Bernanke fait le happening : il n’y aura pas de QE3

par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management

L'événement économico-financier de la semaine était la première conférence de Ben Bernanke à l'issue d'une réunion du comité de politique monétaire de la Fed.

Dans le communiqué de presse dont le propos a été rappelé par Ben Bernanke, la Fed reste toujours mesurée sur l'ampleur de la reprise indiquant que le marché du travail s'améliorait graduellement. Les inquiétudes sur l'évolution de l'inflation sont un peu plus marquées à court terme. On perçoit dans les propos de la banque centrale américaine que le risque est celui d'un effet de second tour i.e. que le choc de matières premières, principalement le prix du pétrole, se diffuse au reste de l'économie et que l'accélération de l'inflation ne soit pas transitoire mais permanente. 

La Fed a décidé de maintenir l'objectif des Fed funds à 0 – 0.25 %. La Fed maintiendra ce niveau de taux bas pour encore un bon moment. ("extended period") Elle a décidé d'aller au bout des achats de 600 milliards de dollars d'achat de titres du Trésor. Cela s'arrêtera à la fin du trimestre.

Une autre innovation est la publication, dès la fin de la réunion du comité de politique monétaire, des prévisions de la Fed. Il s'agit juste d'un tableau sans l'analyse qui sera publiée avec les minutes dans 3 semaines. Dans ce tableau, la Fed indique les objectifs de long terme vers lesquels l'économie devrait converger. Sur le taux de croissance, la fourchette est toujours de 2.5 – 2.8 % comme lors de la publication précédente en janvier. Le taux de chômage cible est un peu resserré à 5.2 – 5.6 % contre une fourchette de 5 – 6 % en janvier. Le taux d'inflation est inchangé avec une fourchette de 1.7 – 2 % contre 1.6 – 2%. 

Pour l'année 2011, le taux de croissance attendu est légèrement inférieur aux attentes de janvier. La nouvelle cible est de 3.1 – 3.3 % contre 3.4 – 3.9 %. Le taux de chômage est un peu plus faible 8.4 – 8.7 % contre 8.8 – 9 % en janvier. Le taux d'inflation est plus fort à 2.1 – 2.8 % contre 1.3 – 1.7 %. Cela correspond à une contribution plus forte des matières premières (énergie) mais aussi un taux d'inflation sous jacent plus robuste à 1.3 – 1.6 % contre 1- 1.3 %.

La grande innovation était donc la conférence de presse. Il ressort quatre éléments majeurs de cet exercice nouveau.

  1. La Fed est plus inquiète sur l'évolution de l'inflation et de prendre le risque d'avoir un taux d'inflation perçu comme excessif.
  2. La Fed considère que l'impact de sa politique monétaire s'observe principalement sur le court terme. Il a indiqué que sur le chômage de long terme, la politique monétaire avait peu d'effets.
  3. Il n'y aura pas a priori de QE3. L'arbitrage est un peu moins favorable que l'été dernier lorsque l'inflation n'était pas une menace et que le risque était de retomber en récession (double dip). Il a indiqué que le QE2 avait plutôt bien fonctionné puisque les conditions financières s'étaient améliorées (hausse des marchés boursiers, réductions des spreads de crédit) alors que la reprise, même si elle est modérée, est bien perceptible. La fin du QE marquera la fin de la politique monétaire très accommodante. Bernanke indique clairement qu'aujourd'hui les risques sur l'inflation sont plus élevés. Le coût en inflation supplémentaire d'une réduction plus rapide du chômage lui est apparu excessif le dissuadant de mettre en œuvre un QE3.
  4. Le resserrement de la politique monétaire commencera lorsque la Fed arrêtera de réinvestir les ressources issues des MBS qu'elle a en portefeuille. Le moment de ce changement de ton dépendra des perspectives macroéconomiques. Le timing est imprécis comme l'est le terme "extended period" pour le maintien de taux de la Fed très bas. Bernanke a indiqué qu'il ne savait pas très bine combien de temps durait une "extended period"

Conclusion

La Fed considère toujours le taux de chômage comme élevé (2ème paragraphe du communiqué) alors que la reprise s'opère à un rythme modéré. Comme Bernanke a indiqué que la politique monétaire était efficace principalement à court terme, l'arrêt du processus de Quantitative Easing suggère que la Fed se satisfait d'une reprise modérée qui ne se traduit pas par un rattrapage de ce qui a été perdu durant la récession.

Il y a ici un point qui n'est pas clair dans son raisonnement. Celle-ci indique que l'accélération du taux d'inflation est principalement liée à la hausse du prix des matières premières mais que cet effet sera transitoire. Elle se réfère donc implicitement dans son propos à l'évolution du taux d'inflation sous jacent qu'elle prend ainsi comme référence. Celui-ci était à 0.9 % en février et la Fed considère que cet année, il tendra vers la fourchette 1.7 – 2%. Il est souvent indiqué que l'objectif de la Fed est de 2% pour cet indicateur. Un objectif plus bas que la cible traduit une politique monétaire trop restrictive. Si 2 % est une cible et que l'on peut aller en dessous alors on peut aussi aller un peu au dessus. Mais cela Bernanke ne le veut pas alors que cela pourrait permettre un rattrapage plus rapide de l'activité.

En fait Bernanke a une attitude qui se rapproche de celle des banquiers centraux européens. Il craint un effet de second tour, il redoute une diffusion de la hausse de l'inflation résultant du choc des matières premières vers le reste de l'économie. De ce fait il veut stabiliser les anticipations d'inflation, comme la BCE. Celle-ci a remonté son taux de référence le 7 avril. On peut imaginer que Bernanke arrêtant le QE2 en juin, arrêtera de réinvestir les MBS à l'automne et durcira le ton en relevant ses taux avant le printemps 2012.