par Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques de Crédit Agricole
La sortie de crise est la question que tout le monde se pose, pas seulement les banquiers mais aussi les entrepreneurs et les investisseurs ! Et comme cette crise est devenue globale par les secteurs qu’elle touche (finance, puis banque, puis économie réelle) et les pays qu’elle affecte (Etats-Unis, puis Europe, puis pays émergents), la réponse ne peut être ni limitée, ni isolée, ni surtout modérée.
Mais, pour y répondre, il ne faut pas oublier que nous vivons non pas les « excès de la finance », mais bien les effets d’un déséquilibre mondial épargne / investissement, ancien et croissant, entre Chine et Etats-Unis pour l’essentiel. Ce déséquilibre s’est creusé entre les grands pays sans trop inquiéter ces dernières années, à l’abri de « l’ample liquidité » (Greenspan, Trichet) qui irriguait le monde. Une liquidité qui venait précisément de ce déséquilibre.
C’est à partir de cet « équilibre du déséquilibre », qui passait par des taux bas, que la complexité de la finance s’est développée, pour chercher une rentabilité plus forte. Il s’agissait alors soit de produits « complexes » mais dont la complexité, alias l’illiquidité potentielle, n’était pas traduite en termes de risque, soit de produits clairement risqués, mais mal “pricés”. Dans les deux cas, le prix de risque n’était pas le bon.
Et ceci d’autant plus que tous les acteurs et tous les marchés n’étaient pas, ou pas bien, régulés et qu’une partie des règles censée le faire (mark to market pour la comptabilité et règles de Bâle pour les banques) se sont trouvées prises à contre-emploi parce que procycliques.
La révélation de l’illiquidité de certains produits, à partir d’août 2007, a ainsi conduit à la question des prix de leurs sous jacents puis, plus fondamentalement, aux conditions très spéciales de leur financement et de leur surveillance, lors de leur création et de leur distribution. La désintermédiation a brutalement laissé place à une réintermédiation forcée. Dès lors la contrainte de financement s’est partout tendue, en même temps que les prix des actifs baissaient. Ceci a fait apparaître assez vite non seulement l’importance et la qualité dégradée des dettes des pays développés, donc la fragilité de leur architecture financière, mais aussi le déséquilibre fondamental des balances de paiement dans le monde. Pour en sortir, il faudra emprunter plusieurs voies.
La nouvelle information
La première voie est celle de l’information aux marchés. Elle devra indiquer plus clairement les résultats en fonction des règles de valorisation retenues (mark to market et book value), mais plus encore comment s’établissent les ratios de la profession. Le ratio de solvabilité diffère en effet selon les pays (par exemple, par la prise en compte des dividendes ou des fonds de retraite) et en fonction du passage de Bâle 1 à Bâle 2. Il demande, à juste titre, relativement moins de fonds propres aux banques à forte dominante retail, car elles sont moins risquées, mais un floor limite cette baisse. Les comptes et ratios que regardent ainsi les marchés doivent être mieux comparables, autrement la confiance aura de la difficulté à pleinement revenir.
La nouvelle surveillance
La crise actuelle est aussi une bonne source de méditation pour les superviseurs bancaires. Le moins qu’on puisse dire est que les subprimes n’auraient jamais dû se développer, selon les règles mêmes des autorités américaines(1). La poursuite de la crise, en Angleterre et en Allemagne, a également montré que les banques centrales n’étaient pas pleinement informées de ce qui se passait dans les banques, des entités spécialisées étant chargées de leur surveillance. On comprend les raisons de ce choix : éviter que la ban- que centrale ne soit prise en contradiction entre sa fonction première, la stabilité des prix, ce qui peut conduire à faire monter les taux d’intérêt, et la surveillance bancaire, puisqu’une telle hausse pourrait fragiliser certaines banques (il y a là une question du nombre d’objectifs assignés à un seul et même outil, i.e. les taux). A l’expérience, le risque de conflit d’intérêt est moins grave que celui de lacune d’informations. Ceci conduira à étendre la responsabilité des banques centrales et à leur donner un panel d’outils adéquat.
En même temps, il est apparu que la complexité et la multinationalisation des groupes appelle à des solutions nouvelles (cas de la Suisse ?) : l’organisation des superviseurs du groupe financier en une entité claire, avec un leader en charge de collecter l’information et d’être en rapport direct avec une seule banque centrale.
La nouvelle réintermédiation
La troisième voie, la plus compliquée et la plus incertaine, est celle de la nouvelle réintermédia- tion, avec des banques qui vont devoir refinancer plus d’actifs, mais dans des conditions de prix, de covenants et de logique comptable différents.
D’abord, tous les acteurs vont évidemment devenir plus sensibles aux modalités du financement. L’asymétrie d’information, qui est la situation de base entre le demandeur et l’offreur de ressour- ces, va devenir plus tendue. Le demandeur va devoir donner plus d’informations et apporter plus de fonds propres, l’offreur va devoir suivre davantage la vie du crédit (ou être incité à le faire), donc titriser moins (ou autrement). La progression des volumes va ainsi se réduire, avec des spreads qui vont monter et se différencier.
L’environnement de la formation des prix des actifs financiers va changer, puisque les agences de rating devront mieux prendre en compte leur illiquidité potentielle, les banques centrales mieux suivre les opérations, sans compter les actionnaires et les différents stakeholders. Le monde d’après crise sera caractérisé par un prix du risque plus élevé, une meilleure discrimination entre les différents risques et une normalisation de la hiérarchie des rendements.
Il est assez clair aussi que les marchés financiers vont regarder avec plus d’attention la carte des risques bancaires, avec leur répartition sectorielle et par pays, mais plus encore leur granularité, faisant attention aux « gros risques ». Il est évident aussi qu’ils vont prêter une grande attention à la capacité de liquidité autonome des groupes bancaires, non pas le papier qu’ils peuvent escompter, mais les ressources cash qu’ils collectent ou peuvent collecter.
La nouvelle intervention publique
Enfin, si les Etats sont intervenus dans les secteurs bancaires, certains manifestant leurs limites (Islande), on voit que cette situation est temporaire. Sauf à ce que l’Etat intègre de nouveaux risques qui se manifesteront dans la montée des rendements publics et qui freineront la croissance. Le ralentissement économique en cours est suffisamment préoccupant pour que l’Etat entre, si nécessaire, dans le capital des banques mais prépare aussi, sa sortie, quand les régulations seront plus fortes et les groupes assainis.
Autrement un autre risque pourrait naître, celui d’une concurrence faussée de la part d’acteurs avec garantie publique et incités à prendre plus de risques. Nous entrons dans une phase de régulation et de surveillance renforcée, mais devonsle faire dans des conditions de concurrence et de comparabilité supérieures. Autrement, nous préparons la crise de demain. Tout en sachant que les déséquilibres mondiaux des balances de paiement, à l’origine de tout, ne pourront se résorber que dans la durée.
1.Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze, Christian de Boissie et Gunther Capelle-Blancard, ”La crise des subprimes”, rapport CAE n° 78, 2008, pages 45 et 46.