par Florian Roger, stratégiste chez Amundi Asset Management
En considérant les taux d’intérêt directeurs pratiqués par l’ensemble des banques centrales dans le monde, le loyer moyen de l’argent, pondéré selon le poids des économies, ressort à +2,4%. Au regard des prévisions de croissance nominale mondiale du FMI (+7,1% en 2010 et +5,6% en 2011), les termes d’une règle de Taylor sous-entendent un caractère globalement accommodant des politiques monétaires, d’autant qu’elles s’accompagnent de mesures non conventionnelles d’injection de liquidité ou d’achat d’actifs. Une situation de surliquidité mondiale tend ainsi à se créer, jouant un rôle d’amortisseur du deleveraging dans les pays développés et de catalyseur de croissance dans les économies émergentes.
Cela permet de dissiper les craintes d’une rechute de l’économie mondiale à court terme, mais peut, dans le même temps, impliquer la formation de dislocations nominales (couplées à un risque de surchauffe inflationniste dans certaines zones émergentes) et le développement de déséquilibres financiers, notamment sur les devises et les prix d’actifs.
La croissance américaine se renforce
L’annonce par la Fed d’un QE2 a bénéficié aux marchés actions, engendré une détente supplémentaire des taux longs (govies et crédit) et a déclenché une baisse du dollar. Cet assouplissement des conditions monétaires et financières a favorisé un rebond des indicateurs avancés et s’est accompagné de perspectives plus favorables en termes d’emplois. Les embauches se sont accélérées en octobre selon l’enquête payrolls (+151K contre +80K en moyenne depuis le début de l’année) et les nouvelles inscriptions au chômage se sont inscrites en baisse. Parallèlement, les heures travaillées hebdomadaires se sont accrues de +0,1 m/m à 34,3 et le salaire horaire a progressé de +0,2% m/m (+1,7% en glissement annuel). Les gains salariaux totaux se sont élevés à près de +3% t/t annualisé depuis deux trimestres. Grâce aux effets de richesse positifs aidant à stabiliser le taux d’épargne, les dépenses des ménages ont évolué positivement. La reprise tend ainsi à devenir plus robuste, grâce au renforcement d’un moteur de croissance autonome, tournant autour du couple emploi-consommation.
L’Europe en dispersion
En Europe, à la fin du 3ème trimestre, l’acquis de croissance 2010 s’élève déjà à +3,4% pour l’Allemagne. En novembre, l’IFO est ressorti à son plus haut niveau depuis la réunification. Ce pays est plus que jamais le principal moteur de l’Europe et les perspectives de croissance pour 2011 paraissent particulièrement bien orientées, au-delà des attentes actuelles du consensus. Ce dynamisme a permis à la zone euro de bénéficier de chiffres de croissance soutenus au T3 (+0,4%), malgré le ralentissement induit par une contribution moindre des stocks. Les indicateurs avancés ressortent largement en zone d’expansion (55,4 en novembre sur le PMI composite zone euro) ne signalant pas une baisse significative de la croissance à venir. Néanmoins, la situation entre Etats-membres de l’UEM demeure extrêmement hétérogène, avec un regain de stress sur le risque souverain des pays périphériques, consécutivement à la crise irlandaise.
La poudrière périphérique
Au-delà des modalités pratiques du plan d’aide pour ce pays, les marchés se révèlent particulièrement préoccupés par le risque de contagion. Pour enrayer ce dernier, deux conditions paraissent nécessaires.
Premièrement, les mécanismes et les règles de stabilisation européens doivent être précisés afin que les pays « cœur » de l’Europe (France-Allemagne-Autriche-Italie) soient perçus comme des rehausseurs de crédit fiables pour la périphérie. Deuxièmement, il convient d’analyser les fondamentaux de la péninsule ibérique, principalement ceux de l’Espagne, aujourd’hui centrale quant au développement du stress sur les marchés et à son caractère systémique. Le marché immobilier espagnol affiche toujours des déséquilibres patents entre l’offre et la demande de logements, avec en corollaire un ajustement trop limité des prix (-13%) pour réconcilier ces derniers avec la dynamique des revenus des ménages. De plus, les restructurations opérées dans le système bancaire ne se sont pas accompagnées des injections de capital nécessaires. Les pertes nettes moyennes attendues par le marché pourraient requérir 50 Mds€ de capital supplémentaires pour le système bancaire. Si l’Etat prenait à sa charge ce montant, sa dette atteindrait 75% du PIB en 2011. Pour autant, ce niveau ne positionnerait pas l’Espagne sur une trajectoire de défaut. En outre, pour le moment, ce pays respecte ses engagements en termes d’austérité budgétaire.
Le risque systémique ne peut aujourd’hui être écarté. En effet, un sentiment anxiogène de marché pourrait conduire à un certain mimétisme des investisseurs et revêtir in fine un caractère auto-réalisateur. Néanmoins, les engagements des pays européens sur les mécanismes permanents de résolution de crise et la réalité de la dynamique de la dette espagnole pourraient éviter une dérive trop forte des marchés dans un environnement conjoncturel qui reste en soi porteur.