par Laurence Chieze Devivier, stratégiste chez Axa IM
- Durant la longue période de restructuration de l’économie allemande, la consommation est restée atone. Cette période est révolue.
- Lors de la crise, la consommation s’est bien tenue grâce à la subvention du chômage partiel par l’état fédéral. Des facteurs plus structurels vont désormais jouer.
- Après s’être spectaculairement déformé en faveur des profits, le partage de la valeur ajoutée revient vers les salaires. Revenu et consommation en bénéficieront.
- A la différence du cycle précédent, la demande intérieure allemande stimulera les importations et donc la croissance des partenaires européens de l’Allemagne, compensant pour partie l’austérité budgétaire à l’œuvre en Europe.
La chute du commerce mondial en 2009 a touché de plein fouet l’Allemagne, dont le PIB a baissé de 4,7% en année pleine. Pourtant, la consommation est restée stable (-0,1%) et a même enregistré une progression de 2,4% en rythme annualisé au T2 2010. C’est un changement important dans la mesure où la performance de la consommation privée allemande a généralement été très modeste au cours des cycles précédents.
Nous examinons dans cette note les causes du réveil du consommateur allemand, pour savoir s’il contribuera désormais à la croissance allemande et au commerce intra-européen.
La sous-performance passée de la consommation en Allemagne
L’économie allemande se caractérise par son ouverture importante, avec ses exportations qui comptent pour plus 48% du PIB et un excédent qui a quand même atteint 135 Mds euros (1,4% du PIB) en 2009, malgré l’effondrement des exportations. Si la consommation privée représente 57% du PIB, la croissance moyenne de la consommation au cours du précédent cycle (1%) a été plus faible que celle du PIB (1,5%).
Comparativement, en Europe, l’économie progressait de 2,1% l’an en moyenne et la consommation de 1,9%.
Cette sous-performance de la consommation allemande s’explique par l’ampleur des réformes budgétaires et du marché du travail ainsi que des restructurations du coté de l’offre à partir de l’an 2000, qui entrainèrent une hausse du chômage. Chômage et réforme des retraites, avec l’introduction de fonds de pension on contribué à la hausse du taux d’épargne, qui atteint 11,9% fin 2008.
Le réveil du consommateur allemand
La surprenante tenue de la consommation allemande en 2009 s’explique par le plan de soutien budgétaire mis en place par le gouvernement fédéral, qui se substitua aux entreprises touchées par la baisse de leur activité, en étendant les subventions en faveur du chômage partiel. La compensation salariale par l’Etat est montée à 67% du salaire, pour les salariés au chômage partiel pendant une période de deux ans. Mise en place en 2009, la mesure fut reconduite en 2010 pour 18 mois. Au pic du dispositif, à l’été 2009, 1,4 millions de personnes bénéficiaient de ce soutien, maintenant en régression.
La baisse de l’emploi entre 2008 et 2009 a ainsi été limitée à 250 000 (-0.6%) et l’augmentation du chômage contenue à 505 000. Depuis 18 mois, le nombre de chômeurs diminue, se situant aujourd’hui à 7,5%, niveau le plus bas depuis fin 1992.
L’Allemagne récolte ainsi depuis 2005, les fruits de l’accroissement de la flexibilité de son marché du travail, avec la mise en place des différentes réformes Hartz à partir de 2003. Cette amélioration du marché du travail semble avoir favorablement influencé les ménages allemands, dont le moral s’améliore depuis deux ans. L’enquête ménages révèle que la propension à acheter (« opportunité d’achats »), en constante amélioration, dépasse aujourd’hui le pic atteint juste avant la hausse de la TVA de janvier 2007.
Parallèlement, le taux d’épargne qui avait quasiment atteint son plus haut historique au 4T08, a baissé tout au long de 2009, avec l’espoir d’une amélioration de la situation qui s’est matérialisée dès la mi 2009.
Si le taux d’épargne se stabilisait autour de son niveau actuel (11,4%), ce qui parait conservateur au vu de la baisse du chômage et de la progression de l’emploi – 200 000 postes créés en six mois- la consommation devrait évoluer avec le revenu disponible. Les espoirs sont maintenant du côté des entreprises et de possibles hausses de salaires.
Le partage de la valeur ajoutée se retourne en faveur des salariés
Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, le partage de la valeur ajoutée en Allemagne s’est fait au bénéfice des entreprises, dont les profits ont gagné 4 points dans le PIB tandis que la part salariale chutait à 48% en 2008. Le processus de restructuration de l’économie allemande a exercé une pression à la baisse sur les salaires réels qui ont quasiment stagné au cours de la décennie écoulée, entrainant une stagnation de la consommation.
Avec la grave récession de 2009 et la baisse des profits qui en a résulté, la part des salaires a fortement progressé, de façon quelque peu automatique, la masse salariale étant moins flexible que les profits. Depuis le redémarrage de l’économie au 2T09, les profits ont d’ailleurs retrouvé leur tendance haussière : avec une croissance du PIB de l’ordre de 3,5% cette année, l’économie allemande renoue avec le taux de croissance de l’année 2000. Les profits ont progressé de 4,6% au 2T après avoir cru de presque 7% au 2S09, ce qui a relevé le taux d’autofinancement à nouveau au dessus de 100% (120%). Baisse du chômage et restauration des marges ont, enfin, autorisé un partage de la valeur ajoutée davantage en faveur des salaires, conformément au modèle de partage des profits (théorisé par Martin L. Weitzman en 1986).
Dans la sidérurgie, IG Metall a ainsi obtenu une hausse de 3,6% des salaires pour l’année prochaine (sur 13 mois), et une prime immédiate de 150€. En 2010, les sidérurgistes avaient obtenu une prime de 320€, sans hausse des salaires.
Ainsi, après plusieurs années de quasi stagnation des salaires, 2011 serait une année faste avec probablement une progression autour de 3% des salaires nominaux, soit environ 1,5% à 2% en termes réels. Dans ces conditions, nous tablons sur une croissance de la consommation privée, de l’ordre de 1,5% l’année prochaine. Ainsi l’Allemagne pourrait bien continuer à bénéficier d’une croissance plus forte que ses partenaires, grâce à la progression toujours rapide de ses exportations et à l’accélération de la consommation privée.
L’Allemagne, relai de croissance de ses partenaires européens
Le changement de tendance de la consommation privée allemande constitue une bonne nouvelle pour l’ensemble des pays de la zone monétaire et de plus généralement pour l’Union Européenne. En effet, l’Allemagne est souvent la principale destination des exportations de ses partenaires européens. Au premier rang desquels, les Pays-Bas réalisent 30% de leurs exportations vers l’Allemagne. Les exportations françaises vers l’Allemagne comptent pour 13% de ses exportations totales, celles de l’Italie comptent pour 10%des exportations italiennes. L’Allemagne est également le marché à l’exportation clef pour nombre de pays de l’Est, à commencer par la Pologne.
Le rebond de la consommation allemande, pour les pays spécialisés dans des produits intermédiaires ou de consommation, est de nature à stimuler les exportations, prenant tout du moins pour partie le relai du commerce mondial en ralentissement. Dans ces conditions, l’emploi et l’investissement seront soutenus par la bonne tenue du commerce intra-européen, tout du moins pour les pays du cœur de l’Europe, la périphérie continuant de souffrir de consolidations budgétaires drastiques pesant sur leur demande intérieure.
Conclusions
La réforme de l’économie allemande à l’œuvre au cours des années 1995-2005 a permis d’accroitre sa compétitivité, tandis que pendant cette phase, le partage de la valeur ajoutée s’est opéré en faveur des entreprises.
Aujourd’hui, après des années de très faible progression des salaires et de la consommation des ménages, les réformes du marché du travail et la reprise économique ont permis une amélioration sensible de l’emploi, qui devrait se poursuivre.
Le rééquilibrage, pour partie du partage de la valeur ajoutée davantage en faveur des salariés constitue un facteur de soutien important au revenu et à la consommation des ménages et autorisera un certain rééquilibrage de la croissance allemande.