par Yves Bonzon, directeur des investissements chez Pictet
Le rallye des actifs risqués en septembre nous a pris par surprise. Paradoxalement, notre scénario macroéconomique de fond est tout à fait correct. Les économies développées, Etats-Unis en tête, ralentissent significativement ces derniers mois. Dans notre carnet de route, ce ralentissement conduirait à un nouveau policy-mix, notamment un deuxième round d’assouplissement quantitatif de la politique monétaire américaine.
Nous savions que Ben Bernanke avait une compréhension sans égal des mécanismes à l’œuvre dans une récession de bilan. Dans une telle récession, la variable de transmission de la politique monétaire n’est plus le taux d’intérêt mais le prix des actifs, comme les maisons et les actions. Nous pensions en revanche qu’il devrait attendre un nouvel épisode de stress sur les marchés pour s’assurer du consensus politique nécessaire au déploiement d’un nouveau programme d’achats d’actifs avec le bilan de la Réserve fédérale. Nous nous sommes trompés.
L’absence de reprise de l’emploi aux Etats-Unis et le stress qui en résulte chez les politiciens américains ont d’ores et déjà mis en place les conditions permettant au FOMC de pré-annoncer QE2 (quantitative easing 2). Dans un système de crédit rompu, on ne peut toutefois pas gagner sur les deux tableaux.
Soit on parvient à stimuler le prix des actifs et la devise baisse, soit le dollar monte et le S&P 500 baisse. Pour profiter de cette stimulation monétaire américaine, il faut donc acheter des actifs en dollars, ou liés au dollar, telles les matières premières, mais non sans les protéger (hedge) pour le risque de change. Sinon, mesuré dans un étalon valeur stable, le gain réel est nettement moindre, voire nul. En or ou en franc suisse, le S&P a gagné à peine la moitié de sa hausse en dollar depuis que la Fed a annoncé la perspective d’un QE2. L’impact d’une communication radicale dans la batterie des outils de politique monétaire est démontré de façon spectaculaire, puisque le QE2 est escompté par les marchés avant même d’avoir été formellement décidé, ni encore moins débuté. Ben Bernanke mérite un score maximal, c’est absolument remarquable comme conduite de la politique monétaire. Sous sa houlette, les Etats-Unis ont peu de chances de connaître la déflation, même si les marchés risquent de se faire peur encore quelques fois avant que la menace ne soit définitivement écartée.
On ne peut pas en dire autant de la BCE. Il est vrai que le contexte est différent, puisque son objectif est inatteignable, c'est-à-dire concilier les impératifs des pays «core» sans plonger la périphérie dans une dépression. Sur l’euro aussi, nous avons sous-estimé les Européens mais, contrairement aux Américains, dans leur capacité à plonger la zone euro dans la déflation. Il est aujourd’hui clair que la zone euro a redressé la situation désespérée qui était la sienne en juin dernier grâce à l’aide providentielle de Pékin. La forteresse chinoise et ses 2'600 milliards de réserves est venue au secours de la zone euro en détresse.
Tous les gérants macro ont été pris à revers sur leurs positions à découvert en actifs européens, mais les conséquences de ce coup de main chinois sont aujourd’hui claires et certainement désastreuses. Comme nous l’écrivions ici voici quelques mois, «à 1,33 l’euro est encore cher et n’a plus de raison de le rester». Au moment d’écrire ces lignes, nous en sommes à 1,375. L’euro est donc à ce jour le grand perdant de ce que le ministre brésilien des Finances a récemment appelé la «guerre des devises». Les Chinois font un petit effort, visant à calmer Washington, et les Américains mettent en place les conditions nécessaires pour éviter la déflation.
En Europe, la déflation peut encore être évitée, mais cela nécessitera malheureusement une nouvelle crise grave, crise qui ne manquera pas d’arriver quand la périphérie étouffera sous le poids de politiques d’austérité couplées à une devise trop forte.