Le dollar au secours de la croissance américaine ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Afin d’essayer de soutenir la croissance et les anticipations d’inflation, la Fed a annoncé lors de son dernier FOMC le 21 septembre qu’elle était prête à faire une deuxième vague de quantitative easing (QE2). Cette dernière risque fort de commencer dès le mois de novembre (probable déclaration lors du FOMC du 3/11) si les statistiques économiques ne montrent aucune amélioration d’ici là. Cette annonce d’une nouvelle détente des conditions monétaires a entraîné la poursuite du mouvement de dépréciation du dollar qui avait déjà commencé à la fin du mois d’août.

La dépréciation du taux de change est souvent évoquée comme le moyen ultime de soutien à la croissance alors que les différents outils de politique économique paraissent avoir atteint leur limite. La dépréciation du dollar de ces dernières semaines semble, en conséquence, faire partie intégrante de la guerre des changes qui a commencé avec l’intervention de la Banque du Japon, les menaces américaines envers la Chine et de nombreuses déclarations d’officiels de divers pays. Pour autant, nous l’interprétons plutôt comme un avantage collatéral de la volonté de soutenir la croissance et l’inflation via la politique monétaire plutôt que comme la conséquence recherchée du QE2.

La dépréciation du dollar a évidemment plusieurs avantages :

  • Dans une période préélectorale mouvementée, elle pourrait être bienvenue politiquement, alors que le contexte économique reste dégradé, et que les relations commerciales avec la Chine se sont détériorées en particulier sur le sujet du taux de change.
  • Par ailleurs, elle a un impact positif sur la croissance via une amélioration de la compétitivité des entreprises américaines qui permet en théorie de soutenir les exportations américaines et de rendre la production domestique plus attrayante comparée aux importations.
  • Enfin, alors que la Fed est sérieusement inquiète sur le risque déflationniste, elle a clairement déclaré que l’inflation était trop faible, et qu’elle commence à réfléchir à des moyens de piloter les anticipations d’inflation, la dépréciation du change apparaît comme un moyen de tirer les prix à la consommation à la hausse via une augmentation de l’inflation importée.

Mais ces avantages doivent cependant être nuancés :

  • Rappelons que les Etats-Unis sont une économie peu ouverte, les exportations en volume représentent environ 12% du PIB (contre 29% en France, 50% en Allemagne et 40% en Chine), la dépréciation du change représente un enjeu moins crucial que pour d’autres pays.
  • L’impact de la dépréciation du change peut être amoindri si les exportateurs étrangers choisissent de maintenir les prix en dollar inchangés et acceptent d’absorber une partie de la dépréciation du change, comportement que l’on a déjà observé dans le passé. Par ailleurs, les importations américaines semblent peu sensibles au prix (élasticité prix très faible), atténuant la déformation attendue vers la production domestique. Enfin, la désindustrialisation de l’économie américaine rend impossible la substitution de certaines importations par la production domestique.
  • Le modèle de la Fed donne un impact de 0,4% sur la croissance d’une dépréciation permanente du taux de change effectif réel de 10%. Or si le dollar a perdu environ 10% contre euro depuis début septembre, la dépréciation du taux de change effectif est nettement moins importante, de 4,7% si on prend l’indice large (moindre baisse du dollar contre certaines monnaies). La dépréciation actuelle pourrait apporter 0,2pt de croissance supplémentaire si la dépréciation s’avérait durable. 
  • La dépréciation du change constitue une détérioration des termes de l’échange. Les américains paient plus cher les produits importés impliquant une ponction sur le revenu national.

Au total, la dépréciation du change, si elle s’avérait durable, pourrait être utile pour soutenir l’inflation mais il faudrait une dépréciation beaucoup plus marquée que celle observée récemment, et donc probablement difficilement acceptable par les autres pays, pour obtenir un impact significatif sur la croissance.

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