par François Rimeu, Stratégiste senior chez La Française AM
Les six mois qui viennent de s’écouler ont donné lieu à une amélioration de la situation macroéconomique.
La réouverture de l’économie chinoise en fin d’année dernière a tout d’abord permis un regain d’optimisme et ce même si le rebond de l’activité s’est fait de manière inégale. En chine, les secteurs de la restauration, joaillerie ou encore de l’automobile électrique affichent en effet des rebonds très marqués, mais tout ce qui concerne l’immobilier au sens large reste encore très déprimé. A horizon fin d’année, le pays devrait malgré tout être capable d’atteindre ses objectifs de croissance de 5 à 5.5 % en 2023 au regard du rebond de l’activité au premier trimestre, même si nous ne croyons pas beaucoup à un plan de relance d’envergure pour relancer l’activité immobilière en lien avec les déclarations lors du dernier Politburo qui fait encore la part belle à la lutte contre la spéculation immobilière.
La situation énergétique européenne, s’est elle aussi largement améliorée grâce à des importations massives de gaz liquéfié américain et à des températures clémentes. La baisse des prix des matières premières énergétiques est une très bonne nouvelle pour l’économie européenne et permet de diminuer le fardeau pour les ménages et les entreprises de la zone. A horizon fin d’année, la situation ne devrait pas évoluer de manière importante avec un risque que nous jugeons faible de voir la zone euro faire face à nouveau aux mêmes problématiques concernant les stocks de gaz aujourd’hui très importants. De la même manière, les dynamiques d’offre et de demande ne devraient pas amener le prix du pétrole sur des niveaux significativement plus élevés que ceux que nous constatons actuellement. Il existe cependant un risque de voir la Russie remettre en cause les accords concernant les exportations agricoles en Mer Noire, voire de limiter les exportations de gaz à destination de l’Europe.
Enfin, la consommation a été globalement résistante même si la situation américaine apparaît sur ce plan plus favorable. Plusieurs facteurs jouent positivement en faveur des Etats-Unis. Tout d’abord parce que l’inflation salariale réelle y est bien supérieure qu’en Europe mais aussi parce que l’épargne-excédentaire accumulée par les ménages Américains sert de variable d’ajustement, alors qu’elle semble plus stable en Europe. La Banque Centrale Européenne a récemment étudié la façon dont cette épargne excédentaire a été investie en Europe et aux Etats-Unis et il apparaît qu’elle a été principalement investie en immobilier en Europe alors que les Américains ont pour coutume d’investir principalement en actions et en obligations. Il existe donc un réservoir de consommation encore disponible outre atlantique par ce biais, ce qui n’est pas le cas en Europe.
Au regard des dynamiques actuelles, il nous semble probable que nous devrions assister au deuxième semestre à une divergence des prévisions de croissance en faveur des Etats-Unis, ce qui a été peu le cas jusqu’ici.
Le tableau en cette fin de premier semestre est donc le suivant :
- Des marchés de l’emploi trop tendus et une inflation salariale trop forte, et donc in fine pour les banquiers centraux un risque de voir l’inflation core rester élevée pendant encore un certain temps. Nous ne voyons pas de signes précurseurs d’un retournement imminent ; les indicateurs avancés les plus fiables historiquement ne montrent aujourd’hui en effet pas ou peu de stress et indiquent une inflation salariale à six mois en décélération, mais toujours confortablement au-dessus de 5 % aux Etats-Unis avec une situation similaire en Europe. La baisse des anticipations d’inflation est une bonne nouvelle (Michigan, NY Fed) et un indicateur fiable du devenir de l’inflation salariale mais cela pourrait cependant prendre de longs mois pour assister à une baisse tangible.
- Une situation macroéconomique qui va de passable en Europe à bonne aux Etats-Unis, avec une dichotomie historique entre les secteurs manufacturiers et ceux des services. La résilience du marché de l’immobilier américain et son rebond au cours des derniers mois, illustre qu’il va sans doute falloir en faire plus pour rompre la dynamique américaine.
- Une Chine qui ne sera probablement pas le sauveur attendu. Pas de plan de relance massif à attendre, mais des mesures ciblées uniquement. Pas de quoi changer la dynamique macroéconomique mondiale.
Tout cela milite pour des banques centrales qui vont poursuivre leurs hausses de taux et pour des marchés qui vont graduellement intégrer les baisses anticipées pour 2024. Encore 100 points de base de réductions des taux d’intérêts anticipés aux Etats-Unis par exemple.
Les pressions sur les taux courts devraient pousser les taux longs à la hausse, avec toujours une très forte inversion des courbes. On voit bien sur le graphique ci-dessous la très forte corrélation entre l’estimation de prix du monétaire et les parties longues de courbes.
Tout cela ne doit pas masquer les risques qui existent à moyen terme et en particulier la dynamique de crédit via le canal bancaire qui est aujourd’hui sous pression. Les rapports de la BCE et de la Fed (Bank Lending Survey et Senior Loan Officer) sont sur ce point éloquents. Cela ne concerne malgré tout « que » le canal bancaire, qui ne représente pas la majorité du financement des entreprises aux Etats-Unis et dont la part diminue aussi en Europe même si elle reste prépondérante.
Le secteur de l’immobilier, où jusqu’ici les prix ont été malgré tout résilients avec des agents économiques qui se sont en grande majorité endettés à taux fixe avec un coût de la dette très faible, reste à surveiller. L’activité immobilière ralentit, notamment en Europe (cf PMI construction en France et en Allemagne) où la dépense publique n’a pas pris le relais de l’investissement privé, avec un impact du resserrement monétaire qui apparaît aujourd’hui comme plus faible que lors des cycles précédents. D’une manière générale, les actifs non cotés sont aujourd’hui à surveiller tant que l’ajustement sur les prix ne reflète pas l’ampleur du durcissement financier
Sur les marchés de la dette d’Etat, notre préférence va in fine aux obligations indexées à l’inflation. Les taux réels sont aujourd’hui supérieurs aux taux réels d’équilibre (et donc restrictifs, voir estimés Holston-Laubach-Williams (Measuring the Natural Rate of Interest – (newyorkfed.org)) et offrent selon nous des caractéristiques intéressantes :
- Dans l’hypothèse où l’inflation reste élevée malgré une croissance économique en berne, les banques centrales pourraient être tentées d’accepter une inflation plus élevée pendant un certain temps, ce qui serait très favorable aux taux réels.
- Si jamais un accident financier x ou y survient, ce qui est toujours difficile à anticiper, mais la probabilité ne nous semble pas nulle dans l’environnement actuel, les taux réels réagiraient très favorablement.
- Enfin,si tout va bien et que la croissance et l’inflation tiennent, alors les taux réels souffriront sans doute moins que les obligations nominales.
Les marchés actions ont reflétés durant le premier semestre l’amélioration des prévisions de croissance dans un contexte de taux réels à long terme, qui n’ont que peu évolué. Nous ne reviendrons pas ici sur la concentration des gains, surtout sur les marchés américains, liés à la frénésie autour de l’Intelligence Artificielle. Quels seront les gains de productivité ou de croissance potentielle dans le futur, nous n’en savons rien, et quels seront les acteurs dominants sur ce secteur, c’est là aussi difficile à dire. Tout ce que l’on peut dire c’est qu’à aujourd’hui les marchés actions américains apparaissent comme très cher dans leur ensemble au regard des conditions financières et que le constat est moins évident en zone euro même si là aussi, cela ne plaide pas en faveur des actions, surtout dans un contexte de banques centrales qui devraient poursuivre leurs politiques monétaires restrictives. Un autre argument négatif réside dans le fait que la liquidité globale du marché devrait elle aussi être un facteur négatif avec la poursuite de la baisse des bilans de ces banques centrales, la BCE ayant par exemple commencé à parler de ventes de titres lors des dernières semaines.
Nous avons donc du mal à être très positif sur les performances à terme à attendre sur cette classe d’actif au global ; le Russell 2000 apparaît sans doute comme l’indice le mieux positionné en relatif : moins cher que le S&P 500 puisque n’étant pas dominé par les grandes valeurs technologiques, aidé par des prévisions de croissance américaine solide et aujourd’hui peu détenu par les investisseurs.
Le marché du crédit semble offrir optiquement des valorisations plus attractives que les actions, mais ceci est principalement dû aux différences de constituants entre les deux marchés. Si on compare les spreads du Haut Rendement US au S&P équipondéré, on se rend compte que les comportements sont très similaires depuis 18 mois. Le segment de marché qui nous semble le plus intéressant est celui des obligations financières, subordonnées ou non. Le stress autour de SVB et Credit Suisse a laissé des traces avec des niveaux de spread encore historiquement élevés. (Pour aller plus loin – Note LFAM : Pourquoi nous redevenons positifs sur les CoCos.). Les risques existent sur ce secteur, comme par exemple le « bank run » actuellement en cours aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, mais les banquiers centraux feront toujours passer le risque de stabilité financière avant les autres ce qui impliquent qu’ils ne laisseront pas tomber d’acteurs majeurs. Credit Suisse est évidemment un contre exemple, mais un mauvais contre exemple de notre point de vue (banque suisse, déboires passés, etc..).
Le High Yield devrait lui continuer à évoluer dans une fourchette assez large, entre 450 et 550 points de base de prime (indice HWOO) reflétant à la fois des fondamentaux solides des entreprises (peu de refinancement à venir à court terme, coût du service de la dette faible, endettement total non excessif) et un risque macroéconomique à moyen terme pouvant pousser à la hausse les taux de défauts. Le portage est aujourd’hui intéressant et même hors tout resserrement de spread, il est tout à fait envisageable de terminer l’année sur des performances positives.
Le premier semestre a surpris tous les consensus de début d’année et si les marchés nous enseignent de manière continue quelque chose, c’est bien l’humilité. Il nous semble dangereux d’espérer que l’inflation disparaisse d’elle-même sans heurts pour la croissance économique. Pour le deuxième semestre, nous optons pour des portefeuilles défensifs, avec une exposition action inférieure à celle des indices et une préférence pour les actions US hors tech ; le Japon nous semble être trop consensuel et trop dangereux en cas de décision de la Banque du Japon. Sur la sphère obligataire, sensibilité en ligne, mais large préférence pour les taux réels et les parties longue de courbe (et ce, malgré l’inversion déjà très forte aujourd’hui). Les subordonnées financières et le dollar américain complètent les actifs que nous surpondérons.