par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas
• L’explosion de la volatilité sur les marchés actions aux États-Unis, avec ses effets de contagion, n’est qu’une réaction différée à la remontée assez significative des rendements obligataires depuis la deuxième quinzaine d’août
• Les anticipations implicites d’inflation sur les marchés n’ayant guère évolué, la hausse des taux longs reflète celle des rendements réels, elle- même liée aux chiffres relatifs à une forte croissance
• La relation entre les variations hebdomadaires des rendements et la performance du marché actions est historiquement faible
• Il convient donc de se concentrer sur les facteurs déterminants de l’appétit des investisseurs pour le risque et, en particulier, sur les signes de ralentissement de la croissance
Les études montrent que la composante « surprise » des données économiques, soit l’écart par rapport aux prévisions du consensus, est intégrée dans les prix des actifs financiers en l’espace de quelques minutes. Cependant, les données nouvelles ont aussi une importance qui va bien au-delà de ce court laps de temps en permettant aux investisseurs d’affiner leur évaluation de l’environnement économique. Autrement dit, un changement significatif en cumulé peut finir par impacter le sentiment du marché même si la réaction à court terme aux statistiques publiées a été négligeable.
Une réaction différée de ce type a été constatée cette semaine. En effet, depuis la deuxième quinzaine d’août, les rendements des Treasuries à 10 ans ont augmenté de 32 pb. Ce qui correspond d’ailleurs à la hausse des rendements des TIPS (bons du Trésor protégés contre l’inflation) puisque les anticipations d’inflation implicites sur le marché n’ont pas varié. Compte tenu de la robustesse des données de ces dernières semaines, nous pouvons supposer que la hausse des rendements réels reflète un accroissement des anticipations de croissance réelle du PIB. Toutes choses égales par ailleurs, la remontée des rendements aurait dû s’accompagner d’une chute des cours des actions. Or le marché actions a progressé à la faveur d’une évaluation plus optimiste des perspectives de résultats et/ou d’une baisse de la prime de risque exigée. La déroute du marché cette semaine traduirait donc une chute soudaine de l’appétit des investisseurs pour le risque.
Parmi les raisons possibles on peut mentionner : la détérioration de l’attractivité du marché actions, devenu cher par rapport aux Treasuries, qui commencent à offrir des rendements corrigés de l’inflation de plus en plus intéressants ; les inquiétudes liées à la guerre commerciale (le dernier rapport du FMI sur les perspectives de l’économie mondiale est assez clair au sujet des risques que cela implique) ; la conviction de plus en plus forte que la Réserve fédérale va relever davantage ses taux qu’on ne le prévoyait récemment. Il pourrait également s’agir tout simplement d’une réaction différée à la remontée des taux longs. Au vu de ce qui s’est passé au cours des deux dernières semaines (bond des rendements obligataires, repli du marché actions), il est tentant d’établir un lien étroit entre les rendements obligataires et le marché des actions pour évaluer l’évolution future (…) La chute notable des rendements reflète un environnement de croissance faible et les actions sont à la peine. Pour ce qui est des autres sous-échantillons, une telle relation est inexistante. De plus, dans ces autres sous-échantillons, le marché actions affiche des rendements hebdomadaires positifs dans un peu plus de 60 % des observations, ce qui montre que, sur le long terme, le S&P500 a tendance à augmenter. Bien sûr, cela signifie aussi que dans 40 % des cas environ, les rendements hebdomadaires sont négatifs.
D’un point de vue statistique, cela n’est guère lié au comportement à court terme des rendements obligataires. Il convient donc d’analyser d’autres facteurs. L’un d’entre eux pourrait être un effet de seuil des rendements obligataires : si la variation cumulée est suffisamment importante, la confiance des investisseurs change, entraînant une chute de l’appétit pour le risque. Une telle baisse peut aussi évidemment être provoquée par des chocs exogènes, des fluctuations de l’incertitude et des doutes à propos de la croissance économique. Pour les mois à venir, ce dernier facteur est, peut-être de manière contre-intuitive au vu des inquiétudes récentes suscitées par une trop forte croissance américaine, celui sur lequel il faudra concentrer la plus grande attention. En effet, la confiance des ménages américains a progressé de concert avec le marché haussier des actions ; aussi, une correction durable pourrait-elle peser sur leur moral. Celui des chefs d’entreprises devrait d’ailleurs également en pâtir. Le reste du monde serait aussi impacté par le biais du commerce mondial, de la baisse des prix des matières premières, des corrélations boursières, etc.