Bilan d’une année globalement positive et perspectives 2022

par Jean-Marie Mercadal, Directeur des stratégies d’investissement chez OFI Holding, et Eric Bertrand, Directeur Général délégué en charge des gestions chez OFI AM

Le bilan de l’année boursière 2021 est positif. Les principaux indices actions ont atteint de nouveaux records historiques et la terrible crise mondiale de la Covid-19 a été ainsi largement effacée. Comment expliquer cette envolée rapide et quelle stratégie adopter ? L’année 2022 s’annonce plus volatile, mais nous pensons que les actions devraient une nouvelle fois progresser et obtenir des performances supérieures aux autres actifs cotés.

Le léger regain de volatilité observé ces dernières semaines n’est pas de nature à ternir le bilan positif de cette année 2021. Les marchés ont été portés par une reprise économique spectaculaire, stimulée par des soutiens budgétaires et monétaires inédits. Les bénéfices des entreprises se sont ainsi envolés de près de 45 % aux États-Unis et de 65 % en zone Euro. Les taux d’intérêt ont également remonté depuis leurs plus bas niveaux de mars 2020, mais assez faiblement en comparaison de la remontée spectaculaire de l’inflation. Cette conjonction de paramètres explique la progression de 15 % à 20 % des principaux indices actions cette année, durant laquelle de nombreux records historiques sont tombés. La crise a ainsi été complètement effacée : l’indice S&P 500 est 40 % au-dessus de sa clôture de l’année 2019. L’indice CAC 40 a dépassé pour la première fois le seuil de 7 000 points, battant le précédent record de 6 950 points qui datait de septembre 2000. Il a progressé de 15 % depuis la fin de l’année 2019…

N’est-on pas allé trop vite, trop haut ? Les investisseurs vont devoir y réfléchir et analyser un certain nombre de paramètres : l’inflation, à des niveaux inédits depuis plus de 20 ans, l’imminence d’un durcissement monétaire aux États-Unis, le retour de la Covid-19 sous la forme d’un nouveau variant, dans un contexte géopolitique assez tendu, notamment entre les deux plus grandes puissances économiques du monde, les États-Unis et la Chine.

QUELS SONT LES PRINCIPAUX ENJEUX DE 2022 ?


• L’inflation et les politiques monétaires


L’évolution des marchés obligataires mondiaux ces derniers mois semble répondre, à première vue, à une sorte de « marche au hasard » : le rendement à 10 ans se situe à moins de 1,5 % aux États-Unis avec une inflation de près de 6 % ; à – 0,4 % en Allemagne avec une inflation autour de 4 %, à près de 3 % en Chine pour une inflation qui est à peine supérieure à 1 %, à 11 % au Brésil pour une inflation à 10 %…


Ces chiffres illustrent en réalité la puissance des grandes Banques Centrales occidentales qui pilotent les principales monnaies de réserve mondiale. La confiance envers ces monnaies reste forte en dépit de la création monétaire massive opérée. Les Banques Centrales des pays émergents n’ont pas cette capacité à mener des politiques similaires sans que leurs monnaies ne se déprécient, au risque de relancer des taux d’inflation très importants. Les Banques Centrales américaines et européennes ont donc eu la capacité d’augmenter leurs bilans pour financer les dépenses publiques et ont pris en quelque sorte le contrôle des courbes des taux.


C’est dans ce contexte que la nouvelle posture de Jerome Powell, à peine renommé, doit être analysée. Il vient en effet de déclarer, contrairement à ses observations précédentes, que l’inflation ne serait peut-être finalement pas si transitoire… Cela préfigure un changement plus rapide que prévu de la politique monétaire, à savoir un relèvement des taux directeurs et une accélération dans le rythme de réduction des achats de titres. La Réserve fédérale veut ainsi reprendre la main et garder la confiance des marchés. Elle semble avoir réussi. Les anticipations d’inflation inscrites dans le cours des obligations indexées ont baissé. De

même, les taux longs se sont détendus assez nettement après cette annonce et le rendement du T-Notes 10 ans est repassé sous le seuil de 1,50 %. L’inflation est donc transitoire pour les marchés. Ce faisant, la courbe des taux s’est aplatie assez sensiblement car, parallèlement, les échéances plus courtes ont peu varié en anticipation d’un relèvement des taux directeurs, dès mars ou juin prochain. L’écart entre le 10 ans et le 2 ans s’établit donc à près de 85 points de base contre 125 points de base à la fin du trimestre dernier. Historiquement, les mouvements d’aplatissement de la courbe des taux sont des indicateurs avancés d’un ralentissement économique.

• La croissance économique

Le rétablissement économique se poursuit à un rythme encore élevé aux États-Unis et en Europe. L’indicateur de croissance en « temps réel », le « GDP Now(2) », calculé par la Fed d’Atlanta montre que l’économie américaine « tourne » à 9,7 % en rythme annuel depuis le début du 4e trimestre. En zone Euro, l’activité reste dynamique, tant du point de vue de la consommation que de l’investissement des entreprises.

Mais les prochains mois s’annoncent plus compliqués. La production commence à être sérieusement pénalisée par les différents goulets d’étranglement qui se sont formés ces derniers mois. Par ailleurs, la hausse très sensible des prix de l’énergie, et plus généralement la hausse des prix, risquent de peser sur la consommation des ménages. S’ajoute la diffusion rapide d’un nouveau variant de la Covid-19, dont nous ne connaissons pas encore très bien les caractéristiques. Il ne semble pas provoquer de cas très graves de la maladie mais nous ne savons pas si les vaccins sont efficaces contre lui… En attendant, des mesures de restriction de circulation sont prises dans de nombreux pays, ce qui freine l’activité.

Nous pouvons donc nous attendre à un fléchissement de la croissance au cours des prochains mois, ce qui signifie que la dynamique positive des bénéfices des entreprises devrait s’atténuer. La croissance mondiale devrait se rapprocher de 6,0 % cette année et est attendue à 4,5 % en 2022, mais avec des risques de révisions à la baisse.

À plus long terme, les perspectives nous semblent cependant assez prometteuses. Le monde sort de cette crise beaucoup plus « leveragé », du fait des dettes supplémentaires créées pour soutenir les entreprises et les populations. Le dogme de la rigueur budgétaire n’est donc plus d’actualité. Au contraire, les Banques Centrales vont probablement financer pour de nombreuses années encore les gouvernements, en maintenant des taux réels négatifs ou proches de 0, ce qui pénalisera les porteurs d’obligations. Mais cette dette peut être utile si elle favorise des investissements qui permettront d’accroître la croissance potentielle des économies et si elle accélère le passage à une économie décarbonée. De nombreuses entreprises seront ainsi à même de se développer dans beaucoup de secteurs : technologie, énergie, infrastructures, agriculture, santé… Ainsi, avec une croissance potentielle accrue et des taux de croissance nominaux supérieurs à ceux des deux dernières décennies, les ratios de dette rapportés aux PIB diminueront naturellement. C’est cette voie de désendettement qui a été choisie, au détriment de la voie de l’austérité qui avait été adoptée trop rapidement à la sortie de la crise financière de 2008. Ces perspectives de long terme devraient naturellement favoriser les investissements en actions au détriment des obligations.

• La vague réglementaire en Chine

Les derniers événements en Chine ont provoqué un ralentissement économique assez sérieux, notamment dans le secteur immobilier qui représente près de 30 % de l’économie. Le gouvernement souhaite enrayer le modèle de développement immobilier fondé sur un excès d’endettement et qui n’est viable pour les promoteurs que si les prix progressent de plus en plus, ce qui a pour conséquence de mécontenter la classe moyenne. Comment avoir une famille nombreuse dans un petit logement ? Ces « vieux » modèles de développement sont devenus obsolètes aux yeux du gouvernement qui veut réorienter le pays, économiquement et « moralement ». La vague réglementaire a commencé au printemps dernier et s’inscrit dans le cadre d’un nouvel objectif : la « prospérité commune ». Nous l’avions déjà expliqué plus en détail, mais rappelons que cette nouvelle orientation a trois objectifs principaux : relancer la natalité qui a chuté ces dernières années et qui se situe parmi les plus basses du monde désormais, alors que la pyramide des âges est très déséquilibrée après trois décennies de la politique de l’enfant unique ; accélérer le passage vers une économie décarbonée ; et, enfin, retrouver une certaine harmonie sociétale en essayant de redonner un espoir d’une vie prospère aux classes moyennes.

La soudaineté et la radicalité des mesures prises (comme sur la limitation des jeux en ligne…) ont déstabilisé certaines activités, notamment le secteur très important de l’immobilier comme nous l’avons vu.

Le gouvernement semble toutefois avoir compris le risque à court terme. L’objectif à long terme est maintenu mais il semble infléchir sa position actuellement, ce qui est très important pour l’économie des prochains mois. Une pause dans ces vagues réglementaires devrait ainsi être observée. Le taux de réserves obligatoires des banques vient ainsi d’être abaissé et l’objectif de croissance 2022 de 5,5 % maintenu.

Finalement, le rythme de croissance économique s’infléchit, ce qui devrait contribuer à calmer les craintes inflationnistes, surtout si la Réserve fédérale agit rapidement. Dans ce contexte, les taux obligataires ne devraient pas beaucoup varier. Les actions apparaissent encore attractives en relatif, les marchés devraient continuer à progresser, mais de manière plus erratique. Un potentiel de 5 à 10 % pour l’année nous paraît possible, surtout après les replis récents qui nous donnent l’occasion de renforcer nos postions, stratégie que nous maintiendrons si la consolidation se poursuit.

Taux d’intérêt : L’inflation et le variant Omicron mènent la courbe

Les courbes de taux d’intérêt ont été récemment influencées par l’émergence du variant Omicron et le net changement de ton de Jerome Powell sur l’inflation. Le président de la Fed estimait récemment que le terme « temporaire » n’était plus approprié pour qualifier l’inflation. Cela a engendré une hausse des taux US à 2 ans. Le marché s’attend désormais à un resserrement par la Fed en 2022 de 70 points de base cumulés et 150 points de base si l’on pousse jusqu’en 2023.

Au-delà, presque plus rien. Cela explique la direction prise par les taux longs qui ont baissé assez nettement, stimulés aussi par les incertitudes autour d’Omicron. Une fois les doutes sur ce dernier dissipés, nous pensons que les courbes devraient à nouveau se pentifier avec une cible sur le 10 ans US à 2 % en 2022.

En Europe, le variant semble être la seule boussole des taux, comme en témoigne le 10 ans allemand qui passe de – 0,10 % à – 0,40 % en un mois. L’inflation y bat aussi des records mais la BCE semble vouloir prendre Omicron en prétexte pour repousser à 2022 ses décisions tant attendues sur le recalibrage de ses différents outils de politique monétaire promis pour la réunion de mi-décembre. Pourtant, la BCE devra bien se résoudre à acheter moins de dettes souveraines en 2022 qu’elle n’a fait depuis 18 mois, ce qui facilitera la remontée des taux longs que nous voyons cependant maîtrisée. Le taux Bund devrait converger vers 0 % en début d’année et nous le voyons évoluer essentiellement entre 0,25 % et 0,50 % fin 2022.

Dans la baisse des taux, les spreads(3) de crédit « Investment Grade » se sont écartés d’une quinzaine de points de base en extrême, avant d’entamer un début de correction. À court terme, les dissipations des craintes sur un impact majeur du variant devraient supporter les spreads, mais nous ne voyons pas de fort potentiel de resserrement. Les performances seront donc très dépendantes de la composante taux.

En revanche, nous avons une vue plus positive sur les spreads « High Yield » qui, entre mi-septembre et fin novembre, ont effacé la quasi-totalité du resserrement observé depuis le début d’année. Pourtant, les entreprises « High Yield » vont bien, leurs ratios de crédit se sont améliorés, leur liquidité est forte après une année ponctuée de nombreux exercices d’allongement de leur passif et leurs perspectives sont bonnes. Tactiquement nous pensons que cela peut-être un bon point d’entrée sur la classe d’actifs.

Actions : Profiter de la volatilité pour se positionner

Forte volatilité sur les marchés actions au cours des récentes semaines puisque, après s’être furtivement repliés sur les niveaux d’avril, les marchés se sont fortement repris suite à des nouvelles plutôt rassurantes au sujet du nouveau variant.

Étant donné les incertitudes sanitaires et la tendance assez claire concernant les politiques monétaires des différentes Banques Centrales, il y a fort à parier que les bourses mondiales resteront très volatiles dans les mois à venir. Cependant, si l’on considère que l’appréciation des taux longs restera modérée, les actions apparaissent toujours attrayantes par rapport aux marchés obligataires dans une optique à moyen terme. Nous pensons que les cours de ces dernières seront quelque peu supérieurs aux niveaux actuels à l’échéance d’un an mais que nous passerons par des phases de nervosité comme celle qui vient d’avoir lieu. Ce sera l’occasion de procéder à des renforcements et c’est pour cette raison que nous adoptons une opinion légèrement plus positive que celle que nous défendions jusqu’à présent.

Les chefs d’entreprises que nous rencontrons se montrent étonnamment confiants pour 2022. Dans de nombreux secteurs comme celui des semi-conducteurs, par exemple, les carnets de commande affichent des niveaux rarement atteints. Si la croissance mondiale ne s’effondre pas l’année prochaine, les bénéfices par action de part et d’autre de l’Atlantique devraient progresser d’une dizaine de pourcents entraînant des ratios cours/bénéfices certes élevés en niveau absolu, mais cohérents tant que les taux longs offrent des rendements oscillants entre – 0,4 % et 1,5 % au sein des différents pays occidentaux.

D’un point de vue sectoriel, dans un environnement de taux modérément haussier, les valeurs de croissance devraient continuer à être recherchées mais le secteur bancaire pourrait profiter de sa résilience et de sa faible valorisation pour continuer son rattrapage relatif.

Notre scénario central

La croissance économique sur 2022 sera moindre que sur l’année écoulée mais encore nettement au-dessus des potentiels. L’inflation devrait voir son pic en début d’année avant de refluer progressivement. Dans ce contexte, les Banques Centrales pourront continuer leur cycle de resserrement monétaire de façon très progressive pour ne pas heurter la croissance.

Les marchés actions devraient progresser parallèlement à la hausse des bé- néfices attendus en 2022, de l’ordre de 5 à 10%, mais avec une trajectoire nettement moins linéaire que cette année. Les épisodes de volatilité permet- tant de se positionner à l’image de celui que nous traversons, comme nous l’avions évoqué. Les taux d’intérêt devraient rester contenus mais toujours orientés à la hausse.

Il faudra surveiller le reflux de l’inflation au premier semestre car, en cas de persistance, quelles qu’en soient les raisons, cela pourrait trop contraindre l’action des Banques Centrales et venir heurter le cycle économique.

NOTES

(1) Spreads de crédit : différentiel de rendement d’une obligation d’entreprise privée avec celui d’une obligation souveraine.

(2) Gross Domestic Product : produit intérieur brut représentant le revenu d’un pays.

(3) Spread : écart de taux.