Emprunt : quel intérêt ?

L’annonce par le président de la République, Nicolas Sarkozy, du lancement prochain d’un emprunt national pour “préparer l

L’annonce par le président de la République, Nicolas Sarkozy, du lancement prochain d’un emprunt national pour “préparer l’avenir” continue de susciter des questions. Tout le monde a compris qu’il s’agissait avant tout d’une opération politique. Le Premier ministre, François Fillon, a souligné qu’il s’agissait “d'associer la nation” à l’effort demandé pour sortir de la crise économique. Dans ce contexte, le coût passe au second plan. Or, le coût sera élevé pour les finances publiques.

Il suffit de regarder ce que font les entreprises. Après avoir sollicité les banques et les marchés financiers ces derniers mois pour financer son développement, en particulier à l’international, EDF a lancé récemment un emprunt auprès des particuliers. D’un montant initial d’un milliard d’euros, l’opération connaît un succès exceptionnel puisqu’en dix jours elle représentait déjà plus de 2,2 milliards. Il faut dire que le taux servi aux souscripteurs est de 4,5% alors que le Livret A par exemple est à 1,75% en attendant une prochaine baisse à 1%. Pour plusieurs spécialistes des marchés financiers, EDF est aussi gagnant : l’entreprise, détenue à 85% par l’Etat, réussit ainsi une belle opération de communication auprès des Français et certains analystes estiment que son coût de financement est légèrement abaissé. Pas étonnant que d’autres entreprises aient la volonté de suivre cet exemple. Mais tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne. Pour séduire les particuliers, l’entreprise doit avoir une bonne image générale, être solide financièrement et avoir démontré sa capacité à dégager régulièrement des bénéfices.

Ce qui nous conduit à l’emprunt d’Etat. Le gouvernement du Premier ministre RPR Edouard Balladur, auquel appartenait Nicolas Sarkozy (alors ministre du Budget), avait lancé, en 1993, un emprunt de 40 milliards de francs (6 milliards d’euros) en proposant un coupon de 6%. L’objectif officiel était de mettre en place une sorte de crédit-relais en attendant les recettes de privatisation d’entreprises publiques. Mais les opposants y voyaient aussi une opération politique de la part du chef du gouvernement, qui apparaissait dès son entrée en fonction comme un candidat probable à l’élection présidentielle prévue en 1995. Les critiques rapprochaient le montant du coupon du taux d’inflation, qui était à 2,1% en 1993 et qui était appelé à décroître du fait de la politique de désinflation engagée depuis la fin des années 1980 pour permettre la constitution de l’Union économique et monétaire en Europe. De fait, le taux d’inflation était descendu à 1,7% en 1994 comme en 1995 avant de monter à 2% en 1996 puis de redescendre à 1,2% en 1997. Autant dire que les souscripteurs avaient réalisé une bonne affaire. Pour l’Etat, c’est autre chose.

L’emprunt Balladur pouvait prétendre à une nécessité puisque les épargnants pouvaient l’utiliser pour acheter des actions de sociétés privatisées. La question est de savoir à quoi servirait aujourd’hui un emprunt national, sachant que l’Etat français, qui dispose de la note la plus élevée (AAA) auprès des agences de notation, n’a aucun mal à convaincre les investisseurs étrangers à lui prêter de l’argent. Signe de cette confiance, la France, via l’agence France Trésor, emprunte actuellement à cinq ans à un taux de 2,8%, comme vient de le rappeler Philippe Marini, rapporteur général de la Commission des finances du Sénat. Dans ces conditions, quel taux offrir aux particuliers ? En bonne logique économique, le taux doit être inférieur au taux obtenu sur les marchés financiers d’autant que l’inflation est négative. Mais est-ce possible politiquement ? A priori, non. Pour assurer la réussite de l’opération, le gouvernement devra proposer un taux attractif.

Sera-ce suffisant pour séduire les souscripteurs ? Rien n’est moins sûr. Les sondages montrent que plus de 80% des Français n’ont pas l’intention de souscrire à cet emprunt national. On peut comprendre cette réticence. Quand une grande entreprise emprunte, on sait qu’elle fera tous les efforts nécessaires pour améliorer ses résultats financiers afin de pouvoir rembourser ses créanciers. 

Quand il s’agit de l’Etat, la situation n’est pas du tout la même. Depuis une trentaine d’années, la France n’a jamais été en mesure de présenter un budget excédentaire. Tous les gouvernements ont laissé filé la dette. Celle-ci devrait atteindre 77% du Produit intérieur brut (PIB) en 2009 contre 68% en 2008. Certains experts pensent même qu’elle pourrait dépasser 100% au cours de la prochaine décennie. Contrairement à la majorité des dirigeants politiques, les Français ont intégré cet élément. Ils savent que l’accroissement de la dette pèsera sur leurs enfants et petits-enfants, dont le niveau de vie sera dégradé. Ils pensent donc que le nouvel emprunt ne pourra être remboursé que par une augmentation des impôts en dépit des dénégations du président de la République et du gouvernement. Cette méfiance peut être considérée comme une bonne nouvelle car elle signifie que les Français sont conscients des difficultés du pays et seraient peut-être prêts à accepter plus facilement des mesures d’économies.