par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM
Malgré un grand nombre de chocs imprévus qui vont des catastrophes naturelles aux troubles politiques en passant par les difficultés liées à la dette souveraine, les marchés d’actions ont fait preuve d’une étonnante résistance.
La rapide inversion de la baisse des actions supérieure à 6 % qui était intervenue juste après le tsunami au Japon est le signe de la volonté des investisseurs d’exploiter les creux du marché comme autant d’opportunités d’achat, comme en attestent également l’abondance de liquidités qui sont encore sur la ligne de touche. Cette vision haussière devrait être modifiée par l’aspect volume. La faiblesse des volumes de transactions révèle en effet de faibles niveaux de conviction.
Les investisseurs font–ils simplement preuve d’une trop grande suffisance ou les marchés d’actions sont-ils suffisamment attrayants du point de vie des valorisations pour absorber ces chocs ? Est-ce que le phénomène mondial de « supernova » qui concerne les liquidités est-il plus puissant que tout le reste ?
L’intérêt des investisseurs semble, dorénavant, dépasser le simple cadre des risques à court terme. La principale conclusion à tirer de la réaction des marchés aux récents événements est pour l’heure la suivante : côté offre, les chocs sont perçus, pour la plupart d’entre eux, comme des événements temporaires et insuffisants pour enrayer la reprise. Les investisseurs sont bien plus préoccupés par les perspectives de relèvement des taux d’intérêt. Les marchés d’actions comptent encore sur la Fed pour fournir des liquidités bon marché et abondantes afin d‘alimenter la reprise.
Il s’agit d’une situation inhabituelle pour l’économie américaine, qui n’est pas sans rappeler celle du printemps dernier, avec dans le viseur des risques de baisse qui regagnent du terrain. Alors que les grands indicateurs étaient proches d’un processus normal et naturel de reprise, la conjugaison de la flambée des cours du pétrole, de la crise mondiale des denrées alimentaires et l’accélération des risques géopolitiques sont venus compliquer encore les perspectives macroéconomiques et de marché. Au mois de mars, les projecteurs ont été largement braqués sur les conséquences du séisme au Japon. L’évaluation du coût de ce séisme sur l’économie américaine et sur les économies mondiales sera sans aucune doute difficile. Le Japon n’en reste pas moins la troisième puissance économique mondiale.. Les catastrophes naturelles (qui s’apparentent à un « choc côté offre ») bouleversent le potentiel de production de l’économie.
Dans un tel cas, le principal choc économique ne réside pas tant dans la perte directe d’activité que dans les retombées en cascade en termes de dommages sur les secteurs de l’énergie et des transports et dans les interruptions qui pénalisent la chaîne d’approvisionnement. A ce stade, le consensus général table sur une hypothèse de baisse de 0,5 % environ pour l’ensemble de l’année par rapport à un scénario de référence de 1,5 %. Cet impact négatif pourrait être de courte durée car le rebond lié à la reconstruction devrait doper la croissance dès le second semestre 2011 et en 2012.
L’impact sur le PIB américain devrait être limité. Le Japon représente en effet moins de 5 % des exportations américaines et 6 % environ de ses importations.
Les Etats-Unis sont en concurrence avec le Japon sur des marchés tiers. Un fléchissement de la demande japonaise pourrait avoir un impact négatif sur les exportateurs américains, mais les industries américaines concurrentes du Japon pourraient, de leur côté, constater une hausse de la demande.
Le problème se situe davantage côté finances. En effet, le Japon est le deuxième détenteur extérieur de bons du Trésor américain. On pourrait assister à un mouvement naturel de pressions à la vente. La Banque du Japon doit, pour sa part, manœuvrer afin d‘éviter toute appréciation de la devise nippone.
Alors que les craintes inflationnistes se concentraient à la base autour des marchés émergents, l’envolée des cours du pétrole en fait finalement une préoccupation mondiale. On relève en effet une dégradation du couple production-inflation à travers le monde. C’est la raison pour laquelle à l’impasse marchés émergents-marchés développés vient se substituer une autre fracture entre économie cyclique et économie défensive. Les grands indicateurs ont entamé leur retournement. C’est notamment le cas aux Etats-Unis, où l’envolée des prix du pétrole commence à rogner la confiance des ménages.
Forts de leurs prévisions d’un pic de l’IPC chinois en juin imputable au ralentissement de la croissance et à la stabilisation des prix alimentaires, les intermédiaires de marché essaient de remettre le thème des marchés émergents à la mode. Si tel est le cas, une inflation moins élevée conduirait à un assouplissement des pressions qui s’exercent en Chine en faveur de nouvelles hausses des taux d’intérêt. Nous sommes convaincus qu’il est encore trop tôt pour affirmer qu’un resserrement de l’étau monétaire est à l’œuvre ; trop tôt, en fait, pour avancer si des mesures comme la hausse des taux d’intérêt à court terme, un resserrement quantitatif et un rationnement de la demande permettront à l’économie de renouer avec un niveau de croissance plus durable, sans basculer côté baisse. L’inflation globale continue toujours de broyer la croissance réelle.
Les événements survenus au Moyen-Orient sont tels que la prime de risque géopolitique sur le cours du pétrole ne va bientôt plus faire office de subvention. Le prochain record de hausse sur 15 ans que s’apprêtent à battre les importations de blé chinois ne servent qu’à exacerber les tensions déjà extrêmes sur les marchés de céréales à travers le monde.
Les marchés émergents ont stoppé leurs contre-performances en mars et continuent à rebondir à court terme ; mais tant que l’envolée des matières premières ne retombera pas, ce rebond technique sera annulé par la question de la stabilité. Nous avons besoin de preuves supplémentaires attestant d’un ralentissement de la croissance dans les pays émergents.
La question à présent tourne essentiellement autour du potentiel de convergence entre l’univers des marchés développés et celui des marchés émergents. La renaissance des marchés développés, déprimés, et peu enclins au crédit, repose sur les décisions des entreprises quant à leurs niveaux de dépenses et d’embauches. Bien qu’on assiste à un début de retournement des grands indicateurs, ce sont avant tout les décisions politiques qui génèrent le gros point d’inflexion pour les marchés d’actions. On peut donc nous pardonner notre interrogation sur ce que devrait être la prochaine décision politique : assouplissement quantitatif n°3 (QE3) ou hausse des taux à travers le monde ?
Lorsqu’on se tourne vers l’avenir, il est indéniable que le retrait des mesures de relance monétaire à travers le monde conjugué à la hausse des cours du pétrole fait peser un risque sur les perspectives économiques. En même temps, l’économie mondiale semble cependant avoir opté pour une solide voie expansionniste et il faudrait une nouvelle récession pour que les marchés d’actions repartent à la baisse.
Nous ne serons pas étonnés si les indices boursiers flirtent à nouveau avec les plus-hauts de février avant la prochaine phase de correction. Il nous faut davantage d’éclaircissements sur la stratégie de sortie de la Fed. Plus que jamais, le déficit insoutenable de la dette représente le principal risque systémique qui empêche toute expansion durable des multiples de valorisation. En conclusion, LE problème, c’est la stabilité, et non la croissance.
Morosité en vue
Les grands indicateurs sont solides et bien orientés même si la reprise adopte des rythmes différents.
Les grands indicateurs progressent aussi vite qu’ils peuvent. L’indice IFO établit un record de hausse et l’indice Chicago PMI a atteint son plus haut en 20 ans. Naturellement, la dérivée seconde devrait fléchir, mais cela pourrait être exacerbé par la hausse des cours du pétrole. L’envolée des pressions sur les coûts à travers le monde implique qu’un certain degré de ralentissement de la production mondiale est inévitable.
Accélération des hausses de taux à travers le monde
En a-t-on bientôt fini avec l’argent facile ? Le nombre de hausses de taux à travers le monde ces trois derniers mois s’élève à plus de 30, soit le chiffre le plus important depuis septembre 2008.
La longue période caractérisée par la souplesse des politiques monétaires à travers le monde qui avait démarré avec la faillite de Lehman touche à sa fin, mais de manière bien moins ordonnée et synchronisée qu’elle n’avait démarré. Les banques centrales multiplient également les messages en durcissant le ton, la BCE ayant pris la tête de ce mouvement. Le début d’un cycle de hausse des taux est souvent source de désorganisation pour les actifs à risque car les investisseurs ajustent leurs prévisions. En sera-t-il autrement cette fois ? Le comportement de la Fed en juin dernier demeure toujours une source d’incertitudes, d’aucuns étant dans l’attente d’un troisième assouplissement monétaire quantitatif (QE3) tandis que d’autres misent plutôt sur une hausse des taux à fin 2011.
Le paysage n’est pas complètement noir pour les marchés d’actions, pour lesquels seule une conjonction entre ralentissement de la croissance et hausse des taux d’intérêt serait négative.
Les perspectives en termes de politique monétaire à travers la planète sont devenues de plus en plus incertaines. Ces dernières décennies, un consensus a émergé au sein de la communauté des banques centrales, à savoir que celles-ci devaient être transparentes et imperméables aux influences politiques. Flux de capitaux et taux de change devaient être flexibles et les banques centrales devaient se concentrer sur la seule maîtrise de l’inflation.
Mais ce modèle n’a pas été adopté de façon généralisée. Toutefois, un modèle quasi exclusivement ciblé sur l’inflation a semblé prendre le dessus. Dans les économies des pays développés, la nouvelle orthodoxie consiste à dérouler de manière agressive le bilan si les baisses de taux se révèlent insuffisantes. Cela génère un certain nombre d’incertitudes, parmi lesquelles les conséquences involontaires du régime inflationniste. Comment le retrait des réserves bancaires va-t-il impacter les actions, les obligations et la situation sur les marchés financiers en général ?
Compte tenu de ces incertitudes, les banques centrales vont devoir faire preuve d’une très grande souplesse par rapport à leurs stratégies de sortie. Sur les marchés émergents, les banques centrales tentent un exercice d’équilibrage encore plus périlleux. La politique de super-assouplissement monétaire adoptée dans les pays occidentaux exerce des pressions considérables sur les marchés émergents. A présent, ceux-ci tentent soudainement d’épargner un choc à leurs exportations, d’éviter un afflux de capitaux spéculatifs et d’utiliser un méli-mélo associant différents outils pour infléchir leurs dépenses et échapper à l’inflation.
Le problème vient du fait que rien ne garantit l’efficacité de tous ces outils, que ces derniers faussent les marchés de capitaux et soulèvent des interrogations sur le sérieux des banques centrales à lutter contre l’inflation.
Le vrai problème, c’est la hausse durable des incertitudes, et pas simplement des incertitudes concernant la politique monétaire, mais aussi celles relatives aux prévisions des marchés en termes d’inflation et de croissance.
Une nouvelle convergence
La croissance des bénéfices a été stellaire jusqu’à présent, mais elle devrait ralentir et converger pour tendre vers le taux de croissance du PIB. Cela s’apparente à un scénario baissier pour les marchés d’actions.
L’expansion des marges s’achève lorsque la productivité ralentit et que les salaires se mettent à augmenter. A mesure que les entreprises ont un besoin croissant de réinvestir, la croissance des bénéfices doit ralentir de manière conséquente. Les entreprises ont effectivement réussi à faire baisser leurs efforts d’investissements ces dix dernières années.
La double nature des bénéfices
Les investisseurs sont confrontés à un rude dilemme. Même si les actifs de croissance sont à la hausse dans le monde, ils perdent de la visibilité ; la valeur sur le marché national est bon marché alors que la croissance des bénéfices est anémique. Il n’existe donc plus un seul cycle de bénéfices, mais deux, qui jusqu’à présent étaient quasi indépendants l’un de l’autre.
Le boom des bénéfices des secteurs/titres mondiaux semble parvenu à maturité, le thème ayant profité de l’expansion des multiples. Sachant que les principaux indicateurs de ce cycle n’ont pas atteint leur pic, la visibilité est réduite.
Il existe un écart de valorisation de près de 40 % entre ces deux sous-univers. Même si le potentiel de convergence des valorisations est énorme, les investisseurs rechignent à parier sur cette convergence étant donné que les perspectives bénéficiaires pour la valeur sur le marché national sont loin d’être convaincantes.