Pourquoi la Pologne ne cesse de croître ?

par Alexandre Proisy et Juan Carlos Rodado, économistes chez Natixis

Sans surprise, l’économie polonaise vient de confirmer son dynamisme malgré la crise. La croissance du T3 2010, largement supérieure aux attentes, a atteint 4,2% en glissement annuel (contre 3,6% pour le consensus), soutenue par la vitalité de la consommation privée. Cette dernière a bénéficié de la baisse en tendance du taux de chômage depuis le début de l’année.

De plus, les salaires et le crédit aux ménages ont certes décéléré mais n’ont pas cessé de croître, à respectivement 3,9% et 10% en GA en octobre. Au-delà des facteurs liés au modèle de croissance du pays, axé sur le marché domestique, nous revenons sur les différents déterminants à l’origine de cette performance et sur les éléments à surveiller de près, à savoir les finances publiques et la forte volatilité du change et des capitaux à court terme.

Un modèle de croissance basé sur le marché domestique

Le PIB polonais, qui a progressé de 3,5% en GA au T2 2010, poursuit son évolution sur un rythme remarquable avec 4,2% en GA au T3 2010. La demande interne continue d’être le moteur principal de la croissance, portée par le dynamise de la consommation privée (3,5% en GA au T3 2010) et publique (4,3% en GA). Rappelons que la consommation totale, qui représente près de 80% du PIB et repose sur un marché domestique de près de 38 millions d’habitants, ne s’est jamais contractée tout au long de la crise.

Preuve de ce dynamisme, les ventes au détail ont atteint 9,0% en GA en octobre tandis que les salaires ont progressé de 3,9% en GA sur la même période. De plus, la dégradation du marché du travail a été limitée, en particulier si on la compare à ses pairs régionaux. Le taux de chômage polonais a diminué de 1,4 pt depuis le début de l’année pour atteindre 11,5% en octobre grâce à la reprise de l’emploi.

Le crédit aux ménages toujours en croissance…

Le dynamisme de la demande interne a continué à être porté par la croissance, certes quelque peu ralentie en 2009, du crédit aux ménages. La faible bancarisation du pays (environ 40% des polonais ne possèdent toujours pas de compte bancaire) explique en partie cette hausse ininterrompue car 1,3 million de nouveaux comptes ont été ouverts en 2009. A l’inverse, les entreprises ont davantage pâti de la crise mondiale puisque leur crédit s’est contracté à partir d’octobre 2009. Il faut toutefois noter que le recul de l’investissement ne s'est pas poursuivi au cours du T3 2010 (0,4% en GA contre -1,7% au T2 2010).

…mais l’inflation reste sous-contrôle.

La hausse de l’inflation observée depuis septembre est imputable au rebond des cours de l’énergie et des produits alimentaires. Cette tendance devrait se poursuivre en 2011 et 2012 (+2,9% puis +3,1%) car les perspectives positives de croissance pour 2011 et 2012 (3,5% et 4,1%) pourraient provoquer des tensions sur les coûts salariaux unitaires. Inchangé à 3,5% depuis juin 2009, le taux d’intérêt directeur de la Banque Centrale devrait être relevé au cours du deuxième trimestre 2011 pour contrer les tensions inflationnistes sous-jacentes.

Cette bonne santé économique ne doit pas occulter les inquiétudes sur les finances publiques polonaises.

Le déficit budgétaire du pays est un des plus importants de la région. Après 7,2% du PIB en 2009, il devrait se situer autour de 8% cette année selon nos prévisions. Le ratio dette/PIB approche dangereusement la barre des 60%, au risque de ne plus être « euro-compatible » alors que la majorité actuelle souhaite adopter l’euro d’ici cinq ans.

Deux facteurs ont contribué à dégrader le déficit polonais cette année :

  • L’introduction des fonds de pension comme alternative au système de retraite par répartition qui a obligé le gouvernement à combler le manque de recettes temporaire de celui-ci ;
  • La construction d’infrastructures (autoroutes, stades,…) par l’Etat avec l’aide des fonds structurels européens en vue de l’Euro 2012.

Des mesures de consolidation budgétaire ont été mises en œuvre (augmentation de 1 point de la TVA à partir de janvier 2011, programme de privatisations pluriannuel qui va toucher 740 entreprises pour un gain espéré de 6 Mds d’euros en 2010 et 4 Mds en 2011,…). Nous tablons sur une stabilisation de l’endettement public en 2013 pour ensuite descendre sous la barre des 60% en 2015. Toutefois, les élections locales de décembre et les législatives à l’automne 2011 pourraient affaiblir cette discipline budgétaire.

Conjoncture mondiale: impact modéré du commerce extérieur mais forte volatilité du change

Les raisons de l’exception polonaise sont également à rechercher du côté du commerce extérieur. Le faible taux d’ouverture du pays (36% contre 69% pour la République Tchèque) lui a permis d’être moins affecté par la chute du commerce mondial que les pays dont la croissance est tirée par les exportations. Les perspectives de ralentissement du commerce mondial pour 2011 ne devraient donc affecter sa croissance qu’à la marge.

 La volatilité des changes et des capitaux comme source de risques

Bien que les fondamentaux de l’économie polonaise soient relativement solides, les risques liés à un choc sur le change existent. Le pourcentage des prêts en devises au secteur privé représente 32% de l’encours total. La principale zone de risque se situe sur le crédit immobilier des particuliers (54% des prêts aux ménages et 27% des prêts totaux) qui est majoritairement libellé en devises, notamment en francs suisses.

Après un affaiblissement de 5,5% contre euro au cours des deux dernières semaines, le zloty s’est aujourd’hui raffermi de 0,6%, porté par les bons résultats de l’économie nationale. Si l’aversion pour le risque continue à impacter négativement le zloty, la monnaie polonaise devrait néanmoins bénéficier d’un potentiel d’appréciation à moyen long terme.

Les mouvements d’oscillation du change pourraient se renforcer en cas de nouveau mouvement de fuite massive des capitaux, et ce d’autant plus que les investissements de portefeuille n’ont pas cessé de croître depuis mi-2009.

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