Consolidation européenne : Odin au secours de Dionysos

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Il n’y a guère plus d’un an, le monde fonctionnait presque normalement : c’était les pays émergents qui sollicitaient l’aide du Fonds monétaire international (FMI). Actuellement, ce sont les pays développés et, plus spécifiquement, ceux de la zone euro. Des fonds ad hoc ont même été créés pour alléger le fardeau du FMI et, peut-être, permettre à l’Europe de garder la face. Si vous avez passé ces derniers mois ou ces dernières années sur une île très loin d’ici, la petite histoire que nous allons vous raconter devrait vous intéresser. Il était une fois un vieux pays européen, berceau de la démocratie et de la philosophie…

Stupeur et tremblements

– Le déclencheur grec

Début 2009, la situation budgétaire de la Grèce laissait à désirer : le déficit budgétaire du pays était estimé à 3,7% pour l’exercice fiscal en cours. Cette situation avait conduit la Commission européenne à lancer une Procédure de déficit excessif (PDE). C’était en fait la deuxième fois que la Commission lançait une telle procédure à l’encontre de la Grèce, dont la situation budgétaire avait déjà préoccupé en 2004. Par la suite, la situation s’est rapidement détériorée. Si les conséquences n’avaient pas été aussi terribles, l’histoire aurait pu être drôle. Dans le document accompagnant la PDE d’avril 2009, la Commission européenne indiquait que “les problèmes structurels et systémiques relatifs à l’établissement des comptes nationaux grecs durant la période 1997-2005 ont conduit, en 2004, à des révisions d’une ampleur exceptionnelle, soulevant de sérieux doutes quant à la fiabilité des statistiques grecques”.

Même en gardant ce fait en tête, la suite des évènements a été un choc. Quelques semaines après son arrivée au pouvoir en octobre 2009, le nouveau gouvernement grec a annoncé que son prédécesseur avait eu recours à une comptabilité créative. Entre l’annonce du lancement d’une PDE en avril 2009 et le nouveau document de la Commission européenne d’octobre 2009, l’estimation du déficit budgétaire 2009 a bondi de 3,7% à 12,7% du PIB, avec des conséquences sur le niveau de la dette. En avril 2009, la Commission européenne tablait sur une dette publique brute inférieure à 100% du PIB (à 99,6%) fin 2009. Six mois plus tard, cette estimation était de 113,2%. À moyen terme, les conséquences sont encore plus frappantes : entre le début de l’année et l’automne 2009, la Commission européenne a relevé ses prévisions de ratio de dette publique à horizon 2011 de 97,4% à 135,4%. En résumé, la dette publique à moyen terme de la Grèce a pris près de 40 points de PIB, et ce, en un clin d’oeil.

Le premier domino était tombé : d’une dégradation de note à l’autre, le spread entre les obligations d’État grecques et allemandes, jusqu’alors minime, malgré les performances désastreuses de la Grèce en matière de finances publiques, a littéralement explosé. Entre le début et la fin novembre 2009, il est passé de 140 à 200 points de base. Au premier trimestre 2010, il s’est établi à 300 pb en moyenne, pour atteindre un plus haut historique de près de 1 000 pb au début du mois de mai de la même année.

C’est alors que les secours sont arrivés, avec le FMI et l’Union européenne. Le 2 mai 2010, la Grèce s’est vue accorder un prêt de EUR 110 milliards (avec un taux d’intérêt de 5,2% et une échéance de quatre ans et demi), avec EUR 30 milliards en provenance du FMI et EUR 80 milliards en provenance des pays de l’Union européenne. La Commission européenne a été chargée de coordonner et d’administrer les prêts bilatéraux communautaires, et notamment les déblocages de fonds en faveur de la Grèce. L’annonce de ce plan a été chaleureusement saluée par les marchés : le spread a plongé de 450 pb durant le week- end qui a suivi !

– Le FESF, une première réponse à la crise

Tandis qu’un plan était mis en place pour secourir la Grèce, l’Union européenne annonçait la création d’un mécanisme de sauvetage reposant sur trois piliers, d’où son surnom de “Troïka”.

Le principal élément du dispositif est la création du FESF (Fonds européen de Stabilité financière). Il s’agit d’un fonds ad hoc, à durée déterminée (venant à échéance en juin 2013), dont l’objectif est d’assurer la stabilité financière de l’Union européenne, en venant en aide aux États de la zone euro confrontés à des difficultés économiques. Le FESF peut émettre des obligations ou d’autres titres de créances sur le marché (avec le soutien du Bureau de gestion de la dette allemande), afin de lever les fonds nécessaires au financement des prêts accordés aux pays de la zone euro en proie à des difficultés financières. Les obligations ainsi émises sont adossées à des garanties données par les États de la zone euro, au prorata de leur quote-part du capital de la BCE. Le montant total des garanties que les (alors) 16 pays de la zone euro s’étaient engagés à fournir s’établissait à EUR 440 milliards.

Cette ligne de crédit peut être complétée par des prêts d’un montant maximal de EUR 60 milliards octroyés dans le cadre du Mécanisme européen de Stabilisation financière ou MESF (ces prêts étant financés par des fonds levés par la Commission européenne et garantis par le budget de l’Union européenne) et par une ligne de crédit de EUR 250 milliards du FMI, représentant la moitié des fonds fournis par l’Europe.

Au total, c’est la création d’un dispositif de résolution de crise de EUR 750 milliards qui a été annoncée, soit un montant colossal, alors plus que suffisant pour rassurer le marché.

Le FESF a bénéficié d’une grande confiance des marchés dès son lancement. Le 20 septembre 2010, les trois principales agences de notation lui ont attribué une note AAA et la première émission obligataire du FESF, le 25 janvier 2011, a rencontré un exceptionnel succès. En seulement quinze minutes, la demande pour les obligations (à cinq ans) du FESF a atteint EUR 44,5 milliards, permettant de placer le montant maximum prévu (EUR 5 milliards ) à un taux plus faible que prévu de 2,89 % (6 pb seulement au-dessus du taux mid-swaps et de 56pb au-dessus des taux allemands).

Les émissions de la Commission européenne ont été également bien accueillies. Le 17 mars, la Commission a levé EUR 4,6 milliards (pour financer un prêt de EUR 3,4 milliards à l’Irlande – dans le cadre du MESF – et un prêt de EUR 1,2 milliard à la Roumanie – dans le cadre du mécanisme de soutien aux balances des paiements), moyennant un rendement de 8pb supérieur au taux mid-swaps.

– Le catalyseur irlandais

La situation de l’Irlande est totalement différente de celle de la Grèce, même si, dans les deux cas, les conséquences sur les finances publiques (creusement des déficits, gonflement de la dette) ont été les mêmes, conduisant les autorités à demander le secours de la Troïka. En Irlande, les finances publiques se sont dégradées parce que le gouvernement a été contraint de renflouer les banques, alors qu’en Grèce les finances publiques n’étaient tout simplement pas sous contrôle. Entre 2000 et 2007, le déficit public grec a atteint en moyenne 5,4 % du PIB, alors que le budget de l’Irlande a affiché un excédent entre 1996 et 2007. Le retournement de l’économie mondiale a porté un premier coup aux finances publiques irlandaises, creusant le déficit en 2008 (7,3% du PIB) et 2009 (14,4% du PIB). En 2010, en raison de la recapitalisation du secteur bancaire, ce déficit a plongé à 32,3% du PIB.

L’avant 2007 a constitué un âge d’or pour l’Irlande, alors surnommée le “Tigre celtique”, avec d’importants flux entrants d’investissements directs étrangers (IDE). Entre 1997 à 2007, la croissance réelle irlandaise a été de 7% l’an en moyenne. La conjonction d’un taux de croissance supérieur au potentiel et d’un afflux important d’IDE entraîne généralement des effets secondaires qui n’ont pas épargné l’Irlande. Des taux d’intérêt bas et un accès (trop) facile au crédit ont contribué à un doublement du taux d’endettement du secteur privé (de 94,8% à 195,8% entre 2001 et 2008). Une bulle a ainsi gonflé sur le marché de l’immobilier résidentiel, avec une hausse des prix de près de 80 %.

L’Irlande, en raison de son appétit pour le crédit, a été l’un des premiers pays, après les États-Unis, à être frappés par la crise des subprimes : les financements internationaux ont commencé à se tarir et la bulle de l’immobilier résidentiel a éclaté, laissant les banques irlandaises face à un encours croissant de créances douteuses. En décembre 2008, ces banques ont été contraintes de solliciter l’aide du gouver- nement pour éviter la faillite. Sous l’effet conjugué de la recapitalisation des banques, qui a coûté au gouvernement EUR 46 milliards, et des stabilisateurs automatiques, le déficit budgétaire irlandais a atteint en 2010 le niveau effrayant de 32,3 % du PIB.

Le 21 novembre 2010, le gouvernement irlandais n’a eu d’autre choix que de réclamer de l’aide. Un plan global de soutien d’un montant de EUR 85 milliards a alors été accordé (voir Encadré 1).

L’Union fait la force

– Quelques retouches

Fin 2010 et début 2011, les finances publiques d’autres pays de la zone euro, plus spécifiquement le Portugal et, dans une moindre mesure, l’Espagne, ont inspiré l’inquiétude. La capacité de la Troïka à renflouer de nouveaux pays a alors été mise en doute, et la hausse des taux d’intérêt de la dette des pays périphériques a contraint les dirigeants européens à proposer une réponse plus globale.

Lors de son lancement, l’enveloppe de la Troïka s’élevait à EUR 750 milliards, un montant considérable. Après l’allocation de EUR 62,5milliards à l’Irlande, le fonds disposait encore de moyens suffisants pour renflouer un autre pays confronté à des difficultés. Mais, en pratique, le fonds n’a jamais disposé des sommes annoncées. Si la Grèce a tout de suite été dispensée de fournir des garanties (EUR12,4mds), ce qui semble raisonnable, les fonds disponibles ont toujours été largement inférieurs à EUR 428 milliards.

En effet, pour bénéficier d’une note AAA, le FESF ne peut prêter qu’à hauteur de 100 % des garanties apportées par les pays notés AAA, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Ainsi, la capacité de prêt du FESF n’est pas EUR 440 milliards mais de EUR 255 milliards, et la Troïka ne dispose pas de EUR 750 milliards mais de “seulement” EUR 473 milliards.

Après le sauvetage de l’Irlande, le dispositif ne disposait plus que de EUR 405,3 milliards, soit une somme qui reste cinq fois plus élevée que le plan de sauvetage qui pourrait être accordé au Portugal. En réalité, malgré le scepticisme des marchés, la Troïka disposait de capitaux largement suffisants.

Toutefois, la crise n’a cessé de s’aggraver, les spreads et les CDS1 de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal ont continué de sauter de records en records. Dans le même temps, les agences de notation, dans le but d’éviter de rater la crise à venir après le fiasco des subprimes, n’ont cessé d’abaisser les notes de ces pays.

Même les pays secourus étaient mécontents. Salués au moment de leur annonce, les plans de renflouement de la Grèce et de l’Irlande ont été ensuite critiqués. Certes, les taux d’intérêt sont élevés: en moyenne 5,2 % pour la Grèce et 5,8 % pour l’Irlande. Ces deux pays ont donc tenté de renégocier les conditions de leur plan de sauvetage respectif.

La Grèce a obtenu une réduction du taux des prêts, après avoir décidé, sur les conseils de l’Allemagne, un ambitieux plan de privatisation (EUR 50 mds). L’Irlande s’est montrée moins diligente, refusant de relever son taux d’IS (de 12,5% actuellement), et n’a pas obtenu de rabais, du moins jusqu’à présent. Les renégociations n’ont pas été abandonnées, mais simplement repoussées. En effet, face à l’inquiétude suscitée par un éventuel besoin de recapitalisation additionnel de son système bancaire, il a été décidé d’attendre la publication des stress tests (ils ont été publiés le 31 mars), dans le cas où l’Irlande aurait eu besoin d’une “rallonge”.

De plus, l’Irlande conserve une importante carte à jouer, qui pourrait transformer l’actuel “grand marchandage” en chantage pur et simple, et ce, en raison de l’exposition des banques allemandes au secteur bancaire irlandais. L’Irlande a, en effet, menacé à plusieurs reprises de lever sa garantie sur le système bancaire. Les banques allemandes seraient les premières à en pâtir (avec une exposition au risque irlandais de EUR 208 mds). La coalition gouvernementale formée après les élections du 25février a promis qu’elle n’accepterait jamais de relever le taux de l’impôt sur les sociétés et qu’elle renégocierait les aides consenties par la Troïka.

Les dirigeants européens ont finalement consenti à des améliorations.

– Une décision rationnelle ?

Pourquoi les dirigeants européens ont-ils décidé de renflouer la Grèce et l’Irlande ? On peut, en effet, se demander si le fait de renflouer un pays dépensier ne crée pas un aléa moral. Un pays qui sait qu’il sera secouru s’il est confronté à de graves difficultés ne gèrera-t-il pas ses finances publiques avec moins de prudence ? Pourquoi les dirigeants européens ont-ils décidé de passer outre ?

* Eviter la contagion

Le principal objectif était d’éviter que la crise ne s’étende aux autres pays de la zone euro. Le coût d’une méfiance généralisée à l’égard des obligations d’État de la zone euro aurait été trop élevé. La crise peut se propager par effet de contagion, ce qui a très vite été le cas. Une récente étude du FMI2 confirme que les dégradations de notations souveraines entraînent des contagions significatives, aussi bien au sens statistique qu’économique du terme, sur l’ensemble des pays et des marchés.

Supposons qu’un pays A enregistre une forte augmentation de son ratio d’endettement. Sa note ayant été abaissée à plusieurs reprises et les taux d’intérêt sur sa dette grimpant en flèche, ce pays ne peut plus se financer sur les marchés et demande donc l’aide de la Troïka. Le pays B est lui aussi confronté à des problèmes budgétaires, mais moins graves : des taux d’intérêt stables et l’adoption de mesures d’austérité draconiennes lui permettraient de surmonter ses difficultés. Toutefois, l’éventualité d’un défaut étant désormais envisagée, les marchés commencent à en tenir compte. De ce fait, les taux d’intérêt sur la dette du pays B augmentent, et, passé un certain niveau, le pays B se retrouve dans la même situation que le pays A : dès lors qu’il n’est pas soutenable de se financer sur le marché à des taux prohibitifs, il fait appel à la Troïka. Les anticipations auto réalisatrices font partie intégrante du scénario de la crise portugaise.

Le deuxième canal de contagion est l’exposition des autres pays de la région au risque des pays renfloués (…) Mais le système bancaire n’est pas le seul à être exposé : les États de la zone euro ont également prêté de l’argent à la Grèce et à l’Irlande, alors que les fonds de pension détiennent des obligations émises par ces deux pays. En fait, le risque s’étend au-delà de la zone euro, et c’est peut-être pourquoi Timothy Geithner, le Secrétaire au Trésor américain, s’est rendu dans plusieurs capitales européennes début mars pour prêcher en faveur d’une extension du programme FESF/MES.

* Soulager la BCE

La BCE a jusqu’ici été la seule institution capable d’apaiser les tensions sur le marché obligataire périphérique, au travers du Programme d’Achats de Titres (PAT). Le 10 mai 2010, elle a adopté des mesures visant à réduire les graves tensions que connaissaient les marchés financiers, soulignant que ces tensions “entravaient le mécanisme de transmission de la politique monétaire et, par là, la conduite efficace d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à moyen terme”. Le but de ces mesures était “de garantir la profondeur et la liquidité des compartiments de marché en proie à des dysfonctionnements. L’objectif de ce programme est de faire en sorte que les marchés de titres recommencent à fonctionner normalement et de recréer un mécanisme approprié de transmission de la politique monétaire”.

Mais cette décision a été prise sous la certitude que “les gouvernements de la zone euro prendraient toutes les mesures requises pour atteindre leurs objectifs budgétaires cette année et les années suivantes dans le cadre des procédures de déficit excessif”. En résumé, la BCE a d’emblée affirmé que bien qu’en période de crise il était de son ressort de garantir la liquidité, l’assainissement des finances publiques incombait bien aux gouvernements. Depuis mai 2010, la BCE a acheté plus de EUR 76,5 milliards3 (chiffre au 4 février 2011) de dettes périphériques. Même si son programme d’achat ne visait pas à réduire le coût des fonds empruntés par les pays en difficulté, la mise en place de ce programme s’est effectivement traduite par une diminution des taux. Cela étant, sans une alternative crédible à ce programme, c’est-à-dire la possibilité pour le FESF et le MES d’acheter des obligations sur les marchés secondaires, la BCE ne pourra pas mettre un terme à ce programme. Un arrêt des achats entraînerait une aggravation spectaculaire de la situation dans laquelle se trouvent des marchés déjà sinistrés. Il est, néanmoins, évident que la BCE souhaiterait mettre un terme au PAT, et ce dès que possible. Les dissensions créées par ce programme au sein du Conseil des gouverneurs en sont une des raisons. Mais la principale est bien la crainte qu’un tel soutien au marché de la dette souveraine puisse endommager sa crédibilité (sacrée). Il fallait donc apporter une réponse à ce problème.

A l’évidence, la hausse de taux du 7 avril affectera en priorité les pays renfloués. Ces pays font tout leur possible pour réduire leur déficit budgétaire, ce qui a des conséquences négatives sur l’activité. Le durcissement de la politique monétaire constituera un frein supplémentaire à la croissance. Cela étant, la question des effets asymétriques de la politique de la BCE sur les différents pays de la zone euro n’est pas nouvelle et ne peut être prise en considération. La BCE ne peut pas ignorer les tensions inflationnistes (“Le principal objectif de la politique monétaire de la BCE est de maintenir la stabilité des prix. A moyen terme, la BCE a pour cible un taux d’inflation inférieur à 2 %, mais proche de ce niveau”) qui se manifestent dans l’ensemble de la zone euro : son mandat est de maintenir l’inflation à un niveau stable, et non de soutenir la croissance dans des pays en ajustement budgétaire.

D’aucuns pourraient considérer ce resserrement monétaire, rapide et préventif, comme la réponse de la BCE aux dirigeants européens. Celle-ci souhaitait que le FESF soit autorisé à acheter des obligations d’État sur le marché secondaire, ce qui lui aurait permis de réduire ses propres achats, voire d’y mettre un terme. Ce qui est certain, c’est que Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a qualifié “d’insuffisants” les résultats du sommet du 11 mars.

Ceci ne constitue pas un caprice, et les responsables de la politique monétaire ont raison. Le rôle d’une Banque centrale est de maintenir la stabilité des prix et du système financier. Il est logique qu’elle aide les banques privées confrontées à des problèmes de liquidé et qu’elle injecte des liquidités dans le système financier après un choc exogène (comme l’ont fait les banques centrales après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis ou après la catastrophe qui a frappé le Japon le 11 mars 2011)

Rien ne justifie, en revanche, qu’elle tente de s’opposer à la hausse des taux d’intérêt supportée par les États affichant un déficit budgétaire chronique. Les questions de finances publiques doivent être traitées par les gouvernements.

* Une réponse permanente

Lors du sommet de la fin mars, les dirigeants européens se sont concentrés sur le MES et le Pacte pour l’euro, les modalités de renforcement de la force de frappe du FESF étant renvoyées à une date ultérieure. Ce report au mois de juin résultait des “procédures internes” en cours dans certains pays, c’est-à-dire des élections en Finlande. Si ce contretemps a déçu, ses conséquences ne sont pas déterminantes. Même si le Portugal devait être renfloué, le FESF dispose d’une forte capacité d’intervention. Sur les EUR 255 milliards que peut actuellement mobiliser le fonds, EUR 17,7 milliards sont destinés à l’Irlande. Les EUR 237,3 milliards sont largement suffisants pour renflouer le Portugal (Jean- Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, a récemment estimé que ce pays aurait besoin de EUR 75 mds). On a, toutefois, appris le même jour que le Premier ministre portugais avait subi un revers au parlement, qui l’avait finalement conduit à démissionner. Le signal envoyé aux marchés n’aurait pas pu être plus négatif.

La date de ce sommet n’était, en effet, pas très favorable, compte tenu de la tenue prochaine d’élections générales en Finlande (le 17 avril) et de plusieurs scrutins régionaux en Allemagne. La crise portugaise n’a fait que s’ajouter à un agenda politique déjà difficile à gérer. Cela étant, les dirigeants européens étaient conscients du risque potentiel, ce qui explique probablement pourquoi l’essentiel des conclusions du sommet a fait l’objet de fuites bien avant le début de la réunion. En fait, toutes les décisions prises lors du sommet des 24 et 25 mars étaient connues depuis deux semaines …

Le Pacte euro plus (l’ancien Pacte pour l’euro a été renommé durant le sommet européen des 24 et 25 mars derniers) a été élaboré par la Commission européenne, de sorte que les dirigeants européens puissent trouver un terrain d’entente. Les dix pays membres de l’Union européenne mais pas de l’euro ont été invités à le rejoindre. Tous, à l’exception de la Hongrie, de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la Suède, ont accepté.

Le Pacte euro plus, un “effort renouvelé pour mieux coordonner la politique économique en vue de favoriser la compétitivité et d’accélérer le processus de convergence” a quatre grands objectifs :

  1. favoriser la compétitivité ;
  2. favoriser l’emploi ;
  3. renforcer la viabilité des finances publiques;
  4. renforcer la stabilité financière.

Plus précisément, les dirigeants européens surveilleront une série d’indicateurs de compétitivité, d’emploi, de viabilité des finances publiques et de stabilité financière. Les pays confrontés à des difficultés majeures dans l’un de ces domaines seront identifiés et devront s’engager à surmonter ces difficultés dans un délai donné. Chaque année, les États membres conviendront des actions concrètes à mener au cours des douze mois suivants. La responsabilité de mise en œuvre des mesures incombera à chaque pays. Ces engagements seront également reflétés dans les Programmes nationaux de réformes et de stabilité présentés chaque année.

Les progrès réalisés seront évalués comme suit :

  • Les avancées en termes de compétitivité seront jugées à l’aune de l’évolution de salaires et des gains de productivité, sur la base des besoins, ex-ante, en gains de compétitivité. Une attention particulière sera accordée aux mesures (1) destinées à garantir que l’évolution des coûts salariaux reflète celle de la productivité ; (2) visant à accroître la productivité (en libéralisant davantage les secteurs protégés, en améliorant et promouvant l’éducation, la recherche et le développement, l’innovation et la création de nouvelles infrastructures, et en en améliorant le climat des affaires) ; 
  • Les progrès réalisés en matière d’emploi seront évalués en fonction de l’évolution du taux de chômage de long terme ainsi que du taux de chômage des jeunes, et des taux d’emploi. Une attention particulière sera accordée (1) à la promotion de la “flexicurité” ; (2) à la promotion de la formation permanente ; (3) aux réformes fiscales entreprises pour augmenter le taux d’emploi.
  • Viabilité des finances publiques. Une attention toute particulière sera accordée à (1) la soutenabilité des régimes de retraites, des systèmes de santé et des transferts sociaux ; (2) l’inscription des règles d’orthodoxie budgétaire de l’Union européenne (Pacte de croissance et de stabilité) dans les législations nationales et régionales.
  • Stabilité financière. Les États membres s’engagent à voter des lois destinées à soutenir les banques, dans le plein respect de l’acquis communautaire (c’est-à-dire la “réforme radicale” des autorités de tutelle des établissements financiers de l’Union européenne, avec la création d’un Conseil européen du risque systémique (CERS), la réalisation à intervalles réguliers de stress tests bancaires…).

A suivre…

– Le domino portugais : Saudade

Le Portugal soutient que sa situation est différente de celle de la Grèce et de l’Irlande, qui ont tous deux accepté l’aide de l’UE et du FMI : son déficit et sa dette sont moins élevés, le pays n’a pas connu de bulle de l’immobilier et ses banques sont saines. Si l’on s’en tient aux chiffres, la dette brute de l’Etat s’élevait a 82,9% du PIB en 2009, contre 127% pour la Grèce. Son déficit budgétaire s’est établi en moyenne à 7,4% du PIB sur la période 2008-2010, contre 11,5% pour la Grèce et 18% pour l’Irlande. De plus, le gouvernement a mis en œuvre trois vagues successives de réformes structurelles visant à enrayer la croissance de la dette publique. Quant au secteur bancaire, l’adjectif “sain” est peut-être exagéré mais la situation est effectivement meilleure qu’en Irlande et en Grèce4.

Le gouvernement a fait tout son possible pour éviter un sauvetage par la Troïka, ce pour plusieurs raisons. Premièrement, ce type d’intervention a un coût politique, comme les élections irlandaises l’ont montré (ledit coût politique pouvant toutefois se manifester avant le sauvetage, comme on a pu le voir au Portugal). Deuxièmement, à partir du moment où la Troïka a été appelée à l’aide, le gouvernement n’a plus les cartes en main. Il a bien sûr son mot à dire lors des négociations mais une fois que l’aide a été accordée, il n’a plus d’autre choix que de tenir les promesses faites dans la lettre d’intention au FMI. Troisièmement, il y a un coût, assez difficile à quantifier, susceptible de survenir plus tard, lorsque le pays peut recommencer à se financer sur les marchés de la dette. Standard and Poor’s précise5 qu’entre autres critères, ses notes dépendent notamment de “la manière dont les autorités ont géré les crises politiques, économiques et financières par le passé et ont accompagné la croissance économique”. Il y a fort à parier que lorsque la prochaine crise surviendra, les pays qui ont été secourus par la Troïka verront leurs spreads s’accroître plus vite que les autres.

Le 11 mars 2011, le ministre des Finances a annoncé des réductions supplémentaires des dépenses (0,8% du PIB en 2011, 1,6% en 2012 et 0,8% en 2013) et des mesures visant à augmenter les recettes fiscales (0,9% du PIB en 2012 et 0,4% en 2013), le but étant de tout faire pour s’assurer que l’objectif de déficit (4,6% du PIB) sera atteint en 2011.

Tous ces efforts n’auront pas suffi à rassurer les marchés et les agences de notation. Le 15 mars, Moody’s a en effet abaissé la note de crédit du Portugal de deux crans, de A1 à A3. Le même jour, le spread, par rapport aux obligations allemandes à 3 ans, a atteint 508 pb. Le 25 mars, Standard and Poor’s et Fitch ont à leur tour abaissé la note de la dette du Portugal de deux crans (faisant passer celle-ci à BBB et A- respectivement), et les spreads ont continué d’augmenter (588 pb). Moins d’une semaine plus tard, le 29 mars, Standard and Poor’s a abaissé la note du Portugal d’un cran supplémentaire, à BBB-, soit un cran seulement au-dessus de la catégorie spéculative6, et les spreads ont atteint 667 pb. Enfin, Moody’s a décidé d’une nouvelle dégradation de la note portugaise, à Baa1, le 5 avril, et les spreads se sont établis à 802 pb.

De plus, le principal parti d’opposition a refusé d’approuver les nouvelles mesures d’austérité, malgré la menace de démission brandie par le Premier ministre, José Socrates, dans le cas où il n’obtiendrait pas le feu vert. Le ministre des Finances, Fernando Teixeira dos Santos, a été jusqu’à déclarer que “la crise politique contribue à pousser le pays dans les bras de l’aide extérieure”. Ces mises en garde n’ont pas suffi et le 23 mars, les cinq partis d’opposition ont rejeté d’une même voix le nouveau plan d’austérité, le quatrième en un an, poussant le Premier ministre à démissionner.

Les six partis représentés au parlement n’étant pas parvenus à former un gouvernement de coalition, le président portugais, Anibal Cavaco Silva, a annoncé, le 31 mars, la dissolution du parlement et la tenue d’élections anticipées le 5 juin 2011. Le gouvernement en place gèrera les affaires courantes jusqu’au scrutin. Dans une telle situation institutionnelle, la Constitution limite les compétences du gouvernement aux “actes strictement nécessaires pour assurer la gestion des affaires publiques”.

Bien que son mandat se résume à la gestion des affaires courantes, M. Socrates aura, une ultime fois, tenté de sauver son pays. Afin de faire face à deux importantes tombées de dette (EUR 4,3 mds en avril et EUR 4,9 mds en juin), le Portugal a émis à très court terme. Les taux d’intérêt qu’il a du accepter étaient punitifs. Le 1er avril, l’émission de titres à quatorze mois s’est faite à un taux de 200pb supérieur à ce que demande le marché pour financer l’Allemagne à … trente ans ! Le 6 avril, l’agence portugaise de la dette (IGCP) a émis de nouveau, à six et douze mois, des titres assortis de taux d’intérêt de 5,1% et 5,9%, respectivement. Le niveau des taux d’intérêt est une chose. L’appétit des banques portugaises pour la dette de leur gouvernement en est une autre. Durant des mois, elles ont absorbé les émissions de l’IGCP, mais cela ne pouvait durer éternellement.

Le 6 avril, M. Socrates a jeté l’éponge, déclarant à la télévision : “J’ai tout tenté, mais en toute conscience, l’heure est arrivée où ne pas prendre une telle décision [demander l’aide internationale] ferait peser, sur le pays, un risque que nous ne pouvons prendre”. Peu de temps après, le principal parti d’opposition, le PSD, a officiellement apporté son soutien à M. Socrates.

Ce soutien devrait assurer la légitimité de M.Socrates dans la négociation avec la Troïka, bien que son gouvernement ne soit qu’un gestionnaire. En date du 7 avril, et à horizon fin-2013, les besoins de financement du Portugal sont d’environ EUR 70 milliards.

L’enveloppe qui sera accordée par la Troïka devrait ainsi se situer entre EUR 75 milliards (chiffre évoqué par Jean-Claude Juncker à la fin mars) et EUR 90 milliards (estimations du Diaro Economica du 7 avril). Le prêt, qui sera assorti de mesures d’austérité du type de celles rejetées par le parlement le 23 mars, comprendra très probablement un volet couvrant une restructuration/recapitalisation bancaire.

– L’aide de la Troïka suffira-t-elle à la Grèce et à l’Irlande ?

La Grèce et l’Irlande vont-elles s’en sortir ? Une chose est sûre : ce sera plus difficile que pour la plupart des pays en développement qui ont connu des crises similaires. Pour une raison très simple : la Grèce et l’Irlande ne peuvent pas dévaluer leurs monnaies, mesure qui permet généralement de doper la compétitivité et qui s’accompagne d’un effet inflationniste, cocktail idéal pour donner de l’air à l’économie.

Pour la Grèce, l’année 2012 devrait marquer un tournant dans la mesure où le pays est censé revenir sur les marchés pour lever de la dette. Cette perspective est toutefois hautement improbable, et notre scénario central table sur une reconduction du plan d’aide de la Troïka dans le cadre du MES, qui entrera en vigueur à la mi-2013.

Le FMI prévoit un excédent primaire de 6% à partir de 2014. Compte tenu de la médiocrité des perspectives de croissance et du niveau des recettes fiscales, nous estimons pour notre part que, à long terme, il ne dépassera pas 2% dans le meilleur des cas. De plus, le risque que la population, déjà éprouvée, se lasse des mesures d’austérité est élevé. Enfin, la soutenabilité de la dette publique à long terme suppose un taux d’intérêt maximum de 3-3,5%. Autrement dit, il faudrait que l’aide accordée dans le cadre du MES soit pratiquement gratuite pour que le taux d’intérêt implicite global payé sur la dette baisse à ce point (il s’élevait à 4,77% en 2009 selon la Commission européenne). En résumé, la Grèce risque fort de rester sous perfusion.

Les rumeurs d’une possible restructuration de la dette grecque vont bon train, plusieurs personnalités européennes allant même jusqu’à l’évoquer publiquement. Otmar Issing, ex-économiste en chef de la BCE, a ainsi déclaré : “Dès que les autres pays seront hors de danger, la dette publique grecque devra être restructurée. Cela peut passer par un allègement de la dette ou par un report des échéances, mais on ne pourra pas éviter une restructuration”.

Une restructuration de la dette grecque serait certainement utile. Son encours (très élevé) n’est qu’un aspect du problème et pas le plus difficile à gérer. La part des charges d’intérêts dans le total des dépenses budgétaires est cruciale, en revanche. Ces dépenses représentaient 5,3% du PIB en 2009 et devraient atteindre 7,4% en 2012. Toute baisse de ces dépenses entraînerait automatiquement une réduction du déficit budgétaire, avec des effets favorables sur la dynamique de la dette. De plus, des rumeurs (démenties) prêtent au FMI un changement d’opinion sur la question. D’après ces rumeurs, le FMI pousserait la Grèce à restructurer, via une annulation partielle de la dette, une extension de sa maturité ou un moratoire sur le paiement des intérêts.

Quid du risque de défaut de la Grèce ? A cet égard, la volonté politique des pays européens est infiniment plus importante que la trajectoire de la dette grecque. Autrement dit, si les Etats membres de l’Union européenne veulent éviter un défaut de la Grèce, ils l’éviteront : il est toujours possible d’annuler une partie de la dette ou d’accorder une aide. Mais que se passera-t-il s’ils laissent la Grèce faire défaut ? Cette question en amène une autre : pourquoi le feraient-ils ? Pour saper durablement la confiance dans l’euro ? Pour montrer qu’ils ont eu tort d’accueillir la Grèce au sein de la zone euro ? Pour déclencher une nouvelle crise en Irlande et au Portugal ? Nous pensons qu’ils mettront en place un plan pour remédier à cette situation. Il aurait encore été possible de laisser la Grèce faire défaut en mai 2010 : l’UE n’a pas pris ce parti et n’a désormais plus le choix.

La situation de la dette souveraine irlandaise reste étroitement liée au secteur bancaire. A cet égard, les résultats des stress tests du 31 mars sont rassurants. Les conclusions de ces tests, d’autant plus fiables qu’ils ont été réalisés par un organisme indépendant, montrent que les besoins supplémentaires en fonds propres sont limités à EUR 24 milliards, soit EUR 11 milliards de moins que les fonds déjà alloués à cet effet. Le secteur bancaire devrait donc arrêter de peser sur les finances publiques. S’il est un fait que les banques irlandaises restent dépendantes des liquidités de la BCE7, le soutien de l’Etat (recapitalisation, création de la National Asset Management Agency, ou agence nationale de gestion d’actifs) a été suffisamment massif pour éloigner le spectre d’un effondrement. Pour l’instant, l’aide que l’Irlande a reçue est suffisante. Il faudra maintenant suivre de près les stress tests imposés aux banques du reste de l’Europe.

La question du taux d’intérêt du plan d’aide reste toutefois posée. L’Irlande n’a peut-être pas besoin de liquidités supplémentaires, mais un taux d’intérêt plus bas serait le bienvenu. Le problème est que Fine Gael, le parti nouvellement arrivé au pouvoir, avait promis, avant les élections, de maintenir le taux de l’impôt sur les sociétés à 12,5% et de renégocier les conditions du plan d’aide de la Troïka. Le Premier ministre Enda Kenny va devoir faire un geste en direction de ses homologues européens : le chantage n’est généralement pas très efficace entre démocraties. Acceptera-t-il la proposition d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ? Ce serait probablement la meilleure chose à faire car il ne reviendrait ainsi sur aucune de ses promesses.

Considérations politiques mises à part, la capacité du pays à honorer les échéances de sa dette dépendra largement du retour de la croissance. La correction des déséquilibres, bien que très rapide, n’est pas terminée. Les agents privés sont encore en phase de désendettement et la chute des prix de l’immobilier, bien que ralentie, devrait se poursuivre. La demande privée reste contrainte, tandis que les mesures de rigueur devraient peser sur la demande publique.

Cela étant, le pays ne manque pas d’atouts. Grâce à sa capacité d’adaptation, l’Irlande pourrait passer plus rapidement que d’autres pays d’un modèle de croissance reposant sur la demande intérieure à un modèle axé sur la demande extérieure.

Point très positif, l’Espagne, l’Italie et la Belgique ne sont plus – pour le moment du moins – dans le collimateur des agences de notation et des marchés. A un moment donné, l’Espagne était considérée comme le prochain domino susceptible de tomber après le Portugal, suivie, dans l’esprit particulièrement imaginatif des adeptes de “l’économie fiction”, par l’Italie et la Belgique. Les spreads par rapport aux obligations allemandes ont fortement baissé ces derniers mois, tout comme les CDS.

Après un plus haut à 337pb fin novembre, le spread des obligations à 3 ans est tombé à 126 bp le 7 avril. De plus, l’adjudication du 17 mars a rencontré un franc succès : l’Espagne a placé des obligations à 10 ans à un taux de 5,16%, contre 5,60% en janvier. A l’image des autres pays développés, l’Espagne a bien sûr subi une forte dégradation de ses finances publiques, son déficit budgétaire étant passé de 4,2% en 2008 à 11,1% l’année suivante. Après une légère amélioration en 2010 (9,3%), le comblement du déficit devrait se poursuivre, avec un objectif fixé à 5,5% pour 2012. Rappelons toutefois qu’avant la crise, les finances publiques espagnoles étaient saines, le ratio de dette publique ayant atteint un plus bas à 36,1% en 1998. Malgré le creusement des déficits depuis cinq ans, la dette espagnole devrait rester limitée à 73% du PIB en 2012, contre une moyenne de 87,8% pour les autres pays de la zone euro.

Le plus inquiétant n’est pas tant la situation budgétaire actuelle que le poids d’une éventuelle sous- capitalisation des banques sur les finances publiques espagnoles. Le 23 mars, Moody’s a dégradé trente banques espagnoles en indiquant que les besoins en fonds propres de l’ensemble du système bancaire espagnol pourraient dépasser l’estimation actuelle de la Banque d’Espagne (EUR 15,15 mds). Selon ses calculs, ce chiffre se situerait plutôt entre EUR 40 à 50 milliards pour la fourchette basse et EUR 110 à 120 milliards pour la fourchette haute. Les stress tests des banques européennes, dont les résultats seront dévoilés cet été, auront précisément valeur de… test. En attendant, la Banque d’Espagne impose à tous les établissements de crédit de porter leur ratio Core Tier 1 à 8% (voire 10% pour certains établissements) d’ici à septembre.

Les dernières chiffres de la BCE et de la Banque d’Espagne sont plutôt rassurants à cet égard. Après une période difficile, pendant laquelle elles étaient aussi dépendantes des liquidités de la BCE que les banques irlandaises ou grecques, il semblerait que les banques espagnoles en soient désormais moins tributaires. Bien sûr, l’éclatement de la bulle immobilière va continuer à peser sur les comptes des banques. Ainsi, le ratio des créances douteuses rapportées au nombre total de prêts a atteint 5,81% à la fin de l’année dernière, tandis que la Banque d’Espagne évalue le montant total des prêts aux entreprises de construction et aux promoteurs immobiliers à EUR 443 milliards (à la mi-2010). Mais il est à noter que même si le secteur bancaire espagnol demandait jusqu’à EUR 120 milliards de liquidités supplémentaires à l’Etat (scénario peu probable, l’Espagne étant notée B dans le BSI de Fitch, la deuxième meilleure note, aucun pays n’étant classé dans la catégorie A), ce montant ne représenterait “que” 10 points de PIB8. Un problème, peut-être, une catastrophe, sûrement pas.

 – Les banques, au cœur de l’analyse

La crise actuelle est la parfaite illustration de la corrélation entre le risque bancaire et le risque souverain. En Irlande, l’Etat a volé au secours des banques, en difficulté: le risque bancaire s’est transformé en risque souverain. En Grèce, l’Etat a vacillé et le risque souverain s’est transmis au secteur bancaire, qui détient de grandes quantités de dette publique 9 . Le secteur bancaire joue à l’évidence un rôle clé. Les résultats peu crédibles de la première vague de stress tests ont conduit à la création de l’Autorité bancaire européenne (ABE), qui a officiellement vu le jour le 1er janvier 2011. Ce nouvel organisme est chargé des tests qui seront appliqués en 2011 à un large éventail de banques européennes, représentant plus de 60% du total des actifs bancaires dans l’UE. Cette fois-ci, la procédure est plus claire et les scénarios de crise (dégradation de la croissance, de l’emploi et des prix de l’immobilier ; tension sur les obligations souveraines, décote sur la dette souveraine…), élaborés par la BCE, dont la crédibilité est au-dessus de tout soupçon, sont plus réalistes que ceux retenus par le CESB10 en 2010 et plus exigeants, en termes notamment d’écart par rapport au scénario de base et de probabilité de matérialisation. Les tests sont en cours et l’ABE devrait en annoncer les résultats en juillet.

Standard & Poor’s a procédé à ses propres stress tests en partant d’hypothèses extrêmement négatives. L’objectif était de quantifier le coût d’un évènement imprévu. Les résultats montrent que 22 banques auraient besoin d’une recapitalisation à hauteur de EUR 161 milliards. Dans la mesure où l’échantillon utilisé pour le test couvre 70% du secteur bancaire européen, Standard & Poor’s estime que le choc éventuel (plus qu’improbable) aboutirait à un besoin de recapitalisation de l’ordre de EUR 200-250 milliards, ce qui représente entre 1,6% et 2,0% du PIB. C’est évidemment pour les pays déjà en difficulté que l’addition serait la plus lourde (14,7% du PIB pour la Grèce, 12,2% pour l’Irlande, 6,1% pour le Portugal et 6,0% pour l’Espagne). La Troïka peut facilement honorer une facture de EUR 250 milliards.

Conclusion

La crise de la dette souveraine qui a ébranlé la zone euro marquera à n’en pas douter un tournant dans l’histoire européenne. Si elle est bien gérée, elle permettra la poursuite de l’intégration. Dans le cas contraire, les conséquences seraient graves. Mais il n’y a pas de raison d’être pessimiste, et en dépit de tout ce qui a été écrit sur les négociations interminables et autres atermoiements des responsables européens, le fait est qu’une réponse globale à été apportée à la crise et que les pays en difficulté ont été secourus avant même que la menace d’un défaut ne soit brandie. Bien sûr, la gestion de la crise aurait pu être plus rapide et plus simple et la communication meilleure. Les leaders européens auraient pu passer moins de temps à afficher leurs divergences et montrer qu’ils étaient déterminés à éviter un défaut plutôt que d’expliquer les conséquences d’un tel scénario. Mais le résultat reste remarquable, particulièrement si on considère l’accord audacieux que les 27 sont parvenus à conclure malgré des calendriers électoraux divergents. Il n’y a pas de doute : l’Europe fonctionne !

Il est à espérer que la crise de la dette souveraine survenue dans la zone euro réveillera les gouvernements occidentaux et les incitera à s’attaquer au problème de la dette publique, qui ne cesse de croître. Comme l’ex-président William J. Clinton, qui a su rétablir l’équilibre budgétaire, l’a déclaré un jour : «Baisser les impôts et augmenter les dépenses… peut être plaisant à court terme mais à long terme, c’est la catastrophe assurée».

L’auteur tient à remercier ses collègues Christine Peltier et Thibault Mercier pour leur collaboration, leurs suggestions et leur aide sous toutes ses formes.

 NOTES

  1. Credit Default Swaps, qui retracent ce qu’il en coûterait de s’assurer contre un défaut.
  2. “Sovereign Rating News and Financial Markets Spillovers: Evidence from the European Debt Crisis”, une étude du FMI (Rabah Arezki, Bertrand Candelon et Amadou N. R. Sy) publiée en mars 2011.
  3. Comparé aux achats d’obligations du Trésor effectués par la Fed dans le cadre du QE1 (USD 300 mds) et du QE2 (USD 600 mds, dont environ USD 375 mds ont déjà été réalisés), ce montant semble faible. Cela étant, les titres achetés par la Fed représentent 8 % de la dette du gouvernement fédéral américain, tandis que ceux achetés par la BCE représentent 14 % de la dette cumulée de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal.
  4. L’indicateur de qualité du système bancaire (Banking System Indicator, BSI) de Fitch, qui mesure le risque systémique intrinsèque des banques sur une échelle de A (très haute qualité) à E (qualité la plus faible), ressort à C pour le Portugal et à D pour la Grèce et l’Irlande.
  5. Sovereign Government Rating Methodology and Assumptions, 26 novembre 2010, Standard and Poor’s.
  6. Cette dégradation brutale s’est accompagnée d’une déclaration plutôt curieuse : “le marché exagère le risque de défaut d’un pays tel que le Portugal”. Depuis la crise des subprimes, il est devenu vraiment difficile de comprendre la logique des agences de notation…
  7. Il est à noter que la BCE réfléchit actuellement à la création d’un nouveau mécanisme qui remplacerait l’actuel plan de soutien aux banques irlandaises (Emergency Liquidity Assistance). Cela lui permettrait de sortir des mesures non conventionnelles et notamment de rétablir les appels d’offres pour les opérations de refinancement à long terme (LTRO).
  8. Le renflouement de son système bancaire a coûté à l’Irlande 50 points de PIB.
  9. Voir “Risques bancaire et souverain : les liaisons dangereuses”, Philippe Sabuco, BNP Paribas EcoWeek n°10-49, 17 décembre 2010.
  10. 10 Comité européen de supervision bancaire

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas