par Maarten-Jan Bakkum, Global Emerging Markets Equity Strategist d’ING IM
Après plus d’une décennie de politiques économiques austères visant à restaurer les larges déséquilibres macroéconomiques, les autorités brésiliennes ont pris une orientation davantage favorable à la croissance au cours de ces dernières années. Les dernières années du second mandat du président Lula ont été marquées par une progression rapide des investissements publics et une forte croissance des salaires minimums. Cela a permis à la croissance du PIB de dépasser son potentiel de quelques points de pourcentage et au pays d’éviter une profonde récession en 2008 et 2009.
Nos discussions avec des responsables gouvernementaux, des investisseurs locaux, des économistes indépendants et des analystes politiques ont été centrées sur la stratégie de croissance de l’administration actuelle. Sera-t-elle maintenue après les élections présidentielles du mois prochain ? Si oui, sera-t-elle aussi efficace que ces dernières années ? Et quel sera son effet sur le profil de risque macroéconomique du pays et sur le potentiel de croissance à long terme ?
Nous avons tiré les conclusions suivantes: le Brésil devrait maintenir un taux de croissance supérieur à 5,5 %, voire 6%, dans les prochaines années grâce à une forte croissance de la consommation des ménages et un programme d’investissements publics ambitieux. Le Brésil va néanmoins avoir besoin de plus de capitaux étrangers pour financer sa croissance étant donné le faible taux d’épargne et son taux de croissance potentiel d’environ 4,5%. Le rapide accroissement du déficit courant ne devrait pas poser de problème dans l’environnement mondial actuel où les placements à forte croissance et/ou à rendement élevé dans les marchés émergents sont de plus en plus recherchés. Mais une plus grande dépendance aux capitaux étrangers devrait rendre le taux de change et les prix des actifs plus volatils.
Parallèlement, le renforcement des investissements publics devrait augmenter le recours aux financements extrabudgétaires et diminuer ainsi la transparence budgétaire. En conclusion, nous pensons que le marché boursier brésilien va profiter de l’accélération de la croissance économique, mais que sa sensibilité aux fluctuations de l’appétit au risque dans le monde ne va pas s’atténuer dans les prochaines années.
La croissance du PIB à long terme avoisine 4 % à l’heure actuelle. Le potentiel de croissance du Brésil n’est certainement pas beaucoup plus élevé. La plupart des économistes tablent sur un taux de croissance potentiel de 4,5 %, compte tenu des éléments suivants : d’une part, une évolution démographique favorable, l’autosuffisance en énergie et dans de nombreuses matières premières, des flux d’investissements directs étrangers solides et un potentiel de convergence vers d’autres économies toujours important et, d’autre part, un système éducatif déficient, des infrastructures insuffisantes et un taux d’épargne faible.
La diminution du chômage, la hausse des salaires et la forte croissance des crédits devraient permettre d’assurer la partie ‘consommation privée’ dans les prévisions de croissance de la demande intérieure. Le taux de croissance réel moyen de la consommation de 5,5% enregistré ces cinq dernières années devrait pouvoir être maintenu dans les prochaines années. Les perspectives en matière d’investissements sont moins évidentes, étant donné le faible taux d’épargne dans l’économie, la forte dépendance aux capitaux étrangers et le financement public de grands projets.
Peut-on supposer que, après les élections du mois prochain, le nouveau gouvernement continuera à financer de grands projets d’investissements en infrastructure et dans le secteur de l’énergie par le biais de la banque nationale de développement BNDES ?
Ces dernières années, le financement extrabudgétaire de grands projets via la BNDES s’est élevé à environ 4 % du PIB chaque année. En 2009, au lendemain de la crise mondiale, les banques privées brésiliennes n’étaient pas disposées à prendre des risques et à financer ce type de projets. Mais cette année, la nécessité d’une intervention de l’Etat semble nettement moins évidente. Le nombre de nouveaux crédits octroyés par la BNDES a toutefois continué à grimper.
Nous pensons que le nouveau gouvernement va maintenir cette stratégie pour deux raisons : tout d’abord, la volonté d’augmenter le ratio d’investissement du Brésil sans creuser davantage les déficits budgétaires et, ensuite, les excellents résultats obtenus grâce au financement de la BNDES. L’immense popularité de Lula signifie que son candidat, Dilma Rousseff, va probablement remporter les élections au premier tour, ce qui constitue un gage de continuité, notamment en ce qui concerne le passage d’une politique économique orthodoxe à une politique centrée sur la maximisation de la croissance.
Le recours à la BNDES permet au gouvernement de mettre en œuvre de grands et prestigieux projets d’infrastructure tels que la ligne de train à grande vitesse entre São Paulo et Rio de Janeiro, le barrage hydroélectrique Belo Monte au cœur de l’Amazonie et plusieurs nouveaux stades de football en prévision de la coupe du monde de 2014. Le raisonnement économique de ces projets et les risques que ceux-ci impliquent constituent moins une source d’inquiétude pour une banque d’Etat comme la BNDES que pour des banques privées.
En fin de compte, l’ampleur du recours à la BNDES pour financer des projets que le secteur privé considère comme trop risqués dépendra de la qualité des emprunts. L’Etat brésilien ne dispose pas du même matelas que la Chine lorsqu’il s’agit de recapitaliser des banques d’Etat. La BNDES pourra certainement encore augmenter ses prêts au cours des prochaines années sans éveiller les craintes des investisseurs quant à la qualité de ces prêts et la qualité de son bilan. Après tout, la BNDES est une banque rentable. Mais, au fil du temps, nous pensons que les investisseurs vont de plus en plus s’interroger sur la viabilité de cette stratégie, l’intervention croissante de l’Etat dans l’économie, l’éviction des banques privées par la BNDES et les coûts budgétaires (cachés) de cette rapide expansion de la BNDES.
A l’instar des investisseurs, nous pensons qu’il est encore trop tôt pour s’inquiéter de ce passage à une politique de croissance plus agressive. Au cours des prochaines années, cela permettra de maintenir une croissance des investissements à deux chiffres et d’enregistrer une croissance du PIB supérieure à 5,5%. Nous partageons également l’avis du gouvernement lorsque celui-ci déclare que le ratio d’investissement du Brésil de 19 % est nettement trop faible et qu’il y a un besoin urgent de nouveaux investissements en infrastructure afin d’augmenter le taux de croissance potentiel du pays. Et comme l’ensemble du monde émergent commence à suivre le modèle de croissance chinois, il était devenu politiquement intenable pour le gouvernement brésilien de poursuivre sur la voie de l’orthodoxie.
Le gouvernement Lula a répété à plusieurs reprises son objectif d’atteindre un ratio d’investissement de 24 % d’ici à 2015. Cela permettrait de faire grimper la croissance potentielle à environ 5,5 %, mais cela impliquerait aussi une forte croissance des importations et un creusement du déficit courant au cours des prochaines années. Avec un déficit avoisinant actuellement 2 % du PIB et en rapide augmentation, on peut estimer que celui-ci aura atteint 5 %, voire 6 %, au moment où le Brésil sera parvenu à faire grimper son ratio d’investissement à 24 % du PIB.
Il est tout à fait logique que le Brésil revoie ses ambitions à la hausse et veuille renforcer son assise financière. Mais cela aura un prix. Laissons provisoirement de côté les craintes à plus long terme concernant l’intervention croissante de l’Etat dans l’économie et la diminution de la transparence budgétaire. Mais, au cours des prochaines années, les investisseurs seront confrontés au risque d’un rapide accroissement du déficit courant. Nous sommes persuadés que le Brésil parviendra à trouver des financements externes étant donné l’environnement mondial actuel marqué par d’importants flux de capitaux en direction des marchés émergents. Mais, dans un même temps, le pays devient plus vulnérable lorsque ses besoins de financement externe augmentent. C’est pourquoi nous pensons que le taux de change va devenir plus volatil, que le risque pays du Brésil ne va probablement pas diminuer et que le marché des actions brésilien dépendra essentiellement de l’évolution de l’appétit au risque au niveau mondial.
En d’autres termes, nous tenterons de trouver les moyens de profiter de la forte croissance économique tirée par la demande intérieure au Brésil uniquement lorsque nous serons rassurés à propos de l’appétit au risque des investisseurs et des marchés d’actions en général. Contrairement à ce que nous espérions auparavant, nous ne pensons plus que le Brésil fera partie des grands marchés d’actions émergents à être principalement dopés par une dynamique interne (Chine, Inde, Indonésie et Egypte) dans les prochaines années. La dépendance du Brésil aux capitaux étrangers restera trop élevée pour espérer une diminution de sa vulnérabilité aux facteurs de risque extérieurs.
Conclusion
Nous sommes revenus du Brésil confortés dans notre conviction que la croissance de la demande intérieure allait demeurer solide au cours des prochaines années. La politique de croissance qui a marqué les dernières années du mandat de Lula va très probablement être maintenue après l’élection de Dilma. Malgré des inquiétudes à plus long terme concernant la diminution de la transparence budgétaire et l’intervention croissante de l’Etat dans l’économie, nous avons l’intention de renforcer notre exposition à la croissance de la demande intérieure brésilienne. Nous sommes persuadés que le Brésil nous réservera de bonnes surprises en termes de croissance au cours des prochaines années.