Le débat passionne les journalistes : la presse écrite a-t-elle encore un avenir ?
Le débat passionne les journalistes : la presse écrite a-t-elle encore un avenir ? La réponse est évidente : oui mais pas celui auquel s’accrochent les éditeurs de journaux. Il est évident qu’à échéance prévisible les magazines, qui se spécialisent de plus en plus sur des segments très précis, continueront à trouver des lecteurs. En revanche, la plupart des quotidiens vont disparaître sous leur forme actuelle. Sur une période de six mois arrêtée à fin mars, la diffusion des 395 premiers quotidiens américains a reculé de 7,1%, selon les chiffres de l’Audit Bureau of Circulations. Il s’agit de la baisse la plus importante à ce jour. Et ce n’est pas fini. Pour une raison simple : l’évolution technologique. Bien souvent, les responsables des quotidiens se contentent encore de relater ce qui s’est passé la veille sans avoir conscience que leur lectorat a déjà eu les informations factuelles par l’Internet (les sites traditionneles mais aussi Twitter et réseaux sociaux de type Facebook ou MySpace) et par les autres médias de l’immédiateté comme la radio ou les chaînes de télévision d’information continue. Quel intérêt d’acheter un quotidien si c’est pour apprendre ce que l’on sait déjà ?
Pour s’en sortir, les journaux devraient s’inspirer du quotidien américain The Wall Street Journal, qui, il y a déjà une quinzaine d’années, a compris qu’il fallait proposer aux lecteurs des informations non institutionnelles (c’est-à-dire non issues de conférences de presse, de communiqués, de déclarations des responsables politiques, syndicaux ou industriels et financiers). Le journal a même fixé une règle : environ 70% d’informations non institutionnelles chaque jour dans ses colonnes. Un sacré défi qui nécessite de mobiliser des reporters chargés de chercher des sujets originaux en permanence. Contrairement à ce que prétendent certains éditeurs de presse, en particulier en France, une telle stratégie ne nécessite pas beaucoup d’argent car un bon journaliste peut tomber sur de belles histoires à raconter en bas de chez lui. Il n’a pas besoin nécessairement d’aller en Irak ou en Afghanistan pour trouver des sujets. Le principal obstacle est plutôt une certaine paresse intellectuelle.
Conséquence de cette frilosité, les quotidiens perdent des lecteurs chaque jour. L’amélioration de l’offre devrait donc être une priorité. Mais elle n’est pas suffisante pour bénéficier du développement de l’Internet. Les éditeurs de presse n’ont pas encore compris que ce réseau mondial changeait radicalement la façon de fonctionner dans les industries culturelles, dont les médias font partie au même titre que la musique et le cinéma. Ces contenus peuvent être numérisés facilement. De même qu’on n’a plus à acheter des disques aujourd’hui pour écouter de la musique que l’on peut télécharger sur des lecteurs numériques, on n’aura plus besoin demain d’aller à son kiosque pour acheter un quotidien. Le quotidien de demain sera lu sur des écrans (ordinateurs, télévision, téléphone mobile). Mais ce ne sera plus vraiment un quotidien. C’est ce que les éditeurs de presse n’ont pas encore compris. Ils se contentent de diffuser leurs contenus sur le Web en espérant pour la plupart que les annonceurs viendront acheter des bannières en fonction de l’audience de leur site et pour quelques uns que les internautes accepteront de payer un abonnement mensuel.
L’approche purement publicitaire a fait long feu. En cas de crise économique, les annonceurs réduisent leurs investissements sur tous les supports, y compris l’Internet, si on ne leur propose pas des solutions innovantes. Prenons le cas du New York Times. Le groupe, qui possède le quotidien du même nom ainsi que le Boston Globe et d’autres activités dans les médias, a subi une perte opérationnelle de 61,6 millions de dollars au premier trimestre contre un profit de 6,2 millions un an plus tôt. Le chiffre d’affaires a chuté de 18,6% à 609 millions, du fait d’une baisse de 27% des recettes publicitaires. Les revenus de la diffusion ont affiché un gain de 1% grâce à une hausse de 25% du prix qui a été effacée par une baisse des ventes de 24%.
On pourrait dire que le groupe New York Times peut compenser par sa présence sur l’Internet. L’ensemble de ses sites totalisent 52,3 millions de visiteurs uniques en mars contre 50,4 millions en mars 2008, selon les données de Nielsen. Le site du quotidien, premier de cette catégorie aux Etats-Unis, a réuni 20,1 millions de visiteurs uniques contre 18,9 millions un an plus tôt. Notons que la hausse avait atteint 30% en mars 2008. Il y a donc un net ralentissement mais la croissance est toujours là. Pour autant, les revenus Internet du groupe ont reculé de 5,6% à 78,2 millions de dollars, les recettes publicitaires baissant de 6,1% à 67,6 millions. Et si l’Internet représente désormais 12,8% du chiffre d’affaires total contre 11,1% au premier trimestre 2008 c’est parce que les autres activités ont chuté lourdement. Qu’en conclure ? Les quotidiens ne peuvent plus compter sur la seule publicité en ligne. Pas étonnant que Rupert Murdoch, dont le groupe News Corp est le premier éditeur de journaux dans le monde, prône désormais pour le paiement des contenus en ligne. Quand il a acquis le Wall Street Journal, l’an dernier, il voulait rendre libre l’accès à tous les contenus. Son objectif alors était de concurrencer frontalement le New York Times qu’il accuse de véhiculer une vision gauchiste aux Etats-Unis. Mais le magnat australo-américain a vite fait machine arrière : le Wall Street Journal compte environ un million d’abonnés payant 39 dollars par an, soit 39 millions de dollars de recettes que la seule publicité ne pourrait pas compenser. Il veut donc aujourd’hui rendre payants, du moins partiellement, les sites de ses autres quotidiens comme The Times et The Sun à Londres ou The New York Post.
Mais la question du paiement n’est pas simple. Le Wall Street Journal parvient à engranger des abonnés parce qu’il leur offre un contenu pointu, en l’occurence des informations sur la vie économique et financière. Il faut toutefois souligner que même dans ce cas les abonnements ne suffisent pas à faire vivre un quotidien ayant plusieurs dizaines de journalistes avec des bureaux dans les principaux pays.
La situation est encore plus compliquée pour les quotidiens généralistes comme le New York Times aux Etats-Unis, le Daily Telegraph au Royaume-Uni ou Le Monde en France. Il n’est pas évident d’attirer des centaines de milliers d’abonnés avec des articles sur la politique et la culture. Et même si les internautes s’abonnaient en masse à ces sites devenus payants, cela ne suffirait pas pour résoudre l’équation.
Les grands quotidiens généralistes n’ont en fait qu’une seule solution pour s’en sortir : utiliser leur notoriété pour développer de nouvelles activités commerciales. Ainsi, il est totalement aberrant qu’aucun quotidien américain n’ait été en mesure de lancer un site de petites annonces en laissant la place à Craigslist, qui a réussi à atteindre 15 millions de visiteurs uniques par mois dès 2007. Soit autant que le site du New York Times. Or, les petites annonces constituaient une manne pour les quotidiens américains, représentant environ un tiers de leurs recettes.
De même, les grands quotidiens peuvent utiliser leur positionnement unique et leur audience pour devenir un “tiers de confiance” entre le grand public et les fournisseurs de services. Ainsi, un quotidien peut créer des comparateurs de prix dans toutes sortes de domaines (voyages, services financiers). Ce n’est pas du journalisme mais ce n’est pas non plus du commerce. C’est un service d’information qui n’engage pas la responsabilité du média. Enfin, les quotidiens peuvent développer leurs sites afin de vendre des contenus comme la musique, le cinéma ou les logiciels.
Evidemment, les tenants du journalisme pur et dur ne seront pas d’accord avec cette vision de l’évolution du secteur. Mais, faute de développer à moindres frais des activités permettant de financer une rédaction, les quotidiens disparaîtront un à un et quelques uns seront repris par des groupes industriels qui n’ont que faire de l’information.