par Philippe d’Arvisenet, Chef économiste de BNP Paribas
Aux Etats-Unis, comme il était attendu(1), la croissance a rebondi au quatrième trimestre 2011, avec une hausse du PIB de 2,8% en rythme annualisé (après 1,8%), portant la croissance pour l’ensemble de l’année à 1,7% (3% en 2010). L’investissement en bâtiments non résidentiels a reculé de 7,2% (contre +14,4% au troisième trimestre), la dépense en équipements s’est repliée de 16,2% à 5,2%, la consommation publique a baissé de 7,3% (après +2,1%).
La progression des exportations est restée stable à 4,7% alors que la hausse des importations soutenue par la constitution des stocks bondit de 1,2 à 4,4%. La consommation a crû de 2% après 1,7%. Seul l’investissement résidentiel a connu un fort rebond (10,9% après 1,3%) à partir, il est vrai, d’un niveau très déprimé. Il n’est guère étonnant à la lumière de ces différentes composantes, de voir la demande finale n’augmenter que de 0,8%. En fait, la croissance a été largement soutenue par le comportement des stocks dont la contribution a atteint 1,8 point (après -1,2 et -0,3 point).
Les perspectives à court terme restent bien orientées. Ainsi l’indice des directeurs d’achat (ISM) pour le secteur manufacturier est monté à 54% avec une composante commandes particulièrement solide (57,6).
Les conditions du marché du travail ont connu une nouvelle amélioration en janvier, les créations d’emplois ont dépassé 200 000 pour le deuxième mois consécutif (243 000 après 203 000 en décembre). Toutes les composantes du secteur privé ont vu leurs effectifs augmenter (50 000 dans l’industrie, 21 000 dans la construction, 176 000 dans les services). Le taux de chômage est revenu de 8,5 à 8,3%, au plus bas depuis février 2009, en partie du fait d’une contraction du taux d’activité de 64% à 63,7%.
La dernière réunion du FOMC a débouché sur une accentuation du caractère très accommodant de la politique monétaire.
D’abord, la perspective de taux maintenus à leur niveau extrêmement bas a été repoussée de mi-2013 à la fin 2014 au plus tôt. Se fondant sur le ralentissement de l’investissement et des ventes au détail et des risques liés à la crise de la dette souveraine en Europe, le Comité a souligné la présence de risques baissiers pour la croissance. B. Bernanke a émis des doutes sur la solidité de la reprise, en précisant n’être pas convaincu que l’économie américaine soit entrée dans une phase de croissance plus forte. L’inflation est perçue comme devant rester en ligne, voire en deçà du rythme compatible avec le mandat de la Fed. Les commentaires de la Fed ne font plus mention de l’attention portée à l’évolution et aux anticipations de l’inflation. B. Bernanke a relevé que le gonflement du bilan de la Fed avait été dépourvu de conséquences pour la hausse des prix et mentionné la stabilisation des prix des matières premières, la sagesse des anticipations et la maîtrise des salaires et des coûts unitaires du travail. Le soutien de l’activité prédomine : «to support a strong recovery… the committee expects to maintain a highly accommodative stance of monetary policy ». La perspective d’un QE3 est ouverte, la Fed indiquant qu’elle est prête à ajuster ses actifs de façon appropriée pour promouvoir une reprise plus forte.
Le but n’est clairement pas de se limiter à contrer une modération de l’activité mais de faire en sorte que la croissance dépasse son rythme potentiel (rappelons les projections de la Fed : 2,5% en 2012, 3% en 2013 et 3,7% en 2014), seul moyen de ramener le taux de chômage à l’équilibre (entre 5,2 et 6% selon les estima- tions des membres du FOMC).
Autrement dit, il n’est pas besoin de signes de ralentissement sans même parler de récession pour que soit lancé un QE3, (l’aug- mentation de la taille du bilan de la Fed « certainly remains an option»), vraisemblablement sous forme d’achats de MBS, la question de la sortie est repoussée à 2015.
La première réunion du FOMC en 2012 a été marquée par une redistribution des cartes en faveur des « colombes » avec un seul faucon, Lacker de la Fed de Richmond contre trois auparavant: N. Kocherlakota (Minneapolis), C. Plosser (Philadelphie) et R. Fischer (Dallas). A C. Evans, se joignent trois autres colombes : D. Lockart (Atlanta), S. Pinalto (Cleveland) et J. Williams (San Francisco). Après la publication trimestrielle des projections économiques et la décision de tenir des conférences de presse à la suite des réunions du FOMC, un nouveau pas en avant a été franchi vers plus de transparence avec la publication des prévisions de taux des différents membres du Comité (la prévision médiane pour fin 2014 ressort à 0,75%, six membres envisagent une hausse avant 2014 et six après). Enfin, la Fed a annoncé un objectif quantifié pour l’inflation (2%).
La révision des prévisions du FMI pour 2012 a confirmé notre scénario central de tassement limité de l’activité dans la zone euro (-0,5% selon le FMI). La croissance serait toute symbolique en Allemagne et en France (respectivement 0,3% et 0,2%) et d’un net recul dans les pays touchés de plein fouet par la crise (-2,2% en Italie et -1,7% en Espagne). Après une contraction de l’ordre d’un demi-point attendue pour le dernier trimestre 2011 (+0,1% au troisième trimestre), les indicateurs économiques paraissent confirmer le caractère modeste de la récession avec, toutefois, de fortes disparités entre pays. Pour autant, la prudence s’impose et interdit de tirer des conclusions par trop définitives à partir de données observées sur un seul mois. L’indice mensuel des conditions économiques de la Commission européenne a progressé de 0,6 point en janvier à 93,4. L’amélioration est surtout sensible en Allemagne et reste limitée au secteur des services.
De même, le PMI composite pour l’activité est sorti en janvier de la zone de contraction. Après 47 en novembre, il s’est redressé à 48,3 en décembre puis à 50,4 en janvier. L’embellie est, sans surprise, plus marquée en Allemagne (54 après 51,3 et 49,9) et, dans une moindre mesure, en France (50,9 après 50 et 48,8) que dans les autres grands pays de la zone dont l’activité est affectée par les efforts destinés à résorber les déséquilibres (finances publiques et balances courantes).
Malgré l’embellie annoncée par les indicateurs, l’économie de la zone reste très fragile, les incertitudes liées à une crise qui perdure et aux tensions financières qui l’accompagnent affectent inévitablement la confiance et entretiennent l’attentisme en matière d’embauche et d’investissement. Dans ce contexte, le FMI a invité les autorités de la zone euro à renforcer le mécanisme permanent de stabilité au-delà de 500 milliards d’euros qui sera mis en place en milieu d’année et a appelé à considérer la mise en place des eurobonds, ce qui s’est heurté aux traditionnelles réticences allemandes. Il a, par ailleurs, invité à plus de coordination des politiques économiques, les pays les mieux positionnés en matière de comptes publics étant appelés à modérer leurs efforts de consolidation budgétaire.
L’inflation est revenue à 2,7% en décembre, elle dépassait 3% au cours des trois mois précédents. L’effet du recul de l’activité sur la formation des salaires et sur le « pricing power» conduit à anticiper un retour de la hausse du niveau général des prix vers les 2% d’ici à mi-2012. Le rythme de décélération serait plus rapide encore sans les effets des mesures de consolidation budgétaires qui passent dans plusieurs pays par des relèvements des impôts indirects (relèvement de la TVA en Italie, en France et au Portugal). Les tensions géopolitiques au Moyen-Orient constituent, bien sûr, un risque pour les prix de l’énergie.
En janvier, la BCE a laissé inchangé son taux refi à 1%. M. Draghi a rappelé que la Banque centrale ne saurait s’engager sur ses actions futures en matière de taux (« never precommits »). Compte tenu des perspectives de ralentissement de l’inflation, de la faiblesse de la création monétaire (la progression de M3 passait de 2,6% en glissement annuel en octobre à 1,6% en décembre), de la hausse du crédit (1,1% en glissement en décembre contre 1,5% en octobre) et du contexte conjoncturel (M. Draghi a souligné l’existence de risque baissier pour l’activité), une, voire éventuellement deux baisses, d’ici à mi-2012 ne peuvent être exclues.
La dernière enquête trimestrielle de la BCE auprès des établissements de crédit, menée entre le 19 décembre et le 9 janvier, a fait état à la fois de la poursuite du tassement de la demande de crédit, en partie liée au report d’investissements et d’un resserrement des conditions lié à la conjoncture, aux coûts de financement et aux ajustements de bilan. Le risque de « credit crunch » est traité par les injections de liquidité à long terme visant a contenir les tensions sur le financement des banques.
On sait que 489 milliards d’euros ont été servis le 21décembre lors de la première opération de refinancement à 3 ans. Une deuxième opération du même type sera effectuée en février. Cette opération a permis une nette détente sur le front des rendements à court terme sur les dettes souveraines. Le taux italien à 2 ans, qui avait atteint 7,8% en novembre, est revenu à 3,01% le 3 février. Son équivalent espagnol est passé de 6,2% à 2,57%, l’effet sur les échéances plus longues a été lui aussi sensible : baisse de 1,7 point à 5,66% sur le 10 ans italien et de 1,74 point à 4,98% pour le 10 ans espagnol. La mesure a stoppé la contagion et la corrélation du stress entre dette souveraine et dette bancaire. La mesure qui, par définition, porte sur la liquidité, ne peut empêcher le «deleveraging» des banques dont le ratio de capital (core tier one) doit être porté à 9% d’ici à juin, mais elle a été incontestablement stabilisante. Cette action forte a été la bienvenue dans un contexte où les tombées obligataires pour les banques approchent 650 milliards d’euros cette année. Elle a conduit à une détente sur le marché interbancaire et à un dégonflement des spreads de CDS du secteur. Si, comme dans le cas de la Fed et de la Banque d’Angleterre, elle aboutit à un gonflement du bilan de la Banque centrale, la LTRO à 3 ans constitue une sorte de « quantitative easing » bien particulière qui tranche avec le QE pratiqué dans les pays anglo-saxons. Il s’agit, en effet, de prêts à taux fixe de 1%, de durée prédéfinie (et non d’achats de titres souverains), sans limite quantitative, effectués sur une journée, contre collatéral (représentant des crédits et non des titres publics non risqués) dont le risque reste porté par les banques. Celui-ci n’affecte pas l’équilibre offre et demande sur le marché des titres du Trésor.
Même si le contexte se prête mal à l’achat de treasuries par les banques avec leur implication dans les restructurations de dette (PSI) et la comptabilisation des titres souverains en mark to market suite aux exigences de l’European Banking Authority, la LTRO permet de bénéficier d’un carry trade intéressant. D’une part, les ratios de liquidité court terme de Bâle III incitent à la détention d’actifs réputés liquides, tandis que le traitement du risque reste très favorable dans le ratio de solvabilité (pondérations du risque de 0% pour les ratings AA- et au-dessus et de 20% de A+ à A-, situation de l’Espagne et de l’Italie aujourd’hui). Si les stress tests de l’ABE ont été « menés » avec une comptabilisation des dettes souveraines en valeur de marché, ceux-ci ne devraient pas être reconduits en juillet prochain. Enfin, l’accord européen des 8-9 décembre a repoussé l’éventualité d’une nouvelle «implication» des créanciers privés sur le modèle adopté pour la Grèce. D’autre part, les banques locales de certains pays ont sans doute été invitées par les pouvoirs publics à s’engager dans ce « carry trade » que l’on désigne parfois comme le jeu de la « répression financière ».
L’euro a reculé de 13% contre dollar depuis mai dernier, l’effet est bienvenu pour le commerce extérieur mais sa portée est limitée. Les exportations de la zone euro vers les Etats-Unis (12% du total) et vers l’ensemble des pays dont la monnaie est liée au dollar sont limitées (moins de 30%). Par rapport au pic touché en 2011, la baisse du taux de change effectif réel de l’euro (TCER) est de 4%. On estime qu’une dépréciation de 1% du TCER entraîne une progression de 0,36 point des exportations hors zone euro. Compte tenu du poids de ces dernières dans le PIB et d’une très faible élasticité du volume des importations aux prix, on peut estimer à environ 0,3 point la hausse du PIB qui pourrait résulter de la dépréciation récente. Mais, parallèlement, l’augmentation des prix à l’importation qui en découlerait aurait un effet dépressif sur la demande interne qui viendrait effacer et, au-delà, l’effet bénéfique du soutien venu du commerce extérieur.
Peut-on venir à bout de la crise sur la seule base de l’ajustement budgétaire ?
– Revenir à des spreads raisonnables ; l’ajustement budgétaire suffit-il ?
Sans doute, si les spreads résultaient seulement des fondamentaux. Or, depuis 2008, les effets de panique ont porté les spreads à des niveaux bien supérieurs à ceux qui seraient justifiés par les seuls fondamentaux (essentiellement le taux d’endettement), ce qui justifie des mesures monétaires non conventionnelles destinées à les contenir à des niveaux raisonnables, ce qui ne remet nullement en question, bien sûr, la nécessité d’assainir les comptes publics. D. Haugh et al (2009) ont montré qu’au-delà des effets du ratio du service de la dette aux recettes fiscales et des déficits anticipés la dynamique des spreads dans la zone euro dépendait du degré d’aversion au risque (mesuré par le spread corporate high yield).
Dans le même sens, L. Schukenecht et al (2010) montrent que les marchés pénalisent les dérives des déficits et de dette d’une façon nettement plus marquée depuis fin 2008 qu’auparavant. La sensibilité des spreads aux écarts de déficit et de dette a respectivement augmenté de 3 à 4 points et de 7 à 8 fois, un phénomène qui s’ajoute à une tendance générale des spreads à la hausse en réponse à une aversion au risque accrue. P . de Grauwe et al (2012) signalent également que les spreads souverains sont loin de refléter correctement les fondamentaux (taux d’endettement). Ceux-ci ont été ignorés par les marchés jusqu’en 2008 dans une phase d’optimisme excessif, attestant que les marchés, contrairement à ce qu’avance la théorie de l’efficience, n’utilisaient pas toute l’information disponible !
Depuis lors, les spreads des pays les plus touchés par la crise s’établissent à des niveaux très supérieurs à ceux qui sont donnés par des modèles reposant sur les fondamentaux : leur hausse depuis 2008 va bien au-delà de ce que justifierait la progression des taux d’endettement, même en tenant compte d’effets non linéaires. Les déviations entre les spreads observés et les spreads théoriques (c’est-à-dire liés aux fondamentaux) sont corrélées dans le temps, ce qui est caractéristique des phénomènes de bulle. La même démarche pratiquée sur les pays de l’OCDE n’appartenant pas à la zone euro ne permet pas de mettre en évidence un effet significatif du taux d’endettement sur les spreads (en revanche, le taux de change a un effet significatif), le marché n’exerce pas, sur ces pays, un effet disciplinant sur les politiques budgétaires, le sentiment des marchés est différent pour les pays de la zone euro qui n’émettent pas leur dette dans leur propre monnaie. Les bulles sur les titres souverains n’ont pas les mêmes conséquences que les bulles boursières.
L’éclatement de ces dernières s’analyse comme une correction qui ramène les cours vers les fondamentaux. Les bulles sur les taux sont de nature à modifier les fondamentaux eux-mêmes, en affectant l’activité économique, donc les recettes budgétaires, et en pouvant transformer des crises de liquidité en crises de solvabilité.
Ces observations justifient que des mesures soient prises pour contenir les excès du marché dans un sens comme dans l’autre.
– L’ajustement budgétaire expansionniste : un concept de portée limitée
La trajectoire des ratios d’endettement doit être inversée. C’est nécessaire pour alléger le poids des intérêts via l’effet stock de dette et via l’amélioration des conditions de financement qui en résulterait. A terme, cela favoriserait l’investissement et la croissance potentielle. C’est tout le message de la constatation bien connue de C. Reinhart et K. Rogoff : historiquement les dettes dépassant un seuil de l’ordre de 90% du PIB s’accompagnent d’une chute des performances de croissance. Par ailleurs, dans un contexte de nervosité des marchés, renoncer à la consolidation aurait un effet plus négatif que celui qui résultera de l’ajustement.
La question de l’ampleur des effets des consolidations budgétaires sur l’activité est revenue au premier plan des débats de politique économique. Les conséquences des politiques budgétaires constituent l’un des thèmes les plus controversés, d’autant que les politiques mises en œuvre s’appuient au mieux sur des analyses fragiles et des estimations contradictoires (Leeper, 2010). Elles sont fréquemment le résultat de considérations politiques ou électorales qui reposent, elles aussi, sur de hypothèses discutables (A. Alesina et al 2010)(2). Des recherches récentes aboutissent à des estimations de multiplicateurs faibles, voire négatifs, pour les pays caractérisés par un fort ratio d’endettement.
Pour certains, les consolidations peuvent, sous certaines conditions, non seulement réussir, c’est-à-dire inscrire le ratio de dette sur une pente négative mais même déboucher sur l’expansion. Il y a près de vingt ans, dans des travaux qui ont fait référence, A. Alesina et R. Perotti (1995) se sont efforcés, sur la base de l’observation des épisodes de consolidation menées dans les pays de l’OCDE pendant trois décennies, d’isoler les caractéristiques des consolidations réussies (débouchant dans les trois ans sur un recul des taux d’endettement d’au moins 5 points de PIB). Ils concluent que des « bonnes » consolidations s’accompagnent rapidement de meilleures performances en termes d’activité et d’investissement, de compétitivité (coûts unitaires du travail) et d’emploi. Plus que l’ampleur même des mesures de consolidation, c’est leur contenu qui importe. Dans les expériences réussies, l’accent a été mis sur la maîtrise de la dépense courante (effectifs et rémunérations dans la sphère publique, dépenses de transfert et subventions) par opposition à la hausse des prélèvements, notamment ceux qui portent sur les facteurs de production. A. Alesina et S. Ardegna (2009) ont confirmé ces résultats, en étudiant les consolidations pratiquées dans les pays de l’OCDE de 1970 à 2007.
La possibilité de consolidations expansionnistes a été récemment remise en question, y compris par les auteurs sus-mentionnés. Citons, par exemple, R. Perotti (2011) : « The IMF criticism is correct in principle and represents an important potential advance ».
La méthode utilisée souffrait d’un biais fondamental conduisant à sous-estimer l’incidence négative des mesures de consolidation sur l’activité. De fait, l’intensité de la consolidation est mesurée par l’évolution du solde primaire ajusté du cycle. Or, celle-ci ne reflète pas uniquement les mesures discrétionnaires visant à l’assainissement des finances publiques.
Par exemple, lorsque des mesures restrictives sont prises en vue d’écarter le risque de surchauffe, lorsque des mesures de soutien sont prises au bout d’un certain temps pour limiter l’effet d’une consolidation ou lorsque le solde se trouve affecté par les prix d’actifs qui peuvent venir gonfler (ou déprimer) le solde via les recettes d’impôts sur les plus-values ou via les conséquences d’un effet de richesse sur la demande interne et, en conséquence, sur les recettes associées. Pour pallier cette difficulté, J. Guajardo, D. Leigh et A. Pescatori (2011), en isolant les mesures spécifiquement destinées à redresser les finances publiques, montrent que les consolidations sont, sauf rares exceptions, de nature à déprimer l’activité. Leurs estimations recoupent celles du FMI (2010) dans ses perspectives économiques publiées en octobre 2010.
Typiquement, un ajustement de 1 point de PIB débouche sur un recul de l’activité de 0,5 point, le repli serait plus marqué encore si la consolidation ne s’accompagnait pas d’une baisse des taux de politique monétaire (typiquement 0,2% à deux ans) et du change réel (1,6%) qui conduit à une contribution positive du commerce extérieur de 0,5 point. L’effet modérateur du commerce extérieur étant très différent selon le régime de change en vigueur. La perte d’activité, liée à la consolidation, est de 0,84 point en cas de taux de change fixe et de 0,33 en cas de taux de change flexible. Les effets différenciés selon le contenu des consolidations sont, en revanche, confirmés, les mesures d’économie sont récessionnistes mais moins que les hausses de prélèvements (0,43 point de PIB contre 1,29 point). Un effort portant sur la dépense, perçu comme politiquement plus sensible, témoigne d’un engagement plus crédible, dès lors que les autorités monétaires tendent à adopter une politique plus accommodante. En revanche, des prélèvements accrus, notamment s’ils se traduisent par une hausse des taxes indirectes, donc par un choc sur la hausse des prix, conduisent ces mêmes autorités à l’attentisme, voire à un relèvement des taux directeurs. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, qu’un point de consolidation axée sur la dépense se traduise, selon les estimations du FMI, par une baisse de la demande finale de 0,9 point dans le premier cas mais de 1,9 dans le second !
Au total, la possibilité d’une consolidation expansionniste est une vue de l’esprit. Cela plus encore si l’on tient compte du contexte actuel. Il est, en effet, difficile de compter sur un essor des exportations qui viendrait limiter l’effet de la consolidation lorsque tous les pays mènent de concert le même type de politique. Tous ne peuvent exporter plus en même temps, alors que tous subissent des reculs de la demande intérieure ! Par ailleurs avec des taux d’intérêt tombés à très bas niveau, l’accompagnement de la politique budgétaire restrictive par une baisse des taux de politique monétaire est impossible. Selon le FMI, l’absence d’accompagnement monétaire est de nature à doubler l’incidence des restrictions budgétaires sur l’activité. Dans ces conditions, le recours à des mesures non conventionnelles destinées à contenir les taux de marché trouve toute sa justification, tout comme la coordination des politiques budgétaires entre les pays pour lesquels la consolidation est moins urgente et les autres.
NOTES
- Voir notre article de Conjoncture, BNP Paribas, janvier 2012 : « Bilan 2011, perspectives 2012 », Philippe d’Arvisenet
- Les auteurs montrent que, contrairement aux idées reçues, il n’est pas possible de vérifier empiriquement (sur 19 pays de l’OCDE observés entre 1975 et 2008) que les épisodes de réduction rapide des déficits étaient systématiquement suivis de défaites électorales des gouvernements en place.
Références :
- A. ALESINA, D. CARBONI, G. LECCE : “The electoral consequences of large fiscal adjustments”, Harvard University, octobre 2010.
- A. ALESINA, R. PEROTTI : “Fiscal expansions and adjustments in OECD countries”, Economic Policy, n°21, octobre 1995
- A. ALESINA, S. ARDAGNA : “Large changes in fiscal policy taxes versus spending”, NBER, working paper n°15438, ocobre 2009
- P. DE GRAUWE, Y. JI : “Mispricing of sovereign risk and multiple equilibria in the eurozone” CEPS, working document n°361, janvier 2012
- J. GUAJARDO, D. LEIGH, A. PESCAROTI : “Expansionary austerity, new international evidence”, IMF working paper 11/158, juillet 2011
- D. HAUGH, P. OLLIVAUD, D. TURNER : “What drives sovereign risk pressures ?”, OECD working paper 59, juillet 2009
- E. ILZETSKI, E. MENDOZA, C. VEGH : “How big (small?) are fiscal multipliers?”. NBER working paper 16479, octobre 2010
- IMF : “Will it hurt ? macroeconomic effects of fiscal consolidation”, World Economic Outlook, chap. 3, octobre 2010
- E. LEEPER : “Monetary science, fiscal alchemy”, Indiana University, septembre 2010
- R. PEROTTI : “The “austerity myth” : gains without pain ?”, CEPR discussion paper series n°8658, novembre 2011
- C.REINHART, K.ROGOFF : « This time is different », Princeton University press, 2009
- L.SCHUKNECHT, J.VON G. WOLSWIJK : “Government bond risk premiums in the EU revisited, the impact of the financial crisis”, ECB, working paper 1152, Fed 2010
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