par Stéphane Alby et Jean-Loïc Guièze , économistes chez BNP Paribas
L’Afrique Subsaharienne1 a récemment dû faire face à deux chocs majeurs successifs : l’envolée des cours internationaux des denrées alimentaires et des carburants au premier semestre 2008, et la crise économique et financière mondiale, dont les effets se sont progressivement fait sentir à partir du second semestre 2008. Ces chocs ont directement accéléré l’inflation, ralenti la croissance et détérioré les comptes extérieurs et budgétaires des pays de la région.
Les politiques contracycliques mises en œuvre semblent avoir limité le fléchissement de la demande et éloigné le risque de récession, au prix d’un gonflement des déficits budgétaires. De même, les reflux de capitaux ont pu provoquer de fortes dépréciations des changes et des valeurs boursières, mais l’accumulation passée de réserves officielles et le prompt soutien des bailleurs de fonds institutionnels ont permis d’éviter les crises de balance des paiements.
Certaines améliorations structurelles des années d’avant-crise, comme la hausse des taux d’investissement et d’épargne nationaux, le développement de l’intermédiation financière, la forte attractivité des investissements directs étrangers ou encore la progression des exportations, notamment vers de nouveaux partenaires commerciaux comme la Chine et l’Inde, laissent espérer que les économies africaines profiteront à plein et de manière synchrone de la reprise mondiale et du rebond des cours des matières premières attendus en 2010.
Néanmoins, ces améliorations ne concernent qu’un petit nombre de pays et, dans l’ensemble, la médiocrité du cadre institutionnel et les carences en matière d’infrastructure contraignent encore trop souvent les entreprises africaines et les investisseurs étrangers à se concentrer sur l’exploitation de produits primaires.
Succession de chocs depuis 2008
Au premier semestre 2008, l’envolée des cours des matières premières agricoles a eu un effet inflationniste sur l’ensemble de la zone. Au second, la contraction de la demande mondiale, le reflux des cours des matières premières exportées et, dans une moindre mesure, celui des capitaux ont affecté la croissance économique de la plupart des pays. Hétérogènes et extravertis, les pays africains ont néanmoins subi ces chocs de manière différenciée selon leur niveau de développement économique et leur spécialisation productive.
– Premier semestre 2008 : l’effet inflationniste de l’envolée des cours des matières premières agricoles
Comme dans la plupart des pays en développement, l’envolée des cours des denrées alimentaires et des carburants au premier semestre 2008 a eu un impact inflationniste sur l’Afrique subsaharienne. Tendanciellement en diminution depuis le milieu des années 1990, sous l’effet de politiques macroéconomiques cohérentes (expansion monétaire limitée et moindre volatilité des taux de change), l’inflation est en effet remontée à plus de 10% en moyenne dans la région pour la première fois depuis 1996.
Toutefois, la hausse des cours des matières premières a eu des conséquences distinctes selon les économies.
Les pays exportateurs de pétrole ont ainsi bénéficié de l’afflux de pétrodollars pour faire face au renchérissement des importations et, in fine, renforcé leurs excédents budgétaires et extérieurs.
En revanche, pour les pays importateurs, le choc a été multiforme. Afin d’endiguer la montée du mécontentement populaire, la plupart des gouvernements ont cherché à limiter l’impact de l’envolée des prix des denrées alimentaires et des carburants par des réductions de droits de douane ou des hausses de subventions de ces produits. Ainsi, la poussée inflationniste s’est accompagnée d’une pression significative sur leurs soldes budgétaires et courants.
– Second semestre 2008 : la crise financière affecte l’Afrique subsaharienne de façon modérée
Pas encore rétablie de la crise alimentaire, la région a aussitôt été rattrapée par les effets de la crise mondiale depuis la mi-2008. D’abord financière, celle-ci a modérément affecté la zone, en raison de son faible degré d’intégration aux marchés financiers mondiaux et à l’exposition minime des banques locales – y compris les filiales des banques internationales – aux instruments financiers complexes (produits hypothécaires à risque et produits dérivés). De même, des niveaux de liquidité bancaire assez élevés, caractérisés par des ratios de prêts sur dépôts bancaires modérés, une part importante des actifs liquides dans les bilans, et des banques se finançant largement sur des dépôts locaux faiblement rémunérés, ont permis d’amortir quelque peu les difficultés liées au renchérissement et à la raréfaction des capitaux.
Toutefois, dans la douzaine de pays dits « pionniers »2, qui disposent des systèmes financiers les plus évolués de la région, bien que de taille et de complexité moyennes à l’échelle mondiale, le repli des investissements de portefeuille consécutif à l’augmentation de l’aversion au risque émergent, la nécessité pour les banques internationales de se désendetter et le débouclage des opérations de carry-trade ont pesé sur les taux de change.
Une correction des indices boursiers s’en est également suivie. Au total, le repli des investissements de portefeuille sur les marchés obligataires et boursiers a réduit la capacité des banques à lever des fonds pour augmenter leur capital et/ou accroître leurs réserves de liquidité.
La baisse des cours des actions a également eu des répercussions sur les banques des pays dans lesquels des clients avaient assez largement emprunté pour acheter des titres, comme en Ouganda et au Nigeria.
Dans ce dernier pays, l’accumulation de crédits destinés à financer la spéculation (boursière et pétrolière) a conduit à une dégradation brutale des portefeuilles des banques lorsque le cours du pétrole a chuté et que les investisseurs ont retiré leurs capitaux, forçant les autorités monétaires à recapitaliser près de la moitié des banques du pays.
Pour sa part, l’Afrique du Sud, plus intégrée aux marchés financiers mondiaux, a subi directement les fluctuations des sentiments de marché et les phénomènes de contagion. Les systèmes bancaires du Lesotho, de la Namibie et du Swaziland, très fortement intégrés à l’Afrique du Sud, devraient en pâtir également.
Si au final, les effets directs de la crise financière sont restés modérés et ont surtout concerné l’Afrique du Sud et une douzaine de pays pionniers, le ralentissement de la croissance, la contraction des exportations et la volatilité des prix des produits de base ont eu pour conséquence d’accroître le risque de crédit bancaire dans toute la région, notamment dans les pays exportateurs de pétrole où le crédit a connu une croissance rapide ces dernières années, dans des conditions prudentielles et de contrôle interne des risques encore souvent insuffisantes.
En conséquence, malgré l’absence de crise bancaire – hormis au Nigeria – et le maintien d’une liquidité satisfaisante, la dégradation des actifs bancaires s’est traduite par une remontée des provisions et un ralentissement de la distribution de crédit bancaire au secteur privé dans toute la région depuis le quatrième trimestre 2008.
– 2009 : L’entrée en récession de l’économie mondiale coupe un à un les moteurs de croissance africains
Dès lors que l’économie mondiale est entrée en récession, les effets de la crise se sont étendus à l’ensemble de la région, via la contraction des échanges commerciaux, la chute concomitante des cours des matières premières, en particulier des hydrocarbures et des métaux à l’exclusion de l’or, le recul des transferts des migrants et la réduction des investissements étrangers.
En dépit de l’émergence de nouveaux partenaires, les économies africaines demeurent polarisées sur la zone euro et les Etats-Unis qui représentent un peu plus de la moitié de leurs échanges commerciaux et dont les PIB devraient se contracter de respectivement 2,6% et 3,8% en 2009.
C’est également de ces deux régions que sont originaires 80% des transferts de revenus de la diaspora africaine. Les risques pesant sur ces transferts sont importants, bien que ces derniers soient généralement considérés comme peu sensibles au cycle économique.
Estimés aux alentours de 20 milliards de dollars en 2008, ils pourraient se contracter de 4% à 5% en 2009 selon la Banque mondiale. Pour une dizaine de pays, l’incidence pourrait être particulièrement sévère.
Enfin, la multiplication des annonces de report, voire de suspension, de projets de développement minier où d’infrastructures témoigne d’un ralentissement des investissements étrangers en 2009 après une demi-décennie de croissance ininterrompue.
– L’Afrique subsaharienne échappe néanmoins à la récession
Contrairement à d’autres régions en développement – notamment l’Europe de l’Est et l’Amérique latine – l’Afrique subsaharienne, dans son ensemble, a continué d’enregistrer de bonnes performances économiques en 2008 et échapperait à la récession en 2009.
Toutefois, après huit années de croissance économique soutenue (6,5% par an en moyenne entre 2002 et 2007, soit le taux le plus élevé depuis plus de trente ans, et 5,5% en 2008), le PIB de la région ne devrait croître que de 1% en 2009, entraînant un recul du revenu par habitant pour la première fois en dix ans.
Le ralentissement économique serait marqué pour les pays exportateurs de pétrole, dont la croissance annuelle passerait de 8,5% en moyenne entre 2004 et 2008 à 2% en 2009. La diminution des quotas OPEP décidée au cours du dernier trimestre 2008 ou encore les tensions sécuritaires dans le Golfe de Guinée ont pesé sur la production de pétrole du sous-continent, freinant la croissance réelle de ces pays. La récession serait néanmoins évitée grâce à la résistance des secteurs non pétroliers assurée en partie par les programmes d’investissements publics.
Pour leur part, les pays importateurs de pétrole hors Afrique du Sud résistent mieux à la crise que les pays exportateurs, avec une croissance moyenne de plus de 3% en 2009. L’Afrique du Sud, dont le PIB représente plus de 50% de celui des pays importateurs, reculerait de plus de 2% en 2009. Celle-ci pâtit de son plus fort degré d’intégration financière et commerciale dans la mondialisation.
Epuisement des marges de manoeuvre
Le désendettement public des pays d’Afrique subsaharienne, en allégeant le service de la dette, a donné aux gouvernements une petite marge de manœuvre budgétaire. Celle-ci a permis de compenser le recul de la demande externe, mais au prix d’une aggravation des déséquilibres macroéconomiques. La liquidité extérieure s’est de nouveau tendue pour une majorité de pays. Toutefois, le soutien des bailleurs de fonds a permis de contenir jusqu’à présent les risques de crise de balance des paiements.
– Le désendettement préalable généralisé
Les ratios d’endettement public des pays d’Afrique subsaharienne ont nettement diminué au cours de la décennie, leur permettant d’aborder la crise mondiale actuelle avec des marges budgétaires qu’ils n’avaient pas dans le passé. D’un montant équivalent à 46% du PIB en 2000, la dette publique extérieure de la région était revenue en deçà des 10% du PIB en 2008.
Toutefois, les facteurs de ce désendettement diffèrent selon les groupes de pays. Les pays pétroliers ont pu s’appuyer sur l’afflux de pétrodollars pour se désendetter. Ainsi, d’un taux oscillant autour des 60% du PIB en 2000, les dettes publiques extérieures nigériane et gabonaise ne représentaient plus que respectivement 1,5% et 14% du PIB en 2008. En Angola, elle se situe à hauteur de 16% du PIB en 2008. Parallèlement, ces pays avaient constitué des fonds de stabilisation. Fin 2008, ces réserves financières s’élevaient à quelque 18 milliards de dollars au Nigeria, soit 7,5% du PIB. Pour les pays pétroliers de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), sous-région de la zone Franc CFA, les dépôts gouvernementaux auprès de la banque centrale régionale et du système bancaire représentaient 12,5% du PIB. Si les montants collectés demeurent assez loin de ceux de l’Algérie ou des pays du Golfe, ils n’en constituent pas moins une source d’amortissement face au choc.
Pour les autres pays, le désendettement résulte avant tout de l’intensification des programmes d’allègement de dette avec le lancement de l’Initiative d’Allègement de Dette Multilatérale (IADM), et non d’une amélioration intrinsèque de leur solvabilité. Décidée lors du sommet du G8 de Gleneagles en juin 2005, l’IADM vise à effacer intégralement les créances dues au FMI, à l’Association Internationale de Développement de la Banque mondiale et à la Banque Africaine de Développement – trois organismes majeurs pour la région – par des pays ayant bénéficié intégralement des allègements de dette consentis au titre de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). A ce jour, l’IADM a permis de desserrer la contrainte budgétaire de vingt pays africains. Dix autres peuvent encore y prétendre.
– Le relâchement budgétaire permet d’éviter la récession, mais au prix de tensions de trésorerie
Face à l'ampleur du choc, et avec l'aval du FMI, les Etats ont laissé jouer les stabilisateurs automatiques.
Ainsi, les dépenses publiques continueraient d'augmenter dans près des trois quarts des pays de la zone, compensant en partie le recul de la demande externe.
Par ailleurs, largement tributaires des taxes prélevées sur le commerce extérieur en raison de l’étroitesse de leur base productive, les recettes publiques ont considérablement diminué. Le solde budgétaire moyen des pays exportateurs de pétrole, dont les ressources publiques sont issues à plus de 80%3 du secteur des hydrocarbures, redeviendrait déficitaire pour la première fois depuis 2003
Si, pour les pays importateurs de pétrole, l’amplitude du choc devrait être moins sévère, la récession mondiale aggravera néanmoins une situation budgétaire déjà fragilisée par les mesures destinées à compenser la flambée des cours des produits de base et des carburants mises en place au premier semestre 2008.
Or, face à un élargissement des déficits budgétaires, les ressources financières disponibles sont limitées. En comparaison des autres pays en développement, le marché de la dette locale est généralement embryonnaire en Afrique subsaharienne, alors que des sollicitations accrues ces dernières années pour couvrir une partie des investissements publics ont épuisé les liquidités. De plus, si les conditions d'accès à la ressource sur les marchés financiers internationaux se sont globalement améliorées depuis quelques mois, peu de pays africains peuvent prétendre en bénéficier en raison d’une signature financière de faible qualité. Désireux d'émettre leurs premiers Eurobonds, le Kenya et la Zambie ont ainsi été contraints de reporter leur projet.
Au final, si grâce au désendettement généralisé préalable à la crise, les pays africains disposaient de marges de manoeuvre, celles-ci n'ont pas été suffisantes pour éviter des tensions de trésorerie dans de nombreux pays.
– Détérioration de la liquidité extérieure
Au premier semestre 2008, l’envolée des cours du pétrole et des matières premières agricoles avait fragilisé les comptes externes d’une majorité de pays, à l’exception des exportateurs d’hydrocarbure. Cette situation s’est encore détériorée à partir de la mi-2008 avec le reflux des cours des matières premières exportées par la zone.
En excédent courant depuis 2006 (hors dons), l’Afrique subsaharienne rebasculerait ainsi dans le déficit en 2009, essentiellement sous l’effet du contre choc pétrolier. De plus, le répit induit par le retournement de tendance des prix des principales matières importées ne permettra pas aux autres pays africains de restaurer leurs comptes extérieurs. A l’exclusion de l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, des pays importateurs de pétrole pauvres en ressources naturelles, le déficit courant continuerait en effet d’augmenter pour une majorité de pays en raison de la contraction des recettes d’exportation.
Dans un contexte de tarissement des flux de capitaux, l’élargissement des déficits de la balance extérieure courante a pesé sur les réserves de change de l’Afrique subsaharienne. Le panorama demeure néanmoins hétérogène.
Principaux contributeurs à l’accumulation d’actifs financiers extérieurs du sous-continent lors de ces cinq dernières années, les pays pétroliers affichaient ainsi des ratios de liquidité extérieure historiquement élevés lors du retournement des cours du brut, ce qui a permis d’amortir l’impact de la contraction des recettes d’hydrocarbures.
En revanche, les réserves de change étaient déjà en recul dans environ un tiers des pays importateurs de pétrole au moment du démarrage de la crise, et la situation s’est détériorée depuis. Pour une dizaine d’entre eux, la situation demeure même très précaire. Et si, dans l’ensemble, le taux de couverture des réserves de change des pays importateurs de pétrole reste supérieur à la norme prudentielle de trois mois d’importation de biens et services en 2009, c’est essentiellement sous l’effet d’un allègement de la facture pétrolière et alimentaire.
– Soutien accru des bailleurs de fonds
Pour aider à faire face au tarissement des flux financiers privés et à la détérioration des finances publiques et des comptes extérieurs, les institutions de Bretton-Woods n’ont pas seulement mobilisé plus de nouvelles ressources, elles ont également assoupli les modalités de leurs interventions.
L’enveloppe financière de la Banque mondiale destinée aux pays africains est passée de 7,3 milliards de dollars durant l’exercice 20084, à environ 10 milliards pour l’exercice 2009. Partenaire traditionnel du continent puisque une quinzaine de pays bénéficiaient de décaissements au titre de sa Facilité triennale pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC) au début de l’année 2008, le FMI a également accru ses engagements tout en assouplissant ses conditionnalités de prêt. Le Bénin, la République Centrafricaine et la Zambie ont ainsi bénéficié d’un relèvement de leur accès à la FRPC pendant que cinq autres pays y accédaient.
Par ailleurs, depuis septembre 2008, sept pays africains ont recouru à la Facilité de protection contre les Chocs Exogènes (FCE), un des guichets de prêt du Fond qui a été modifié pour répondre rapidement aux besoins de liquidité, et un accord de confirmation vient d’être signé en faveur de l’Angola. Au final, le montant total des prêts octroyés par le FMI sur les dix premiers mois de 2009 a atteint 4,3 milliards de dollars contre 1 milliard pour l’année 2008, sans compter les allocations de Droits de Tirages Spéciaux5 (DTS) de l’été 2009. D’un montant cumulé de 6,8 milliards de DTS (environ 11 milliards de dollars) pour l’Afrique subsaharienne, ces allocations représentent 10% du montant total des réserves de change des pays de la région. Elles constituent un soutien non négligeable, bien que temporaire, pour les pays dont la liquidité extérieure était déjà délicate avant la crise, en raison soit de relations difficiles avec les bailleurs de fonds internationaux6, soit d’une forte détérioration des termes de l’échange. Ainsi, à de rares exceptions près7, les crises de balance de paiements ont pu être évitées jusqu’à présent.
Les vulnérabilités demeurent
Depuis 2001, le taux de croissance moyen de la région était resté supérieur à 5%, l’inflation semblait mieux maîtrisée, et les programmes d’allègement de dette avaient permis de dégager des ressources pour soutenir les programmes d’investissement public. Toutefois, deux années de crises les ont épuisées. Dans un contexte international toujours instable, l’Afrique subsaharienne doit faire face à deux écueils : sa vulnérabilité aux fluctuations des cours des matières premières, et sa dépendance vis-à-vis de l’aide internationale.
– Une apparente amélioration qui masque des problèmes de diversification économique
Sur le plan commercial, la zone regagnait des parts de marché, après plus d’une vingtaine d’années de perte de vitesse, notamment en s’appuyant sur l’émergence de nouveaux partenaires économiques tels que la Chine et l’Inde.
En effet, si les Etats-Unis restent le premier partenaire commercial de l’Afrique subsaharienne devant l’Union européenne, la part du commerce avec l’Asie émergente a connu une progression phénoménale au cours des cinq dernières années. La Chine représentait moins de 0,5% des exportations subsahariennes hors Afrique en 1990. Sa part est passée à 4,5% au début des années 2000 et à 14,5% en 2008. Dans une moindre mesure, mais avec un taux de croissance presque aussi élevé sur les cinq dernières années, et une marge de progression sans doute aussi importante sur les prochaines, la part de l’Inde atteint aujourd’hui 5% des exportations (hors Afrique) de la région.
Par ailleurs, l’épargne nationale, en hausse de 10 points sur les 10 dernières années pour atteindre 25% du PIB en 2008, et son intermédiation croissante sous forme de crédit bancaire ont financé une partie de l’accroissement de l’investissement privé. De plus, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) à destination de l’Afrique subsaharienne ont décuplé entre 2000 et 2008. Enfin, le désendettement des Etats a permis de réaffecter une partie des ressources budgétaires vers des programmes d’investissement public. Au total, l’investissement national a ainsi enregistré une progression significative au cours des dernières années, atteignant 22% du PIB avant la crise et comblant ainsi une partie du retard de l’Afrique subsaharienne sur les autres zones émergentes (hors Asie).
Pour autant, ces bons résultats masquent de profondes divergences au sein de la zone. La croissance des exportations africaines a essentiellement reposé sur la valorisation de ressources pétrolières et minières. De 48% en 2000, celles-ci représentaient en effet presque 55% des exportations de la région en 2007. Parallèlement, si l’on exclut l’Afrique du Sud, les pays producteurs de pétrole ont capté les trois quarts des investissements directs étrangers de la zone depuis le début de la décennie. Des pays riches en ressources minières ont également bénéficié plus récemment d’une croissance significative de ces flux.
De plus, les structures économiques ne se sont guère améliorées. Partant d’un niveau très inférieur à celui des autres régions en développement, la part des produits industriels dans les exportations totales du sous-continent a ainsi eu plutôt tendance à stagner, autour de 30% depuis le début de la décennie.
Les contraintes au développement industriel au sein de la zone sont multiples. Pénalisées par des infrastructures déficientes et un accès encore limité aux ressources financières, les entreprises africaines pâtissent également d’un environnement institutionnel médiocre. L’évaluation annuelle de la Banque mondiale sur la « facilité de faire des affaires » positionne ainsi une majorité de pays africains au-delà de la 130ème place sur une échelle qui en compte 183.
Les producteurs de pétrole ont même tendance à être en retrait alors que seuls l’Afrique du Sud, le Botswana, Maurice, et dans une moindre mesure la Namibie, le Rwanda, le Kenya, le Ghana et la Zambie font plutôt bonne figure. La zone présente les mêmes carences dans les classements de gouvernance délivrés par la Banque mondiale ou par l’Organisation Non Gouvernementale Transparency International (qui se focalise sur les niveaux de corruption).
Au final, si l’intérêt pour l’exploitation des vastes ressources minérales de l’Afrique subsaharienne devait de nouveau se manifester après une année d’attentisme de la part des grandes compagnies minières et pétrolières, la faible diversification économique est un frein potentiel au redémarrage de la zone. Ainsi, sans une amélioration du climat des affaires, une majorité des pays resteront non seulement vulnérables aux fluctuations des cours des matières premières mais également dépendants des flux futurs d’aide extérieure.
– Incertitude sur l’aide internationale
Pour l’instant, le soutien budgétaire a permis de compenser une partie de la contraction de la demande externe, principal moteur de la croissance africaine.
Mais suite à la crise, la capacité des Etats à maintenir un niveau d’investissement public élevé s’est réduite.
En effet, la reprise de l’endettement public consécutive à la détérioration des comptes budgétaires a été significative dans de nombreux pays. Au Ghana, par exemple, les gains liés aux programmes d’allègement de dette alloués par les bailleurs de fonds internationaux ont déjà été en grande partie utilisés. La dette publique anticipée pour 2010 serait ainsi supérieure de 15 points de PIB à celle de 2005 alors que la couverture des déficits publics reste incertaine.
Les risques qui pèsent sur les flux futurs d’Aide Publique au Développement (APD) sont élevés. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), les montants d’APD alloués par les principaux pays donateurs à l’Afrique sub-saharienne auraient augmenté de 10% en valeur réelle en 2008, hors allègements de dette. Cette progression intervient alors que les premiers effets de la crise économique se faisaient déjà ressentir, ce qui est encourageant. Pour autant, les principaux pays donateurs ne respecteraient toujours pas leurs engagements, pris lors du sommet du G8 de Gleneagles en 2005, d’augmenter leurs flux d’aide aux pays en développement de 80 milliards de dollars en 2004 à 130 milliards en 2010. Il manquerait encore 10 à 15 milliards de dollars et, selon l’OCDE, le retard pris vis-à-vis de l’Afrique serait encore plus important.
Malgré la montée en puissance de bailleurs de fonds non traditionnels, tels que la Chine qui vient d’annoncer le lancement d’un vaste programme d’aide à l’échelle du continent pour un montant de 10 milliards de dollars sur les trois prochaines années, et la capacité financière accrue des organisations multilatérales, il existe bien un risque de voir les ressources d’APD diminuer à l’avenir. En effet, la crise pourrait contraindre les principaux pays donateurs à des arbitrages budgétaires au détriment de l’aide extérieure. Compte tenu de l’importance de ces ressources dans la zone, l’impact pourrait être sévère pour un certain nombre de pays.
Lourdement affectée par la contraction de la demande mondiale et le ralentissement des investissements étrangers, l’Afrique subsaharienne a pu s’appuyer sur de nouvelles marges de manœuvre acquises depuis le début de la décennie pour y faire face. Le soutien accru des bailleurs de fonds a également été crucial. Au sortir de deux années de crise, les facteurs de résistance se sont néanmoins épuisés.
Désormais, un double scénario semble se dessiner en fonction des évolutions du contexte international.
Sous réserve d’une reprise de la demande mondiale, et donc d’une remontée des cours des matières premières, l’Afrique subsaharienne pourrait rebondir dès 2010. Toutefois, une sortie de crise à deux vitesses s’opérerait, les pays exportateurs de pétrole et de produits miniers restant en position plus favorable que les importateurs pour en bénéficier.
A l’inverse, si la reprise mondiale venait à s’essouffler, les risques qui pèseraient sur la zone seraient élevés. La couverture des déficits publics et extérieurs deviendrait problématique. Dans ce cas, et sans une remontée de l’aide internationale, les gouvernements africains seraient amenés à couper dans les programmes d’investissement public, obérant ainsi les perspectives de développement de la région à plus long terme.
NOTES
- Sauf mention contraire, et pour des raisons liées au traitement des données statistiques, cet article couvre l’Afrique subsaharienne hors Djibouti, Somalie, Soudan et Zimbabwe, soit 43 pays.
- Botswana, Cap-Vert, Ghana, Kenya, Maurice, Mozambique, Namibie, Nigeria, Ouganda, Seychelles, Tanzanie, Zambie.
- A l’exception du Cameroun où le poids du secteur des hydrocarbures est de moindre importance.
- Juillet 2007 à juin 2008
- Décidée lors du sommet du G20 en avril, ces allocations de DTS étaient destinées à accroître les avoirs de réserve de l’ensemble des membres du FMI.
- Il s’agit, pour la plupart, de paysdont la situation politique interne demeure tendue, tels la Côte d’Ivoire, l’Erythrée ou Madagascar.
- République Démocratique du Congo, Malawi, Seychelles.