Our currency, your problem

par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas

La publication des Minutes du FOMC du 21 septembre devait être le point d’orgue de la semaine écoulée et renforcer le contraste déjà perceptible entre les Etats-Unis et l’Europe au regard de l’orientation de la politique monétaire dans les prochains mois. C’était sans compter sur l’allocution du Président de la Bundesbank, Axel Weber, à Washington.

S’il est vrai que M. Weber, membre du Conseil de politique monétaire de la BCE, n’en est pas pour autant le porte-parole, son inquiétude témoigne toutefois du débat au sein de la Banque centrale concernant la sortie de politique de crise. Il a, en effet, déclaré devant un symposium du Shadow Open Market Committee qu’il n’est pas souhaitable de différer la sortie de politique de crise, dans la mesure où les marchés financiers continuent de montrer des signaux de normalisation.

En outre, il évoque la nécessité d’un arrêt définitif et immédiat du programme d’achats d’actifs financiers par la Banque centrale. Même si ces propos sont minoritaires au sein de la BCE, M. Trichet se faisant l’avocat d’une politique plus pragmatique et progressive, ils mettent particulièrement à jour la divergence croissante entre le biais monétaire européen d’une part et américain d’autre part.

En effet, les Minutes du FOMC montrent que les membres de la Fed sont inquiets du ralentissement de l’activité depuis quelques mois. En particulier, la croissance modeste de l’emploi leur apparaît insuffisante pour faire reculer le taux de chômage à un rythme satisfaisant (il était de 9,6% en septembre, inchangé par rapport à août). Le Comité considère qu’un certain nombre de facteurs limitent la croissance, dont la faiblesse de la confiance des entreprises et des ménages, l’aversion élevée au risque et des conditions financières toujours difficiles pour les petites entreprises et les ménages. Par ailleurs, la plupart des membres du FOMC jugent que le niveau de l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation, l’inflation était de 0,8% en septembre) n’est pas compatible avec le mandat dual (plein emploi et stabilité des prix) de la Fed.

Dans ces conditions, le Comité a débattu en profondeur des options monétaires qui s’offraient à lui pour remplir son double objectif. Une reprise du programme d’achats de Treasuries à long terme semble désormais acquise et devrait être annoncée à l’occasion du prochain FOMC du 3 novembre. Depuis la crise, le bilan de la Banque centrale a presque triplé et représentait 2 344 milliards de dollars début octobre. Il pourrait encore être augmenté de 500 milliards. Par ailleurs, le FOMC a discuté de la possibilité de faire évoluer les anticipations d’inflation, jugées trop basses actuellement. En effet, compte tenu du niveau proche de zéro des taux d’intérêt nominaux, une baisse des anticipations d’inflation à court terme entraîne une hausse des taux d’intérêt réels à court terme, étouffant la demande interne. A contrario, le FOMC souligne qu’une progression des anticipations d’inflation provoquerait un repli des taux réels à court terme et stimulerait l’économie. Dans ces conditions, le Comité a étudié un ensemble de stratégies pouvant avoir un impact sur les anticipations d’inflation : le ciblage de l’inflation, celui du niveau des prix ou encore celui du PIB nominal. Contrairement à la BCE, la BoE ou encore la Banque du Japon, la Fed ne possède pas de cible d’inflation pour la conduite de sa politique monétaire.

Opter pour une telle stratégie n’équivaut pas à laisser filer les prix, comme certains investisseurs peuvent le craindre, mais bien à affiner l’objectif de stabilité des prix, lequel ne s’accommode ni d’inflation ni de déflation. Ainsi l’écart de rendement entre les Treasuries 10 ans et les Treasury Inflation Protected Securities ou TIPS, qui sont un bon indicateur des anticipations d’inflation, est resté quasiment inchangé à 206 pp, proche de sa moyenne sur 5 ans à 210. En revanche, le rendement du Treasury à 30 ans est remonté depuis le début de semaine, les marchés anticipant que la reprise du programme d’achats d’actifs financiers par la Fed se ferait principalement sur le compartiment 5-10 ans des Treasuries.

Pour l’heure, le contraste entre les discours des deux Banques centrales se traduit principalement par une poursuite de l’affaiblissement du dollar contre toutes monnaies. Le taux effectif réel du dollar a perdu 8% depuis le début de l’été et se retrouve désormais à son plus bas niveau depuis la fin des accords de Bretton Woods en 1976. De là à croire que l’Administration américaine a adopté une politique du « benign neglect » vis-à-vis de sa monnaie, il n’y a qu’un pas que les marchés financiers sont prompts à franchir. Pourtant, nul ne sortirait gagnant d’une telle stratégie. Face au risque de déstabilisation financière que constitue l’afflux de liquidités libellés en dollars, certains pays émergents, comme la Thaïlande (le baht se retrouve contre dollar sur les niveaux qu’il avait atteints avant la crise asiatique de 1997-1998), commencent à prendre des mesures pour limiter les entrées de capitaux. Le durcissement du contrôle des mouvements de capitaux en Thaïlande, cette semaine, est intervenu après une décision similaire au Brésil et les interventions répétées, bien que démenties, de la banque centrale de Corée sur le marché des changes pour enrayer l’appréciation du won. Les pays émergents ne sont pas les seuls touchés par l’affaiblissement du dollar. Le renforcement de l’euro durcit d’autant les conditions monétaires déjà restrictives qui prévalent dans l’Union monétaire européenne et grippe le moteur des exportations.

Dans ces conditions, nous estimons que la BCE devrait surseoir toute décision de relèvement du Refi jusqu’en 2012. Elle maintiendrait, tout au long de 2011, le cap d’une sortie progressive de politique de crise.

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