par William De Vijlder, Group Chief Economist chez BNP Paribas
L’une des conséquences économiques majeures de la pandémie de Covid-19 est l’augmentation significative de la dette publique. Cette évolution s’explique par la baisse du dénominateur et le bond du numérateur, sous l’effet des stabilisateurs automatiques et de mesures discrétionnaires, parfois massives, visant à atténuer le coup porté à l’économie.
L’expérience des dernières décennies montre, que dans beaucoup de pays, voire dans la plupart, la baisse du ratio de la dette publique en phase d’expansion ne compense pas l’augmentation de ce même ratio en phase de récession. Or, un endettement public élevé et en hausse accroît le risque souverain susceptible d’influencer in fine les coûts d’emprunt. Parallèlement, depuis la crise financière mondiale, nous assistons à l’émergence des programmes d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing ou QE) comme principal outil de politique monétaire, les taux directeurs offrant peu de marge de manœuvre en matière d’assouplissement, voire aucune. Cela a abouti à une phase de coordination de facto entre la politique monétaire et la politique budgétaire. En augmentant directement la demande finale, cette dernière renforce l’efficacité d’une politique monétaire expansionniste, comme le soulignent souvent les banquiers centraux. Les achats d’obligations d’État par les banques centrales facilitent donc le financement des programmes de relance budgétaire.
Si cette tendance persistait, une part assez considérable de la dette publique pourrait figurer au bilan des banques centrales. Selon certains commentateurs, elle ne devrait pas être prise en compte dans l’analyse de la viabilité de la dette. La raison invoquée est que les coupons perçus par la banque centrale seraient remboursés à l’État sous forme de dividendes et que la dette arrivant à maturité sera toujours réinvestie par la banque centrale. Sur ce dernier point, il est peu probable qu’une banque centrale annonce le maintien définitif d’une telle politique, car cela serait perçu comme un dispositif de financement monétaire.
Par ailleurs, sa crédibilité en serait affectée et cela pourrait entraîner un bond des anticipations d’inflation. Cependant, pour l’évaluation du risque souverain, une telle annonce n’est pas strictement nécessaire. Il suffit que la probabilité de réinvestissement soit suffisamment élevée. Or, cela semble être le cas. L’expérience américaine du resserrement quantitatif a montré combien il est difficile de réduire la taille du bilan. En outre, la poursuite du resserrement quantitatif se substitue au relèvement des taux directeurs. Si une banque centrale souhaite moins recourir au QE, lors d’un cycle de détente monétaire ultérieur, elle doit privilégier les hausses des taux directeurs pendant les phases d’expansion ; cela lui laissera une marge de manœuvre pour abaisser les taux ensuite. Autrement dit, les obligations d’État, une fois achetées, pourraient rester inscrites au bilan pendant très longtemps. Pour autant, cela ne signifie pas que les programmes de QE soient synonymes de « repas gratuit » pour les États. Le pendant des achats d’actifs, au passif du bilan des banques centrales, sont les réserves détenues par le système bancaire, qui intervient en qualité d’intermédiaire entre ces dernières et les investisseurs finaux. Dans l’hypothèse où les coupons sont entièrement remboursés aux États sous forme de dividendes, le coût de financement effectif est le taux d’intérêt versé sur les réserves excédentaires des banques auprès de la banque centrale.
Nous nous sommes habitués à ce que ce taux soit très bas, voire même négatif dans le cas de la BCE. On espère cependant qu’il s’agit là d’une situation temporaire et que ce taux finira par remonter avec l’augmentation du taux d’intérêt neutre. L’autre raison d’une telle remontée serait une hausse de l’inflation et des anticipations d’inflation, due au rôle toujours plus grand de la banque centrale dans le financement du déficit budgétaire. Pour conclure, dans l’hypothèse d’un réinvestissement permanent des titres arrivant à maturité, la détention d’un important portefeuille d’emprunts d’État par la banque centrale impliquerait que le risque souverain soit évalué en fonction de la dette détenue par des investisseurs tiers. Cependant, il conviendrait de tenir compte du niveau d’endettement global dans la simulation de la dynamique à long terme des déficits et de la dette, tout au moins si le taux d’intérêt sur les réserves excédentaires est positif. De plus, le rôle grandissant des banques centrales dans le financement des déficits publics pourrait finir par entraîner une hausse de l’inflation et/ou des anticipations d’inflation et par influencer les coûts d’emprunt.