par Alexandre Baradez, Responsable Analyses Marchés chez IG France
A sa prise de fonction en novembre 2011, Mario Draghi a dû faire face au risque le plus important traversé par la zone euro : le risque systémique. Il est arrivé en fonction au cours de la phase aigüe de la crise de la dette en zone euro, répercussion directe de la crise des subprimes. Et il a manœuvré en imprimant tout de suite une différence de style et de méthode par rapport à son prédécesseur, Jean-Claude Trichet.
L’action la plus visible aura été la mise en place des deux « opérations de refinancement à long terme », les LTRO, fin 2011 et début 2012, c’est-à-dire près de 1000 milliards prêtés aux banques sur 3 ans. Ces opérations de prêts n’auront pas forcément eu un impact immédiat sur l’économie européenne mais elles auront permis de donner plus de souplesse aux banques dans une phase de stress majeure. Mario Draghi a également commencé à baisser sensiblement le taux de refinancement, le faisant passer de 1.50% à 1% en 2011. L’effet des LTRO s’est tout de même fait sentir sur le marché de la dette souveraine, donnant une bouffée d’air temporaire à l’Espagne et à l’Italie dont les taux d’emprunt à 10 ans avaient déjà fait une incursion au-dessus de 6% en 2011…
La force de Mario Draghi est d’avoir su trouver les outils adéquats en fonction de la conjoncture économique et de la psychologie des marchés. Face à la reprise des tensions sur les dettes souveraines et à la reprise de la baisse des marchés actions au premier semestre 2012, il a poursuivi son cycle de baisse des taux et a mis en place le programme OMT, permettant de racheter en quantité illimité des obligations souveraines pour faire pression à la baisse sur les taux d’emprunt des pays fragiles de la zone euro. Toute la force du programme OMT réside dans son pouvoir de dissuasion et c’est la une des signatures de Mario Draghi qui manie habilement la parole (souvent dissuasive) et les actes. L’inflexion majeure sur les marchés financiers est intervenue en juillet 2012 lorsque le président de la BCE a laissé entendre que cette dernière ferait tout ce qu’il faut pour sauver l’euro. Depuis cette période, les actions principales de la BCE se sont limitées à des baisses des taux.
L’intervention de la BCE au plus fort de la crise de la dette aura surtout permis aux Etats européens d’acheter du temps…du temps pour mettre en place les réformes structurelles nécessaires et assainir les budgets nationaux. Lors des différentes réunions de la BCE, Mario Draghi a plusieurs fois rappelé que l’action de la banque centrale ne pouvait se substituer à celles des gouvernements.
Aujourd’hui, les taux d’emprunt de l’Espagne et de l’Italie sont retombés sur les niveaux de 2006, c’est-à-dire avant que n’éclate la crise des subprimes puis la crise de la dette en zone euro. La bataille de la BCE pour la convergence des taux et l’éloignement du risque systémique est donc gagnée mais la ligne de front a bougé et se trouve désormais sur la stabilité des prix et l’inflation.
Depuis plusieurs mois la zone euro connaît un recul très net de l’inflation, les derniers chiffres estimé par Eurostat pour le mois de mars s’établissant à 0.5%…très loin des objectifs de la BCE. Face à cette situation et contrairement à la question des taux pour laquelle elle flirtait avec les limites de son mandat, la banque centrale a tous pouvoirs pour ramener les prix vers l’objectif de 2%.
Et dispose d’un panel d’outil très large : taux de dépôt négatif, baisse du taux de refinancement, nouveau LTRO, revitalisation des ABS, quantitative easing, etc… Reste à déterminer l’origine de cette baisse des prix : faiblesse de la croissance et de la demande au sein de la zone euro, faiblesse du prix des matières premières, stagnation des revenus, taux de chômage élevé, faiblesse de l’offre de crédit, deleveraging bancaire, effet des AQR de la BCE sur l’exposition des banques, niveau de l’euro…inutile de chercher une seule raison à cette pression baissière sur les prix sachant qu’elle résulte de la conjonction de plusieurs éléments.
Si certaines composantes ne peuvent être traitées que par des mesures politiques (investissement, fiscalité, mesures de relance…), la BCE peut favoriser la mise en place d’un contexte facilitant l’action des gouvernements, comme elle l’a fait par le passé en s’attaquant aux pressions sur les dettes souveraines.
Mario Draghi a multiplié les déclarations sur le niveau actuel de l’euro et son impact négatif sur l’inflation. En effet, l’évolution à la hausse des prix de l’énergie (en $) est compensée par la hausse de la devise européenne face au dollar, neutralisant l’inflation importée. Jens Weidmann, président de l’influente Bundesbank et garant de l’orthodoxie monétaire s’est aventuré récemment sur le terrain des taux négatifs laissant entendre qu’il s’agirait probablement de l’outil le plus adapté pour infléchir la trajectoire actuelle de l’euro. Encore plus surprenant, il a également sous-entendu que l’option d’un quantitative easing ne pouvait être totalement écartée. Enfin, Jozef Makuch, autre membre de la BCE est même allé plus loin en affichant ses craintes sur les risques de déflation en zone euro, laissant entendre que la BCE préparait de nouvelles mesures pour lutter contre ces risques.
Au regard du dernier chiffre d’inflation pour mars et compte tenu de la densité de déclarations accommodantes de membres de la BCE au cours des derniers jours, la probabilité d’une intervention de la BCE lors de la prochaine réunion s’accroit avec la question du niveau de l’euro en toile de fond. L’hypothèse de l’instauration d’un taux de dépôt négatif, d’une nouvelle baisse de taux ou encore la mise en place d’un nouveau LTRO pour contrer l’effet des AQR (examen de la qualité des actifs bancaires par la BCE) prend corps. D’autant plus que la situation géopolitique en Russie, malgré la désescalade récente, et la situation toujours mitigée dans les pays émergents, pourraient alimenter les craintes d’un impact économique plus important.
La BCE sait qu’il est beaucoup plus difficile de lutter contre la déflation que l’inflation, un statu quo jeudi serait donc un pari risqué…d’autant plus que la taille du bilan de la BCE a fortement dégonflé depuis les mesures de soutien prises en 2012 en raison du remboursement d’une partie des LTRO par les banques. Il est passé de plus de 3000 milliards € en 2012 à 2150 milliards €.
La BCE dispose donc d’une marge de manœuvre suffisante…