la confiance qui demeure la clé pour l’économie et il existe précisément un manque généralisé de confiance dans la reprise, et ce, même si le consensus considère le ralentissement actuel comme une pause naturelle de milieu de cycle. Le manque de confiance est accentué par le caractère déconcertant de la politique économique américaine. Les acteurs sur le marché sont potentiellement déroutés par les objectifs et outils politiques, en conséquence de quoi ils aimeraient bien un peu plus de clarté. En mars, la Réserve fédérale préparait les marchés à un durcissement des conditions de crédit, cependant qu’en juillet elle a dû admettre que de nouvelles mesures monétaires de soutien allaient probablement être prochainement nécessaires.
Lors de la réunion de Jackson Hole, Ben Bernanke n’a pas abordé la question du désendettement. Les autorités doivent décider s’ils ont besoin d’exposer plus clairement le modèle ou le cadre d’un nouveau programme d’assouplissement, y compris de bien préciser tout critère intermédiaire d’évaluation de la réussite et les objectifs finaux plus spécifiques. Le besoin de précision est important parce que jusqu’à présent les initiatives politiques n’ont pas produit les résultats escomptés et ce que pense la Réserve fédérale est nécessaire pour y parvenir. Spécifier les critères visant à mesurer le succès de la politique pourrait être utile dans un monde caractérisé par des politiques de taux zéro.
La confiance va également déterminer l’impact de l’austérité budgétaire dans la mesure où elle peut jouer dans les deux sens. L’austérité budgétaire pourrait contribuer à favoriser les perspectives à long terme, mais à court terme elle menace la fragile reprise dans les pays développés. Il existe deux façons de voir les choses.
Premièrement, sous l’angle des inquiétudes classiques : lorsque les déficits sont élevés et que les investisseurs se montrent préoccupés par les niveaux d’endettement, la réduction des déficits peut avoir un effet très positif sur la confiance qui vient compenser le choc négatif normal sur l’économie. La seconde est l’approche keynésienne : lorsqu’il existe un important écart de production et un manque de demande globale, la réduction des déficits pourrait faire plus de tort que de bien en paralysant une économie déjà fragile et pénalisée par l’insuffisance de la demande.
Le vieillissement de la population active américaine a des répercussions sur les habitudes de travail au sein de différents groupes d’âge. Moins de la moitié de l’ensemble des 16-24 ans avait un travail selon les dernières données disponibles du Bureau des statistiques du travail (« Bureau of Labour Statistics »). Dans le même temps, à l’autre extrémité de la pyramide des âges, plus de 40 % des plus de 55 ans ont un emploi ou en recherchent un, le pourcentage le plus élevé depuis les années 60. L’effet le plus immédiat va être d’étendre la population active au-delà de ce que le modèle traditionnel prévoit. Un marché du travail plus souple devrait se traduire par la poursuite de pressions sur les salaires et les coûts unitaires du travail. A court terme, il est probable que cela contribue à la persistance de l’anomalie caractérisée par de solides bénéfices des entreprises sur fond de demande déprimée. Toutefois, l’autre aspect est que cela est déflationniste pour la demande.
Le niveau obstinément élevé du chômage figure toujours au cœur du débat. Le PIB réel enregistre certes une croissance, mais à un rythme insuffisant pour créer les centaines de milliers d’emplois chaque mois nécessaires à un retour de l’emploi au niveau qui était le sien avant la crise. L’insuffisance de la demande ou l’inadéquation entre les compétences des travailleurs et les postes à pourvoir semble être le fond du problème expliquant le niveau actuellement élevé du chômage. Les entreprises ne produisent et n’embauchent pas à des niveaux normaux pour la simple raison qu’il n’existe pas de demande suffisante pour justifier un niveau de production normal. Il a longtemps été dit que le travail temporaire était un indicateur avancé de l’emploi global, mais cette relation a en grande partie disparu au cours de ce cycle.
Les entreprises embauchent des intérimaires parce qu’il existe une modeste demande sous-jacente de travail. Mais, compte tenu des incertitudes entourant l’avenir, ces emplois temporaires n’ont pas été transformés en emplois à plein temps. Les intérimaires sont aisés à licencier si l’économie devait continuer à se dégrader.
Les dynamiques du marché du travail durant cette récession sont extrêmement différentes de celles qui prévalaient avant. Compte tenu de l’importante proportion de travailleurs susceptibles de ne plus avoir d’emploi pendant une période inhabituellement longue, le risque est qu’ils voient leurs compétences se détériorer et, ce faisant, qu’ils aient beaucoup plus de difficultés à retrouver un emploi. Une situation qui, à terme, ne manquerait pas d’accroître le taux de chômage structurel.
L’événement le plus intéressant étant intervenu en septembre a été l’accès de faiblesse du dollar qui a fait suite à la dernière annonce de la Réserve fédérale. Les marchés ont semblé en avoir conclu que la Réserve fédérale allait acheter des obligations et affaiblir le dollar sans renforcer la croissance économique.
Les investisseurs ont pensé qu’après le plan de sauvetage de l’Union européenne et le financement réussi de l’Espagne en juin, les problèmes des pays périphériques n’étaient en grande partie plus qu’un mauvais souvenir. Toutefois, à ne pas véritablement résoudre les problèmes et à plutôt les remettre à plus tard, on devient vulnérable aux évolutions du sentiment. Nombre de problèmes de l’Union européenne sont toujours d’actualité et le marché semble à nouveau vouloir porter toute son attention sur eux. Mais, cette fois-ci la situation apparaît moins systémique, l’euro ne baissant pas et les pressions demeurant circonscrites à un nombre limité de pays (en l’occurrence, l’Irlande et le Portugal). Néanmoins, s’efforcer de réaliser l’union monétaire sans une réelle intégration budgétaire laisse la zone euro exposée à de nouvelles crises.
Enfin, l’indice ISM manufacturier est ressorti globalement conforme aux prévisions, mais les détails ont révélé un ralentissement suffisant pour donner à penser qu’un prochain indice encore moins bien orienté est à attendre. Les investisseurs n’ont pas réagi, concentrés qu’ils sont sur la prochaine étape qui s’annonce, celle d’une nouvelle et véritable phase d’assouplissement quantitatif. Et parce qu’ils sont convaincus que de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif sont pour bientôt, ils considèrent bel et bien une baisse en-deçà du seuil des 50 points comme temporaire. Le lien entre la diminution des nouvelles commandes et la hausse des stocks qui devrait être le principal indicateur avancé est inquiétant.
Cette tendance s’est poursuivie en septembre et l’écart entre eux est désormais négatif, pour la première fois depuis février 2009, proche de son plus bas niveau de ces dernières décennies, et constitue un très bon indicateur avancé de ce que sera l’indice ISM dans quelques mois. C’est pourquoi nous sommes toujours d’avis que nous n’avons pas encore observé la fin de la dynamique négative auquel est confrontée l’économie américaine. Nous croyons en effet que l’économie outre-Atlantique va continuer de montrer de signes d’essoufflement et qu’elle pourrait surprendre négativement dans un proche avenir. Mais, nous pensons également que ce ralentissement ne durera pas au-delà du second trimestre 2011. Au moins, il ne se transformera pas en une nouvelle récession.
Nous continuons de suivre avec attention la forme de la demande globale finale qui, selon nous, constitue le principal facteur déterminant pour les marchés. D’où notre prudence à court terme. Mais, dans la mesure où nous ne croyons pas en un double creux, nous considérons toute correction des marchés comme une opportunité d’achat. Les faibles ratios cours/bénéfice à deux chiffres actuels témoignent du scepticisme des investisseurs à l’égard des estimations présentes. Cependant, compte tenu du fait que les marchés intègrent déjà une série de révisions à la baisse des bénéfices, nous ne sommes pas certains que quelques-unes de ces révisions suffisent à conduire à un considérable plongeon des indices d’actions.
Nonobstant les nouvelles clairement mauvaises, les marchés pourraient néanmoins poursuivre leur progression en présumant que la Réserve fédérale fera son possible pour assurer la pérennité de la reprise d’une façon ou d’une autre. Une seconde phase d’assouplissement quantitatif permettra-t-elle de redresser la situation ? Les investisseurs pourraient un peu trop parier sur la Réserve fédérale qui ne peut pas non plus faire tant que ça dans la situation actuelle, tout particulièrement pour le marché du travail.
Un re-rating durable des marchés d’actions exige le retour des investisseurs finaux, alors même que les actions sont clairement délaissées actuellement comme ce fut le cas au début des années 80. Mais le point positif est que le glas des marchés d’actions fait à nouveau la une des journaux. Il s’agit là en effet d’un titre que l’on retrouvait dans la presse américaine en août 1979, soit environ deux mois avant une reprise haussière prolongée des actions.
Les effets positifs et négatifs d’une seconde phase d’assouplissement quantitatif
Une seconde phase d’assouplissement quantitatif pourrait finir par faire plus de tort que de bien, et ce, en conduisant à une moindre confiance. Les effets positifs d’un second tour d’assouplissement quantitatif semblent clairs : une baisse des taux des emprunts d’État à long terme. Mais, son impact économique dépendra du mécanisme de transmission. Pour les entreprises, des taux encore plus bas qu’aujourd’hui ne semblent vraiment pas nécessaires dans la mesure où les émissions de dette des entreprises s’établissent à près de 1 trillion de dollars jusqu’à présent. Pour les ménages également, la diminution des taux d’intérêt et la réduction de leurs niveaux d’endettement ont déjà eu des répercussions, la charge de leurs intérêts ayant baissé à des niveaux que l’on n’avait plus observés depuis 2000.
Les effets négatifs d’une seconde phase d’assouplissement quantitatif peuvent aller bien au-delà de l’analyse coût- avantage faite par la Réserve fédérale. Celle-ci met en évidence deux risques principaux accompagnant de nouveaux achats de valeurs mobilières à long terme. Premièrement, la banque centrale ne connait pas avec précision l’effet des changements des titres qu’elle détient sur les conditions financières. La principale conséquence serait probablement d’accélérer la hausse des prix des actifs et d’accélérer les conditions propices à la formation d’une bulle du crédit : des rendements peu élevés à l’échelle mondiale, des spreads de crédit minimes et une demande de crédit excédentaire par rapport à l’offre. Le deuxième risque se rapporte à la confiance à l’égard de la capacité de la Réserve fédérale à sortir de sa politique monétaire accommodante et à réduire la taille de son bilan.
A lui seul, l’assouplissement quantitatif apparaît peu à même de conduire à une croissance du crédit, alors même que le problème à l’heure actuelle ne devient plus celui de l’offre, mais bien de la demande. La majeure partie de l’augmentation du bilan de la Réserve fédérale demeure sous la forme de liquidités et non de prêts. Même si les banques ont assoupli les garanties d’émission, la demande de prêt reste faible.
Un canari dans une mine de charbon
Alors même que nous suivons tous les indicateurs avancés afin de pouvoir évaluer la situation de la demande finale, il est intéressant de se tourner vers la Corée. En effet, la Corée joue un rôle majeur dans le commerce mondial et ses exportations ont sensiblement chuté en août. Ses exportations ont ainsi enregistré une baisse pendant deux mois consécutifs (…), un événement qui ne se produit que rarement.
Ce qui se passe en Asie est également intéressant du point de vue des devises dans la mesure où la guerre des devises pourrait ne faire que commencer et que les perdants pourraient bien être les pays du sud-est asiatique.
Un marché des changes en voie d’amélioration
Dans une économie mondialisée avec une balance des capitaux ouverte, l’assouplissement quantitatif est susceptible d’influer sur la valeur des devises. Dans un monde caractérisé par une insuffisance de la demande, l’assouplissement quantitatif pourrait être plus utilisé pour s’emparer d’une plus grande part de la demande mondiale que pour soutenir la demande intérieure. L’exemple japonais donne à penser qu’il y a fort peu de chances que l’assouplissement quantitatif génère beaucoup de demande dans des économies surendettées. L’assouplissement quantitatif compétitif et la dévaluation compétitive constituent un jeu à somme nulle.
En effet, les marchés commencent à soupçonner que la baisse des devises dans les pays prenant des mesures d’assouplissement quantitatif aura des répercussions sur la compétitivité ailleurs. Ce faisant, au moment où les marchés se font du mauvais sang à propos d’un retour de l’assouplissement quantitatif, le risque d’un contrôle des capitaux dans les pays émergents se fait plus menaçant.
Les devises émergentes sont susceptibles de finir par représenter les dommages collatéraux de cette bataille entre les banques centrales du monde entier. Les pays émergents sont confrontés à un tsunami de liquidités sans précédent. Depuis leur niveau le plus bas en mars 2009, les réserves de change mondiales, essentiellement détenues par les pays émergents, ont augmenté de 2,2 trillions de dollars à 8,6 trillions de dollars. La mise en œuvre d’une seconde phase d’assouplissement quantitatif devrait avoir pour corollaire d’accentuer encore un peu plus ce tsunami.
Les tensions commerciales et celles liées au marché des changes entre les États-Unis et la Chine ne font qu’ajouter à l’incertitude ambiante. Pour le moment, les gouvernements en Asie n’ont pas cessé leurs interventions et tentent de calmer leurs marchés immobiliers grâce à des mesures réglementaires. Dans le même temps, ils évitent de prendre d’énergiques mesures de normalisation des taux d’intérêt compte tenu de l’absence de pressions inflationnistes et des inquiétudes à l’égard d’un possible impact sur les afflux de capitaux. Les taux d’intérêt de ces pays demeurent bas comparativement à ceux des autres pays de la planète. Mais, dans la mesure où des montants toujours plus importants de liquidités sont en quête d’actifs limités, même ceux faiblement rémunérateurs pourraient bien être les témoins d’une augmentation des afflux de capitaux. Et les prévisions d’une appréciation des devises pourraient devenir autoréalisatrices.
Les bénéfices sont-ils synonymes de créations d’emplois ?
Dans le passé, il existait une corrélation étroite et clairement définie entre l’évolution cyclique des marges bénéficiaires des entreprises et la croissance de l’emploi (…) Mais, cette corrélation a commencé à devenir moins manifeste à partir de la fin des années 80.
Depuis les années 90, une croissance de l’emploi allant en diminuant alliée à une rentabilité des entreprises orientée à la hausse est devenue la norme. Cette divergence est révélatrice de l’évolution de la nature de l’économie américaine (moins manufacturière) et de la puissance des forces de la mondialisation. Ce dernier facteur devient d’ailleurs de plus en plus important et peut conduire à une situation caractérisée à la fois par de solides marges bénéficiaires et un environnement macroéconomique peu porteur.