par Jean-Charles Sambor, stratégiste chez Amundi Asset Management
Deux sujets importants relatifs à la Chine sont souvent mal analysés : les achats de bons du Trésor américain et la valeur du yuan (RMB). Les flux d’achat/vente de bons du Trésor américain ont récemment suscité l’émoi des médias, certains considérant que la Chine serait prête à interrompre ses achats de titres souverains américains. Dit autrement, la diversification des investissements de Pékin mettrait en danger le financement du déficit budgétaire américain. Selon nous, la Chine cherche plutôt à diversifier ses canaux d’achat que les actifs eux-mêmes. Elle renforce notamment ses achats indirects via des courtiers (lesquels ne sont pas comptabilisés comme « achats chinois » dans les statistiques).
Par ailleurs, la récente déclaration du Premier ministre chinois Wen Jiabao, jugeant que le RMB n’était pas surévalué a relancé le débat sur la valeur de la devise. Les autorités américaines ont alors redemandé une appréciation du RMB, menaçant d’accuser la Chine de manipuler sa devise. La question des devises, et son impact sur le commerce, est l’un des trois principaux volets géopolitiques, les deux autres étant Taiwan et les droits de l’Homme au Tibet. Toutefois, il ne faudrait pas prendre les déclarations des deux parties au pied de la lettre : les Etats-Unis ont peu d’intérêt à court terme à stigmatiser la Chine comme « manipulatrice de devise », alors même que l’Empire du Milieu envisage de faire évoluer son régime de change.
Des mots et des faits
De nombreux analystes estiment que la probabilité d’une appréciation du RMB a diminué depuis les propos du Premier ministre. Selon nous, c’est l’inverse qui est vrai. D’une part, Wen Jiabao ne veut pas donner l’impression qu’il se plie aux pressions extérieures sur un sujet de souveraineté nationale. Qui plus est, les autorités chinoises ont également tout intérêt à faire baisser les anticipations de réévaluation du RMB, lesquelles pourraient finir par déclencher de nouveaux flux spéculatifs et rendre le pilotage de la politique monétaire plus complexe.
Comme souvent, il faut savoir lire entre les lignes. Jusqu’à présent, la Chine a surtout cherché à « améliorer les mécanismes de formation du taux de change du renminbi ». Ce qui diffère peu des récentes déclarations de Wen Jiabao : « il faut continuer à accélérer la réforme des mécanismes de formation du taux de change du renminbi ». De fait, l’exemple de la réévaluation de 2005 a montré que la fréquence accrue des commentaires sur la politique monétaire chinoise est davantage synonyme d’une volonté de modifier les anticipations du marché que d’une indication sur la trajectoire future du taux de change.
Anticiper une réévaluation du RMB
Suite au discours de Wen Jiabao, nous pensons que la probabilité d’une intervention chinoise est plus élevée : (voire avant). Rien ne permet de dire que cela sera fait via une réévaluation ou une appréciation progressive. Selon nous, les deux options sont encore possibles.
- Le pourcentage initial sera probablement modeste (hausse de 3% par rapport au dollar US). Puisque nous anticipons une appréciation modérée, les marchés pourraient continuer à miser sur une poursuite de l’appréciation après cette première intervention.
- Ce scénario entraînera de nouvelles anticipations d’appréciation via des flux spéculatifs. Et ce malgré les nombreuses déclarations des autorités qui estiment que leur devise n’est pas surévaluée et que les marchés ne devraient pas s’attendre à une poursuite du mouvement d’appréciation.
Le discours de Wen Jiabao n’a eu jusqu’ici qu’un impact limité sur les anticipations, avec une très légère orientation baissière des contrats à terme non-livrables chinois (NTF). Pourtant, nous pensons que les chinois ne seront pas capables de convaincre les opérateurs qu’aucun changement n’aura lieu à court terme.
Par conséquent, le taux de change du RMB restera au centre des attentions et les investisseurs devraient se positionner en anticipation d’une appréciation progressive. Au delà des contrats à terme non-livrables sur le RMB, marchés très prisés par les opérateurs et qui ont déjà intégré l’intervention chinoise à des échéances rapprochées, une appréciation graduelle du RMB bénéficierait à d’autres devises et contrats à terme non-livrables. Des opportunités encore plus intéressantes pourraient apparaître via d’autres devises que le RMB. Comme bien souvent, exploiter le potentiel de la Chine ne signifie pas y investir directement. Certaines tendances sont parfois plus facilement exploitables loin des frontières chinoises.
Après la réévaluation du 21 juillet 2005, le won coréen avait enregistré la plus forte hausse à court terme. Marché des changes le plus liquide de la région, il était aussi le plus susceptible d’être influencé par les flux financiers massifs qui avaient suivi l’annonce. Beaucoup de bruits – non liés à la Chine – courent actuellement sur le marché des changes coréen, faisant ainsi du won un substitut indirect. Mais nous privilégions plutôt des devises moins prisées comme le ringgit malaisien et le dollar taïwanais. Même si l’augmentation des anticipations de durcissement des politiques monétaires va entraîner dans les prochaines semaines une volatilité accrue des taux de change au comptant, le dollar taïwanais devrait bénéficier de la hausse du RMB et de l’accélération des flux de capitaux et commerciaux.
Nous pensons par ailleurs que le ringgit malaisien va continuer à refléter l’évolution des politiques chinoises.