par Benjamin Melman, Global Chief Investment Officer, Asset Management chez Edmond de Rothschild AM
Alors que la politique de vaccination semble garder l’épidémie sous contrôle en dépit de la multiplication des variants, la vigueur de la reprise se matérialise, à l’exception de nombreux pays asiatiques où le taux de vaccination reste très insuffisant. Par ailleurs, les résultats du premier trimestre aux États-Unis comme en Europe dépassent largement les attentes dans l’ensemble, ne laissant aucun doute quant à la confirmation d’un rebond de l’économie et la bonne visibilité en termes de demande pour les chefs d’entreprise.
Le mois dernier, nous avions décidé de mettre un terme à la surpondération des actifs risqués initiée le jour de l’annonce de Pfizer sur le vaccin (le 9 novembre 2020), par crainte de la montée trop rapide des anticipations d’inflation. Nous continuons de penser que nous rentrons dans un nouveau régime de marché bien moins favorable, sans être pour autant défavorable, et certainement plus volatil.
D’un côté, dans ce contexte de très forte reprise, les anticipations de croissance des bénéfices des entreprises nous semblent relativement conservatives et peuvent continuer d’être révisées à la hausse. En effet, c’est historiquement en sortie de récession que la hausse des bénéfices est sous-estimée probable- ment par mauvaise prise en compte du levier opérationnel dans un cadre de croissance forte. Dans les autres phases du cycle, les anticipations de bénéfices sont généralement surestimées. Cela étant, ne misons pas trop sur les chances d’être positivement surpris par les bénéfices. Les pénuries, notamment de composants électroniques, et la flambée des coûts de production peuvent en effet faire flancher les marges des entreprises le temps du bon rétablissement de la supply chain.
De l’autre côté, tous les ingrédients sont réunis pour que le marché s’inquiète davantage de l’inflation au cours de ces prochaines semaines, étant donné que les « points morts » des obligations indexées sur l’inflation américaine à 10 ans ont même atteint 2,56%, rejoignant les plus hauts historiques. Plusieurs raisons expliquent cette tendance :
Avec la réouverture des économies et les pénuries, les statistiques d’infla- tion peuvent devenir erratiques, comme on a pu le voir pour la publication des prix aux États-Unis en avril. Même si cette inflation pourrait être qualifiée de transitoire, il est possible que les investisseurs, inquiétés par ces craintes de redémarrage de l’inflation, n’aient pas ce niveau de granularité.
L’Administration Biden cherche à faire passer un nou- veau plan de relance de grande ampleur, concernant les infrastructures, repoussant ainsi les limites de la stimulation fiscale bien au-delà de tous les précédents historiques.
La Réserve Fédérale ne modifie en rien sa politique ultra-accommodante alors que les anticipations d’inflation se trouvent à des niveaux rarement atteints au cours de ces deux dernières décennies. Cela étant, au sein du compte-rendu du dernier comité de politique monétaire, en faisant état d’un débat sur le timing de l’annonce du tapering, la Réserve Fédérale procède à la « préannonce de la préannonce » : elle invite les investisseurs à se préparer à l’annonce du tapering, qui devrait débuter en 2022.
Autrement dit, au fur et à mesure que le débat sur le resser- rement monétaire de la Réserve Fédérale se précisera, les craintes d’inflation (sauf dérapage imprévu) plafonneront sans que cela soit positif pour les investisseurs. En effet, la liquidité a été déterminante sur les marchés depuis 2018 et la perspective du tapering rappelle que nous quittons un environnement qui aura été unique pour les marchés. À ces niveaux de valorisation, l’heure est à une prise de risque plus mesurée.
À ce titre, nous réduisons le poids des obligations convertibles dans nos allocations et diminuons légè- rement la sous-sensibilité en augmentant le poids des obligations gouvernementales de nos portefeuilles tout en demeurant sous-exposés à ce risque. Enfin, notre surpondération sur les actions chinoises prend un sens nouveau dans cette bascule d’univers. En effet, le marché chinois a sous-performé parce que les autorités n’ont que peu utilisé l’arme de la relance, surtout en comparaison avec les pays occidentaux. Elles ont même poursuivi l’assainissement du marché du crédit pendant la crise. À l’heure où la communauté des investisseurs se focalisera sur le timing du tapering dans les grands pays, la Chine fera figure de grande exception.